photo : Norman Wong
INTERVIEW AUSTRA
Le premier album d'Austra, Feel It Break, n'est certes pas notre disque de l'année, mais il a des qualités indéniables qui font qu'on l'a quand même pas mal écouté et qu'une interview s'imposait lors du passage du groupe à Bordeaux début décembre. J'ai donc retrouvé Katie Stelmanis, la compositrice et chanteuse à la voix si particulière, dans le restaurant de l'I.Boat, soigneusement cachée dans un gros pull et ses cheveux blonds, appliquée à regarder son portable. Je savais à quoi m'attendre, on m'avait prévenu que je ne pourrais prendre aucune photo, et j'avais lu à travers d'autres interviews que la jeune femme dévoilait des informations au compte-goutte et était plutôt froide. Finalement elle a quand même été gentille et a parfois ri, et j'ai trouvé des réponses à la plupart de mes questions.
Katie Stelmanis a tout de même un parcours atypique. Elle a commencé la musique en étant choriste Canadian Children's Opera. Jusqu'à l'âge de 18 ans, elle n'écoutait que de la musique classique ou presque. "Je ne connaissais pas beaucoup de musique parce que je n'y étais tout simplement pas exposée. Au lycée tout le monde autour de moi écoutait des groupes comme Ben Harper, ce genre de trucs qui ne m'intéressaient pas du tout. Et puis j'ai eu 18-19 ans et j'ai commencé à découvrir cette musique dont je ne soupçonnais même pas l'existence, j'ai beaucoup écouté Björk, Nine Inch Nails..." Cela n'a pas été une révélation soudaine, Katie a mis du temps avant de conclure que la musique moderne "c'était brillant" et de s'y mettre à son tour en intégrant des groupes à Toronto, ville qu'elle n'a jamais voulu quitter. Maintenant, même si elle aime définitivement les deux types de musique, elle avoue passer plus de temps à écouter des artistes contemporains "parce que ce qui m'intéresse le plus c'est la musique la plus novatrice – c'est ce qui m'a toujours fasciné. Et on trouve ça surtout dans la musique moderne maintenant."
Cette idée de recherche de musique nouvelle, Stelmanis la ressort à toutes les sauces, c'est ce à quoi elle semble le plus attachée. C'est ainsi qu'elle justifie le fait de faire, malgré son éducation archi-classique en la matière, une musique originale à laquelle on ne peut coller aucune étiquette. Acte de rébellion ? "Peut être un petit peu." Mais c'est surtout parce que les artistes qu'elle admire étaient ou sont des musiciens qui repoussent les barrières de la musique. "Je pense que mes amis qui sont allés en école de musique ne sont pas très créatifs. J'ai vu récemment que Brian Eno disait que tous les meilleurs musiciens venaient d'écoles des beaux arts, et pas des écoles de musique. Je suis assez d'accord avec lui."
La Canadienne sait très bien ce qu'elle fait et veut. L'année 2011 aurait pu être éprouvante pour Austra : ils ont sorti leur album chez Domino, enchaîné les tournées et la promo, joué dans des salles combles, intégré un claviériste... Pourtant le groupe l'a très bien vécu, et à Katie d'expliquer : "Ça s'est passé vite mais nous avons eu cinq années très très lentes. On a fait tellement de concerts dans le monde entier et passé tant de temps à écrire et enregistrer que je me sens construite. Nous nous sentions prêts depuis longtemps. Nous savions à quoi nous attendre, et en étions très excités." Il est vrai qu'en live, on sent une certaine maîtrise scénique, sans même parler de la prouesse vocale. Le set fonctionne bien, les musiciens sont au fond, pour laisser au premier plan Katie flanquée de chaque côté par une choriste (elles sont jumelles en plus) qui sait aussi danser et faire le spectacle. Mais avant de jouer devant des centaines de personnes et d'avoir une prestation bien rodée, l'équipée a connu des galères. Comme la fois où ils devaient jouer dans une pizzeria "On a atterri au milieu de nulle part, en Colombie Britannique, après neuf heures de route. Sauf qu'ils avaient annulé le concert, donc ils nous ont juste donné une pizza gratuite et on a dû faire demi-tour. C'était horrible."
Katie Stelmanis aime aussi souvent dire dans les interviews qu'elle est lesbienne et que la plupart des membres d'Austra sont gays. Je ne suis pas trop du genre à me mêler de la vie privée des artistes comme ça, mais je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander si elle pensait que raconter ça aiderait les gens à mieux comprendre la musique qu'elle fait. "Je ne pense pas. Mais quand j'étais plus jeune, et même maintenant en fait, à chaque fois que je découvre qu'un artiste est gay, je suis genre « Ouais, il est dans notre équipe ! ». Donc si je dis que je suis lesbienne, des gens pourraient être très heureux de le savoir et les autres s'en foutraient. Je fais ça pour les gens pour qui cela est important, et les autres ne comptent pas." La chanteuse avoue même avoir des opinions politiques bien tranchées, mais elle ne pense pas que ce soit le sujet premier de ce qu'Austra fait. Ah, elle contrôle décidément bien tout ce qu'elle dit et réfléchit beaucoup. Et si elle était une femme célèbre, elle serait Nina Simone "parce que c'est une des femmes artistes les plus inspirantes qu'il y ait jamais eu. Parce qu'elle a dû faire face à tellement d'obstacles, et j'aime tout simplement la façon dont elle excellait à tout ce qu'elle faisait, et elle travaillait si dur." Pas mal.
Après plusieurs minutes, je sens que l'atmosphère se détend et en profite pour lui demander de me raconter une blague. Mais cela se solde par un échec, elle ne connait pas de blague et ne sait pas les raconter. Et une chanson joyeuse, elle pourrait en écrire une ? "Aha, je pense que nous avons certaines chansons qui sont un peu joyeuses..." Ouais bof, Feel It Break est assez homogène dans son ambiance : sombre. "En fait je ne pense pas avoir la capacité d'écrire en gamme majeure, genre de la musique avec du chant joyeux. Je préfère me noyer dans la musique mélancolique. Donc non, pas de chanson joyeuse dans un futur proche." Et puisque vous vous demandez quel est le futur proche d'Austra, sachez que le groupe va faire une pause à la fin de la tournée puis enchaînera tout de suite avec l'écriture du deuxième album, qui ne sera pas gai donc.