Emile Zola : La Curée

Publié le 18 décembre 2011 par Corboland78

Ca m’a pris comme une de ces envies qui vous envoient là où vous savez, j’ai ressenti le besoin de me replonger dans un bouquin de Zola, auteur que je n’avais plus lu depuis bien longtemps. A genoux aux pieds de ma bibliothèque, lettre « Z » oblige, j’ai retrouvé un vieux livre de poche à la tranche écaillée, La Curée.

Émile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille des Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres.

Second volume de cette saga des Rougon-Macquart, La Curée est parue en 1872 et traite de la vie débauchée du Paris sous le Second Empire, spéculations et enrichissements éhontés basés sur les grands travaux de reconstruction menés par le baron Haussmann.

« Aristide Rougon s’abattit sur Paris, au lendemain du 2 Décembre, avec ce flair des oiseaux de proie qui sentent de loin les champs de bataille. » Le provincial à l’ambition démesurée va commencer modestement, par son frère Eugène devenu ministre grâce à son soutien à Napoléon III, il obtient un emploi à la mairie de Paris, vivant chichement avec sa femme Angèle de santé fragile et leur fille, tandis que leur fils Maxime est resté chez ses grands-parents à Plassans. Emploi subalterne, mais poste d’observation idéal, il a accès à tous les plans de reconstruction de la ville.

Quand sa femme décède, Aristide se remarie aussitôt par pur intérêt, avec Renée Béraud du Châtel, une très jeune femme compromise. Ce sera la première marche vers les sommets. Ayant changé de nom et se faisant désormais appeler Aristide Saccard, il s’engage dans la spéculation en profitant de sa connaissance anticipée de la démolition des vieux quartiers pour acheter à bas prix les immeubles qui seront ensuite rachetés au prix de l’or par l’Etat. La curée bat son plein et sa fortune ne fera que grandir au rythme des travaux haussmanniens. Menant grand train, dépenses somptueuses, l’argent coule à flots et quand ses spéculations commenceront à s’essouffler il n’hésitera pas à escroquer sa propre femme qui a hérité d’un bien immobilier.

Parallèlement aux magouilles d’Aristide, l’auteur décrit les relations amoureuses libres entre le spéculateur et sa jeune femme, tandis que l’un passe ses soirées avec ses maîtresses, l’autre finit par tomber amoureuse du propre fils de son mari, Maxime, un jeune gandin oisif qui la mènera « dans tous les endroits équivoques où ils pouvaient coudoyer le vice brutal, en goûtant les joies de l’incognito ».

Quand Aristide Saccard, pris entre ses créanciers et l’appât du gain, manigancera un mariage arrangé entre Maxime et une riche héritière bientôt mourante, c’en sera trop pour Renée qui sombrera dans la folie avant de mourir d’une méningite.

Immanquablement, Zola me fait toujours penser à Balzac. Les Rougon-Marquart et La Comédie humaine, des romans denses qui dressent des portraits féroces de leurs époques, des personnages extraordinaires – même s’il s’agit de vilénie – des caractères inoubliables.

Dans La Curée, Zola s’attaque à la spéculation et à la soif de l’or, il décrit les mécanismes des arnaques montées par Aristide mais ce sont aussi les roublardises de son frère Eugène, qui dans l’ombre tire des ficelles secrètes, ou encore leur sœur Sidonie, une entremetteuse de bas étage, elle aussi poussé par des besoins vénaux, « Elle était bien du sang des Rougon. Il reconnut cet appétit de l’argent, ce besoin de l’intrigue qui caractérisait la famille ». Déjà les tares de l’hérédité familiales sont posées dans ce deuxième volume des Rougon-Maquart.

Mais Zola ce sont aussi des descriptions à n’en plus finir, quand il peint sous nos yeux (littéralement !) des intérieurs bourgeois, les robes des femmes lors d’un bal, les tables dressées avant un festin etc. Peintures de caractères aussi, roublardises d’escrocs, ruses d’amants, aucun sentiment n’est étranger à Zola, tout est machiavélique. L’auteur sait aussi nous plonger au cœur des riches hôtels particuliers comme au fond des masures délabrées. Descriptions d’une précision clinique, qu’il doit certainement à son passé journalistique, on sort de ces longues pages de lectures, abasourdis et gavés –sans que ce soit péjoratif. Au contraire. 

« Cependant la fortune des Saccard semblait à son apogée. Elle brûlait en plein Paris comme un feu de joie colossal. C’était l’heure où la curée ardente emplit un coin de forêt de l’aboiement des chiens, du claquement des fouets, du flamboiement des torches. Les appétits lâchés se contentaient enfin, dans l’impudence du triomphe, au bruit des quartiers écroulés et des fortunes bâties en six mois. La ville n’était plus qu’une grande débauche de millions et de femmes. Le vice, venu de haut, coulait dans les ruisseaux, s’étalait dans les bassins, remontait dans les jets d’eau des jardins, pour retomber sur les toits, en pluie fine et pénétrante. » 

    

Emile Zola  La Curée  Le Livre de Poche