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A l’Ouest rien de nouveau (ou presque)

Publié le 27 février 2008 par Scopes
Bill Buckley en 2004 - V.Laforet (NYTimes)


La dernière semaine fut désespérante de médiocrité sur la scène médiatique américaine. Dans l'attente des primaires du 4 mars (Texas, Ohio et Rhode Island), télévisions et journaux ont focalisé leur regard du côté des démocrates. Pas de chance : tout a déjà été dit ou presque depuis le 19 février : Hillary Clinton reste sur l’offensive à la recherche de son momentum perdu ; Barack Obama s’est fermement installé dans la position du favori ; les débats n’évoluent plus guère (sécurité sociale, économie et Irak). Il faut dire que les deux candidats en sont à leur vingtième, et tel un vieux couple répètent -- quoique de plus en plus agressivement -- leurs antiennes traditionnelles.
Mais, en l’absence de nouvelles fraîches, il fallait bien remplir les colonnes des journaux américains. Comment ? Facile : tirez sur le front-runner ! C’est la loi médiatique du genre : Rudy Giuliani, Hillary Clinton puis Barack Obama en ont fait l’expérience. Le favori est à la fois envié et scruté. Toutes ses phrases sont analysées ; ses moindres gestes sont disséqués. Chaque bisbille entre Hillary Clinton et Barack Obama est devenue sujet d'actualité: une photographie de lui le montre portant un turban lors d'une visite au Kenya (2006) : serait-il musulman ? C’est qu’il s’appelle Barack Hussein Obama, comme ne cessent de le répéter certains activistes républicains, dans ce qui ressemble à une préfiguration de la smear campaign de novembre prochain. Dommage, il est bien chrétien (c'est que l'électorat conservateur aurait pu s'effrayer: un président musulman n'est pas prêt d'être élu aux États-Unis...) et John McCain vient d’ailleurs de s'excuser publiquement pour les abus de langage de certains de ses partisans. Ce dernier a également fait l’objet d’une attaque en règle, menée par le New York Times, qui l’accusait implicitement -- et sans preuves formelles -- d’avoir eu comme maîtresse une lobbyiste de Washington, lui se targue de les combattre. Le médiateur du journal s’est depuis excusé (et l'article a été amendé).
Et les média de suivre, de répéter, et ce faisant d’amplifier des anecdotes peu significatives, mais qui peuvent finalement faire -- ou défaire -- une élection. Le même John McCain a en partie perdu les primaires de Caroline du Sud en 2000 à la suite de rumeurs d’infidélités et d’enfant illégitime…

L’Amérique a un rapport schizophrénique avec ses héros (ou ses candidats, héros en devenir) : elle les vénère, elle les salit, elle s’en excuse, elle les vénère à nouveau. Quelques historiens de comptoir s’intéressent toujours à la maîtresse de Thomas Jefferson (troisième président américain) quand d’autres en parlent comme d’un demi-dieu. Abraham Lincoln a été traîné dans la boue avant de devenir, post mortem, une sorte d’incarnation du bien et de la justice. La mémoire de John Fitzgerald Kennedy oscille entre le rappel de ses sulfureuses liaisons (pas seulement mafieuses…) et l’image d’un président jeune, représentation vivante d’une Amérique triomphante. Et n’oublions pas Bill Clinton et son fameux cigare, férocement critiqué (à la limite de l’impeachment) puis devenu, quelques années plus tard, le symbole de l’homme d’Etat intègre et responsable -- du moins jusqu’à la dernière campagne…
L’actualité ne s’est pourtant pas arrêtée cette semaine ; mais il fallait la chercher du côté des républicains. Et tout d’abord chez McCain : au plus bas dans les sondages et à court d’argent à l’automne, ce dernier à demandé l’aide de financements publics, soumis à de très strictes conditions (la principale étant la limitation des dépenses engagées lors de la campagne des primaires à 54 millions de dollars). Depuis qu’il s’est remis à flot et qu’il a obtenu le soutien des grands donateurs républicains, il cherche à se sortir des griffes de la Federal Election Commission (FEC). Deux conditions pour ce faire : ne pas avoir reçu de fonds publics (c’est son cas) et/ou ne pas les avoir utilisés comme gages afin d’obtenir un prêt de la part d’une banque privée. C’est là que le bât blesse, McCain ayant reçu un prêt de 4 millions de dollars de la Fidelity and Trust Bank. A la FEC de déterminer maintenant s’il a mis en avant de futurs financements publics afin de garantir sa solvabilité (comme le clament les démocrates) ou si la banque lui a fait confiance et ne lui a demandé que la liste de ses donateurs comme garantie (comme il l’affirme). Quoique techniques, les enjeux sont cruciaux : si la FEC lui donne tort, ses dépenses de campagne ne pourront pas excéder 54 millions de dollars jusqu’au mois de septembre. Or il en a déjà dépensé 49 millions…
Deuxième fait marquant, la mort de William F. Buckley Jr, à l’âge de 82 ans. Peu connu en France, cet intellectuel de haute volée, fondateur de la National Review (1955) fut pourtant l’un des pères du mouvement conservateur lors des années 1960, l’un de ceux qui surent lui donner une respectabilité nouvelle. Barry Goldwater en 1964, Ronald Reagan en 1980 et Mike Huckabee aujourd’hui lui doivent beaucoup. Fléau du libéralisme (scourge of liberalism) -- au sens américain -- d’après Arthur M. Schlesinger, il avait dénoncé le système universitaire dans une diatribe restée célèbre contre l’université de Yale (God and Man at Yale), l’accusant d’être un repaire d’athées et collectivistes et demandant le licenciement de professeurs coupables à ses yeux de ne pas respecter les valeurs traditionnelles. Il avait ensuite su mêler tradition libertaire (Max Eastman), monétarisme économique et anti-étatisme (Milton Friedman) et anti-communisme virulent dans une synthèse explosive qui allait partir à la conquête des classes moyennes et les amener à rompre progressivement avec la tradition progressiste issue du New Deal (pour plus de précisions, voire l'excellent Suburban Warriors de Lisa McGirr). Comme le disait un radical d’un autre siècle (Clarence Darrow), « je n’ai jamais souhaité la mort de personne, mais j’ai lu quelques nécrologies avec un certain plaisir »… Cela dit, un géant de la pensée conservatrice s’en est allé. Huckabee doit se sentir bien orphelin.
Scopes

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