C’est la culture de la grève portée à son paroxysme, face à l’impuissance politique : les personnels de sûreté aéroportuaire sont en grève. Le mouvement est tout particulièrement dur à Lyon Saint-Exupéry, très suivi à Roissy-CDG et moins sévère ailleurs. Reste le fait détestable que des milliers de passagers font les frais de ce mouvement, d’autant plus mal vécu qu’il intervient au moment d’une vague de départs en vacances.
Les revendications sont «classiques», si l’on ose dire, portant principalement sur la revalorisation des grilles salariales et, plus généralement, la demande de conditions de travail améliorées. C’est Brink’s Security Services qui se retrouve plus particulièrement dans la ligne de mire mais l’ensemble du secteur est concerné, celui du SESA, syndicat professionnel des entreprises de sûreté spécialisées dans le transport aérien.
Ce mouvement social agace, c’est le moins que l’on puisse dire, en même temps qu’il étonne et surprend. La grève devrait être le dernier recours, l’ultime initiative au terme d’échecs répétés de tentatives de conciliation. Ici, ce n’est pas nécessairement le cas, les difficultés étant apparues du jour au lendemain, aux yeux du «grand» public tout au moins, qui plus est à un moment ne pouvant que susciter des commentaires très négatifs. De plus, les problèmes que révèle cette grève vont bien au-delà de Brink’s et des membres du SESA et suscitent des questions beaucoup plus vastes, plus importantes.
On constate tout d’abord que les autorités gouvernementales, décidément peu à l’écoute de la vraie vie du transport aérien, en l’occurrence celle des passagers, assurent tout au plus un service minimum. Comme si aucun ministre concerné ne consacrait quelques minutes à regarder les titres de la presse quotidienne et les premières minutes des journaux télévisés.
Thierry Mariani, titulaire du portefeuille des Transports, a certes indiqué qu’il trouvait «révoltant» que des voyageurs soient ainsi pris en otages. Mais on ne l’a guère vu à Roissy ou à Lyon, encore moins nommer un médiateur ou parler de réquisition. Le commentaire, pour l’essentiel, est purement politique, à savoir l’allusion à une proposition de loi du député UMP Eric Diard concernant les modalités de dépôt des préavis de grève dans l’aérien, qui devraient être similaires à celles qui prévalent dans les transports terrestres. C’est pourtant de service minimum qu’il conviendrait de parler en priorité.
La sûreté aéroportuaire est un monde ingrat de petits salaires, une confrontation permanente entre des hommes en uniforme moyennement motivés et des voyageurs systématiquement agacés. Ceux d’entre eux habitués aux lignes courtes, intérieures ou européennes, cachent difficilement leur lassitude, à force de tomber la veste, de retirer leur ceinture, d’enlever leurs chaussures, au terme d’une attente toujours trop longue, parce que le personnel est systématiquement trop peu nombreux. De plus, de toute évidence, la manière de faire est identique pour tous, les contrôles ne faisant pas la différence entre passagers effectuant un saut de puce à bord d’un ATR 72 et ceux prenant la direction d’un lointain pays à risques.
Voici en tout cas un excellent prétexte pour s’interroger sur la manière française d’assurer la sûreté aéroportuaire. On la souhaiterait inscrite en bonne place sur la liste des tâches régaliennes, placée, par exemple, sous la responsabilité directe de la Police aux Frontières, et non pas sous-traitée au secteur privé.
Il suffit, de ce point de vue, de regarder comment procèdent les Etats-Unis qui, en cette matière, montrent l’exemple. Effet induit des attaques terroristes de septembre 2001, ils ont mis en place la Transportation Security Administration, agence spécialisée du Department of Homeland Security. Outre-Atlantique, on ignore évidemment le sens de l’expression «tâches régaliennes» mais chacun sait où se situent les vraies priorités : la sûreté implique de très grandes responsabilités, au plus haut niveau de l’Etat. Dès lors, quelles que soient les qualités de Brink’s et de ses collègues, la manière de faire française pose problème, cette privatisation constituant en quelque sorte une subvention déguisée au profit de la Police nationale.
Les grévistes de Brink’s ne se situent pas dans cette logique. Ils demandent tout simplement à être mieux traités et, en réponse aux critiques relatives à la date de ce mouvement, à quelques jours de Noël, ils rétorquent qu’ils n’agissent pas de gaieté de cœur (sic) mais considèrent qu’il s’agit pour eux du seul moyen de se faire entendre. Reste à savoir ce qu’en pensent, par exemple, les «otages» de Lyon.
Pierre Sparaco - AeroMorning