Ils y ont pensé !

Comment ça me fait plaisir ! Je l'ai appris par une taupe à Palo Alto. Afin de préparer dignement mon anniversaire, mardi 5 février, Mark Zuckerber, le patron de Facebook, a réuni une cellule de crise au siège, en début de semaine. « Il s'agit de ne pas se rater. Jo, tu lances le message pour la home page. Bill, tu checkeras [en français dans le texte] les applications “Birthday cake”, “Birthday card”, “Be my valentine”, “Crush me”, “Kiss me” et "Real Gift”. Vu que ces applications n'arrêtent pas de planter, en temps normal, je te tiendrais pour personnellement responsable si Thierry ne reçoit ses messages ». On a beau manager en jean et baskets, ça ne rigole plus chez les geeks quand il s'agit de respecter les traditions me concernant.
A minuit pile, l'algorithme SBA (“Souhaitage de Bon Anniversaire") donnait le ton des festivités en affichant «Bon anniversaire» de la part de toute l'équipe de Facebook. A moi et à 136 000 personnes nées le même jour. A 6h50, une première fournée de “Birthday cake” à la crème atterrissait sur mon profil, un peu comme dans une séquence de Laurel et Hardy. A peine le temps de m'essuyer le visage, quand à 7h00, en écoutant France Info, je tombais de ma chaise : les candidats républicains et démocrates s'étaient secrètement réunis eux aussi pour désigner ce mardi un de leurs représentants qui viendrait me souhaiter bon anniversaire. Je me doutais vaguement qu'il se tramait quelque chose, en lisant les journaux sur internet ces derniers temps, mais ils m'ont bien joué la comédie, je dois reconnaître, avec cette histoire d'élection présidentielle. J'ai marché à fond.
Si c'est Hillary qui est désignée, je la vois déjà, sourire figé et regard bleu pénétrant, me gratifier d'un “hug” aussi chaleureux qu'une pelle roulée sur une porte de prison. Si c'est Barack, comme son nom l'indique, sourire à la Denzel Washington et battoirs à la place des mains, il fera moins dans la dentelle et je risque l'écrasement de la cage thoracique. Le temps de me remettre de mes émotions et de me baisser pour récupérer mes lentilles sur la moquette, et il sera déjà passé à un autre. Puis les services de sécurité prendront le relais, en me secouant comme un prunier en guise d'accolade, pour me demander poliment si je crois que c'est un =%*@/+ de Portos comme moi qui va faire la loi. On a beau être blindé, ça fait quand même quelque chose, surtout à mon costume.
Mais je ne suis pas au bout de mes surprises : aujourd'hui, chacun y est allé de sa délicate attention. Jérôme Kerviel a donné plus d'indications aux enquêteurs sur les raisons qui l'ont poussé à détourner quelques malheureux milliards à la Société Générale : « Oui, c'est vrai, c'est fictif, j'ai inventé cette opération pour ne pas faire apparaître le gain de 1,4 milliard d'euros que j'ai réalisé en 2007. Mais je voulais lui faire une surprise [à moi, donc, c'est mignon tout plein]. C'est malin, vous avez tout gâché maintenant. », rapporte à peu près le Monde de ce jour, citant des sources proches de l'enquête. C'est ballot : à quelques jours près, j'empochais en plus le super-Banco.
Alstom présente le prototype de l'AGV, son nouveau train à très grande vitesse. Encore un délicat message subliminal qui me concerne : pour mon anniversaire de 2012, ceux qui m'aiment prendront le train. La bataille du rachat de Yahoo! par Microsoft cache une vaste entreprise de contrôle des mots clés me concernant. Les députés et sénateurs se sont réunis à Versailles pour signer ensemble la carte d'anniversaire. Je l'ai vue à la télé hier soir, cette carte, elle est très grande. Normal, chacun voulait mettre un petit mot gentil à mon intention. Même Al Qaida, où pourtant je ne compte pas que des amis, a ponctué son dernier message d'un affectueux « Mort à l'Occident » qui m'est allé droit au cœur. Je me suis laissé dire, aussi, que Nicolas et Carla avaient élégamment décalé de quelques jours leur union, afin de ne pas interférer avec ce Super-Mardi, Gras de surcroît. Il est vrai que j'avais anticipé sur ma nouvelle notoriété planétaire en louant le Pavillon de la Lanterne, à Versailles, et qu'ils risquaient de se retrouver le bec dans l'eau.
Je suis encore tout retourné de tant d'honneur. Mais je garde la tête froide. Gotlib a raconté dans ses mémoires que lorsqu'il est né, le 14 juillet 1934, les gens avaient organisé des bals partout en France et dansé toute la nuit en l'honneur de la naissance de l'enfant-Roi. A la vérité, je dois reconnaître, la mort dans l'âme, eu égard à l'affection que je porte à ce grand homme, que c'était un peu petit bras.