Que l’on appelle ça chillwave ou que l’on ne l’appelle pas, on ne peut que constater que nous avons ces dernières années été submergés par une vague de disques jouant avec les ambiances aqueuses et aériennes, en entrelaçant boucles électroniques, notes de synthé et voix éthérées. Les premiers disques reçus, inattendus et révélateurs (je pense notamment au seul, unique, et sublime EP des suédois d’Air France), semblaient tomber du ciel, portés par le vent. Objectif manifeste : créer du beau. Et amener l’auditeur à se détacher des lois de la pop et de la pesanteur. Seulement voilà : en lisant la presse, on aurait pu croire que 2011 allait être l’apogée du genre. Or, que j’écoute, simple exemple, Washed Out ou Neon Indian, je ne pense qu’une chose : Pffff. Comme un ballon qui se dégonfle, et qui échoue platement dans l’océan. Où les vagues perdraient de leur fluidité à force de courants contraires. Où dans « flotter » j’entends « flotch, flotch ». C’est pourquoi je suis heureux, en cette fin d’année, d’entendre un disque enfin accomplir ses ambitions élémentaires et oniriques. Cela n’étonnera personne, il vient de Suède. Il s’appelle An album by Korallreven. Et aux commandes, on note la présence du claviériste de The Radio Dept, groupe dont on ne vante plus les qualités.
On a beau reprocher aux journalistes de vouloir créer des genres out of the blue, tout concourt, sur cet album de Korallreven, à définir un canon, en accumulant des éléments devenus caractéristiques comme autant de figures imposées. On a ces références aux contrées exotiques (Korallreven signifie « récif de corail ») et fantasmées. Et surtout, on a ces grandes envolées lyriques et ce savant collage réverbéré de voix humaines, de bruissements naturels, de sons synthétiques et de boucles électroniques, si bien que l’on pense autant à Brian Eno qu’à The Avalanches. Et quand je dis savant, je ne pense pas nécessairement à une maîtrise métronomique manifeste ou à une précision d’artificier. Non, il s’agit ici de réussir à superposer les strates de sons pour leur donner une apparence accidentelle, à imiter les mouvements naturels, à donner l’illusion d’une musique dépendante des courants de l’air et des courants de l’eau. L’impression de flottement…
Et si Korallreven réalisent mieux que d’autres leurs ambitions impressionnistes, c’est parce qu’ils ont envisagé leur album comme un tout, brouillant non seulement les lignes à l’intérieur des morceaux, mais aussi entre les différentes pistes. Si bien que l’on ne sait jamais vraiment où l’on en est : ne cherchons pas, on est transporté. Le disque terminé, reste une impression d’avoir quitté l’espace et le temps, sans parvenir à définir ce que l’on vient d’entendre : la sensation d’avoir rêvé. On se souvient d’une entrée en matière céleste et épique, sur deux morceaux encore à peu près identifiables. On se souvient aussi des voix de Victoria Bergsman (Taken by Trees) et Julianna Barwick. Puis il semblerait que l’on se soit laissé capturer, emporter dans une série de rêves imbriqués les uns dans les autres : « A dream within a dream within a dream within a dream » : cette voix résonne encore... On se souvient d'échos qui semblaient se répondre et se répéter d’un bout à l’autre du disque, comme si la musique créait des espaces qui se dépliaient et se repliaient sur eux-mêmes, à l’infini… Et lors des dix dernières minutes, celles qui précèdent le réveil, on se souvient avoir entendu le tempo ralentir, tandis que les espaces se multipliaient ; il s’agissait pourtant d’une seule et même plage, puisque, dans le trouble et le doute, on aura vérifié… Écoute après écoute, d’autres souvenirs refont surface. Les autres restent enfouis sous des strates encore inexplorées, attendant que l’on replonge pour les chercher. En bref : un album de chillwave, impressionniste, séduisant, électronique, complexe, aérien, onirique, délicat, inspirant, exotique.Myspace et Soundcloud "As young as yesterday":