La victoire annoncée du PS aux municipales de mars prochain n’est pas, a priori, une bonne nouvelle.
Non que l’on souhaite la défaite du PS ou que l’on redoute un effet d’annonce prématuré sur le résultat de l’élection mais parce qu’on peut craindre, paradoxalement, qu’une telle victoire aggrave plutôt qu’elle n’améliore la situation de ce parti.
Une victoire aux municipales risque en effet de ralentir la transformation profonde du PS dont chacun, en son sein comme dans l’opinion, a désormais compris qu’elle était nécessaire. Une opposition audible et une force politique d’alternance crédible sont indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie moderne. L’actualité politique depuis l’élection de Nicolas Sarkozy confirme quotidiennement ce constat banal.
Sans remonter trop loin dans l’histoire électorale française, les précédents des années 2000 n’incitent pas à l’optimisme. Déjà en 2001, la défaite du PS aux municipales avait été occultée par quelques résultats brillants à Paris et Lyon tout particulièrement. Ceux-ci avaient masqué la réalité de l’épuisement de la dynamique d’ensemble de la gauche plurielle, funeste un an plus tard à Lionel Jospin. En 2004, la victoire écrasante du PS aux régionales et aux cantonales avait conduit la direction du parti et les nouveaux élus à une euphorie post-électorale trop largement oublieuse de l’importance du contexte politique de l’époque très dégradé pour la droite au pouvoir – un gouvernement Raffarin mal en point et un second mandat de Jacques Chirac au crédit déjà bien entamé.
Bref, on le voit, la tendance à une mauvaise interprétation, et de là une mauvaise exploitation, des résultats électoraux locaux, est devenue une habitude au PS. Or une victoire mal interprétée aux élections municipales (et cantonales) de 2008 pourrait fortement contribuer à alimenter les conditions d’une nouvelle déconvenue en 2012.
On défendra ici l’idée que le risque n’est pas négligeable de retrouver cette année les mêmes errements dans l’analyse des résultats des élections locales et surtout dans les enseignements à en tirer au niveau national, notamment dans la perspective de 2012. D’abord, pour des raisons purement conjoncturelles, en raison d’une forme de thérapie antisarkozyste : la première défaite de l’hyperprésident (surtout s’il s’engage directement dans la bataille) serait la première bonne nouvelle électorale pour le PS depuis longtemps… Ensuite, pour des raisons plus structurelles, la direction nationale du PS est restée peu ou prou la même depuis 2001. Elle aura donc la tentation de dresser, malgré tout, un bilan « globalement positif » de son action, à partir notamment de ses succès électoraux locaux. Enfin, de manière bien plus fondamentale encore, les élections municipales engagent le cœur de la machine socialiste : ses élus locaux et leurs nombreux affidés. Et ces élus s’ils sont aujourd’hui la principale force du parti (maillage territorial, compétences…), représentent aussi l’un de ses points faibles en ce qu’ils réagissent de manière essentiellement conservatrice aux évolutions politiques nationales. L’objectif premier des élections locales étant, à leurs yeux, de conserver ou de (re)gagner des mandats synonymes de moyens de fonctionnement, de rétributions matérielles et symboliques, etc. Et non de débattre de questions doctrinales ou stratégiques nationales souvent sans lien avec des situations locales contrastées.
La victoire aux municipales du mois de mars dans les conditions décrites ici risque ainsi de conduire à la validation de l’idée que la stratégie de conquête ou de reconquête locale est celle qui permet la meilleure position d’attente par rapport au pouvoir sarkozyste. Attente de l’effritement ou de l’effondrement de sa popularité, attente des élections nationales suivantes qui devraient mécaniquement confirmer les bons résultats locaux (en raison notamment de la prime à l’alternance), attente du dernier moment pour régler, par défaut, la question du leadership en la diluant dans un processus ouvert de primaires à gauche ou, à l’opposé, en la réduisant à un accord interne aux factions du parti (sur le mode de la « synthèse molle » à la Hollande ou suivant les lignes d’une alliance négative « tout sauf Ségolène » ou « tout sauf Delanoë » par exemple).
Dans tous les cas, cette stratégie de l’attente est illusoire. D’abord parce que supposer que la politique nationale est une affaire d’alternance mécanique entre droite et gauche est un raisonnement risqué sinon spécieux – les élections nationales de 2007 ont montré que l’alternance pouvait avoir lieu au sein même d’un camp, en l’occurrence la droite. Ensuite parce qu’attendre une transposition des résultats locaux au niveau national dans plusieurs années semble être de moins en moins pertinent tant les deux niveaux sont de plus en plus distingués par les électeurs. Enfin, parce qu’attendre le dernier moment pour désigner le leader de la gauche susceptible d’affronter celui de la droite au second tour de l’élection présidentielle conduit inexorablement à une précipitation désastreuse et à une campagne chaotique, à l’image de celle, emblématique, de 2007.
Or l’un des enseignements les plus nets des années passées pour le PS est certainement qu’il ne peut plus se permettre d’attendre.
La reconstruction d’une force politique dynamique, crédible, audible et susceptible d’occuper à nouveau le pouvoir d’Etat est une œuvre de longue haleine. Elle doit donc être entreprise le plus en amont possible de la prochaine séquence électorale nationale. Dans cette perspective, leadership, cadre stratégique et rénovation doctrinale ne peuvent qu’être « traités » frontalement et concomitamment. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement dans un système institutionnel tel que celui de la Ve République combinant désormais élection du président au suffrage universel direct et quinquennat ? Tenter de jouer la priorité de l’un ou l’autre de ces trois impératifs peut se révéler suicidaire pour le PS.
Ainsi, par exemple, évacuer la question du leadership en la subordonnant à la (re)définition préalable d’un corpus doctrinal ou à tout le moins d’un projet politique et/ou à une stratégie donnée, par le parti, revient à nier le rôle essentiel de l’incarnation dans une personnalité du projet et de la stratégie devant le pays. Et, par conséquent, le rôle primordial de celle-là dans la conduite des opérations même si les modalités d’intervention du leader dans le processus d’élaboration doctrinal et/ou de détermination stratégique peut varier selon sa personnalité précisément. L’exemple désastreux des frictions entre projet présidentiel et projet du parti (comme entre les stratégies électorales souvent divergentes énoncées par l’une et l’autre des entités) lors de la dernière élection présidentielle devrait pourtant suffire à éclairer ce point.
Symétriquement, mettre en avant une simple proposition de leadership en prétendant que les questions doctrinales et stratégiques se régleront d’elles-mêmes, sur le mode : les idées et la stratégie du leader seront nécessairement celles que le parti devra défendre et appuyer inconditionnellement, est tout aussi illusoire. Le parti, et au-delà sans doute les différentes forces politiques et sociales liées à la gauche de gouvernement, ont un rôle essentiel à jouer dans l’élaboration doctrinale et dans la définition d’une stratégie d’alliances notamment. Si le pouvoir politique, dans sa conquête comme dans son exercice a aujourd’hui besoin de s’incarner dans une personnalité exposée à l’avant-scène, ce qui se vérifie désormais dans toutes les démocraties quel que soit leur régime électoral, il n’en reste pas moins, précisément pour des raisons démocratiques, le résultat d’un vaste processus collectif au sein duquel les partis tout particulièrement ont un rôle déterminant à jouer. Oublier cette donnée fondamentale de la politique contemporaine conduit à s’exposer à de graves déconvenues électorales.
Une version légèrement modifiée de cet article a été publiée dans LE MONDE daté du 26 janvier 2008, à lire ici.