Rabih Mroué dans "The Pixelated Revolution"
Outre leur qualité esthétique, les multiples intervention plastiques dans les villes « insurgées » arabes ont l’intérêt de mettre en évidence les questions qui se posent à l’expression artistique contemporaine en cette période de turbulences politiques. Face au risque, bien réel, d’une récupération par le monde du marché de l’art, capable de tout recycler ou presque, graffeurs et graphistes égyptiens (voir le précédent billet) ont imaginé une réponse, via l’anonymat intégral pour certains, en adoptant une posture qui fait d’eux surtout pas des artistes, avec un discours « en surplomb » et en ayant la prétention de délivrer le sens des événements en cours, mais au contraire de simples auteurs de propositions visuelles, dans le but de créer un dialogue citoyen et de contribuer ainsi la prise de conscience révolutionnaire.
Avant New York où il se produira notamment au Andy Warhol Museum (no comment !), Rabih Mroué (ربيع مروّه : Rabî’, c’est le « printemps » en arabe !) a donné il y a quelques jours à Beyrouth une « conférence non universitaire » (non academic conference) que l’on peut analyser comme une autre manière de suggérer une réponse à ces questions que la révolution pose à la création. Au carrefour du théâtre, de la performance et des arts visuels, cette « lecture performance », intitulée The Pixelated Revolution (voir cet article en arabe) propose une réflexion sur le rôle joué par les images des téléphones portables dans le soulèvement en Syrie. Les consignes données, notamment sur Facebook, aux militants de la révolution pour les guider dans leur « travail filmique » sont ainsi mises en rapport avec les dix règles du « dogme 95 » énoncé par différents cinéastes danois dont Lars von Trier et Thomas Vinterberg. En effet, plusieurs points de ce « vœu de chasteté » cinématographique destiné à lutter contre l’inflation des budgets et des effets spéciaux font écho à la documentation cinématographique du soulèvement en Syrie : des décors naturels, un son en direct, l’obligation de filmer depuis une caméra portée au poing ou à l’épaule, l’absence d’éclairages artificiels, pas de traitement optique… En quelque sorte un « cinéma » en prise avec le réel, mais où les scènes de mort violente et les armes sont loin d’être proscrites à la différence des règles du Dogme 95…
Les propos de Rabih Mroué ont suscité beaucoup de réactions au sein du public beyrouthin, ne serait-ce qu’en raison de la dureté des vidéos diffusées par le « conférencier », mais surtout à propos du bien-fondé d’une telle initiative : n’est-il pas indécent d’esthétiser ainsi la révolution au moment où tombent tant de victimes ? Bien entendu, telle n’est pas l’ambition de ce projet qui ouvre à toutes sortes de lectures à propos de cette « révolution pixellisée » et du rôle politique des images contemporaines. En confrontant un discours esthétique (en l’occurrence celui du Dogme 95) et les images du soulèvement syrien, Rabih Mroué a moins voulu faire œuvre, au sens traditionnel de l’expression, que chercher sa propre réponse au rôle de l’art contemporain dans la révolution arabe…
Rien à voir, sauf le titre ! The revolution will be pixellated est le titre d’une époustouflante vidéo par Patrick Jean.