L'intelligence économique, entendue au sens de « l'utilisation des techniques et technologies de l'information et de la communication en vue d'accroître la performance économique » (voir ici), sous-tend une conception de l'économie radicalement différente de la conception néo-classique de l'homo oeconomicus (homme rationnel, comportement automatique, compétition pure et parfaite).
De ce point de vue, l'intelligence économique trouve son pendant théorique dans la tradition de la sociologie économique qui considère l'activité économique comme une dimension de l'activité sociale (et dont le principal représentant actuel est Mark Granovetter1). Cette discipline transdisciplinaire critique les thèses simplistes et déshumanisées de la conception néoclassique. Pour faire court, on peut retenir une opposition sur trois points :
Conception néoclassique
(homo oeconomicus)
Conception de la sociologie économique
(homo socio-oeconomicus)
L'homme dispose de toutes les informations possibles pour faire ses choix économiques (omniscience néoclassique)
Les choix économiques de l'homme dépendent de son degré d'ignorance et de connaissance des situations (finitude)
L'homme a un comportement économique automatique par rapport à un environnement stable (mécanique néoclassique)
Le comportement économique de l'homme est basé sur des interactions et des réseaux de relations (stratégie)
La compétition économique est « pure et parfaite » (idéal néoclassique)
La compétition économique fait apparaître des rapports de forces entre agents inégaux (réal sociologique)
La conception de la sociologie économique apparaît ainsi comme la condition de possibilité et l'exigence des outils de l'intelligence économique :
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Puisque l'homme ne peut pas tout voir et tout connaître (finitude), les avantages compétitifs dépendent des pratiques de veille, tri, analyse de l'information ou de la communication d'influence vers les publics
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Puisque les acteurs économiques sont pris dans des réseaux de relations (stratégie), les avantages compétitifs dépendent des pratiques de lobbying, stratégie-réseau, management des parties prenantes, veille opinion, etc.
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Le contexte d'hypercompétition entre agents inégaux (« réal économie2 ») suppose de prendre en compte les situations de diplomatie économique, d'entente, de pressions juridique et réglementaire, d'intervention étatique sur les marchés (protectionnisme par exemple), etc.
Par conséquent, l'intelligence économique critique de manière pratique ce que la sociologie économique critique de manière théorique. En fait, puisque la matière principale de l'intelligence économique est l'information et la communication, et que ces deux notions renvoient nécessairement à l'homme social, il est normal qu'elle considère, comme la sociologie économique, les marchés économiques comme des lieux d'interactions sociales.
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1Voir par exemple : Mark Granovetter, Sociologie Économique, Seuil, 2008
2Par analogie à la « Real Politik »
L'intelligence économique à l'école de la sociologie économique View more presentations from penseeaction.