Le Monde publie un article de Hollande sur l'Europe. Je n'ai pas une grande considération pour les politiques qui souhaitent maintenir l'euro et l'Union européenne. Il reste qu'il est important de comprendre en détail ce qu'écrit un homme qui peut être notre prochaine président...
J'ai bien aimé la réaction initiale de Hollande, qui souhaitait "renégocier cet accord".
Ca donnait l'impression qu'il se pensait capable de définir des bornes aux pouvoirs de l'Union européenne, de refuser le lent grignotage des compétences démocratiques et nationales.
En fait cet article est là pour rassurer les fédéralistes européens, et organiser la retraite après des déclarations initiales très "fier à bras".
Initialement, Hollande a annoncé vouloir renégocier "cet accord".
Dans le Monde, il ne souhaite plus que "renégocier pour rééquilibrer et compléter le futur traité dans l'esprit du pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance que je réclame, avec mes amis de la gauche européenne."
On passe de renégocier "cet accord" à renégocier tout court (comme si la construction européenne n'était pas qu'une inter-minable négociation). De fait, ce que Hollande annonce aux lecteurs du Monde c'est qu'il n'entend pas renégocier le traité signé par Sarkozy, simplement ajouter éventuellement une couche de social dans un accord d'austérité renforcée.
Même Chevènement a cru à l'annonce de Hollande - ou fait semblant d'y croire. Il finira par l'avoir son ministère...
Pourquoi pas ? Notons cependant, sur la méthode, que cela risque d'être un travers de la campagne Hollance pour la présidentielle : des annonces viriles destinées à clamer bien haut la volonté d'orienter la construction européenne dans un sens utile. Et des correctifs dans le Monde destiné à rassurer la classe des fédéralistes européens : la priorité reste à l'avancement de la construction fédérale européenne, la démocratisation et les aspects sociaux sont subordonnés. La notion de "fédéralisme de projets" (voir plus bas) est identique au ni/ni mitterrandien et destinée à conforter tout le monde : fédéralisme = le machin continue sa progression, "de projets" = pour des tâches bien circonscrites. Notons tout de suite pour marque que l'on est pas dupe, que les projets de l'UE ne peuvent être bornés si l'on considère qu'elle détient déjà la politique monétaire et la politique budgétaire, et que Hollande souhaite de plus lui confier une politique industrielle - cf. ci-dessous.
Sur le fond, voyons donc ce que Hollande souhaite mettre en place pour faire tenir l'Union européenne...
Le coeur de ses propositions économiques :
" Je souhaite des moyens efficaces d'action sur les marchés, conjuguant ceux de la Banque centrale européenne, dans le respect de son indépendance, et d'un fonds de secours financier puissamment doté pour décourager la spéculation. La zone euro doit se munir d'une véritable force de frappe financière. Je suis favorable à la mise en place d'euro-obligations, pour mutualiser au moins une partie de notre dette. Enfin, je demande des moyens de soutien à la croissance: les interventions de la Banque européenne d'investissement dans les secteurs d'avenir, un budget européen renforcé par des ressources nouvelles (notamment la taxe sur les transactions financières) pour conduire des politiques industrielles, en faveur de la conversion écologique ou dans les nouvelles technologies."
En gros, il s'agit de faire fonctionner la planche à billets à grande échelle. Sur le papier, ça peut tenir. Mais les transferts de pouvoir qui sont nécessaires pour que le budget européen soit en mesure d'impulser la croissance sont gigantesques. J'avais calculé qu'en passant d'un peu plus de 1% PIB de l'Union européenne à 3%, le budget européen deviendrait le premier budget de l'Union, devant celui de l'Allemagne. Reste à faire avaler cela à l'Allemagne. Et au passage, à entériner la sortie définitive du Royaume-Uni, dont on ne voit pas bien comment il pourrait tolérer qu'une taxe financière, donc payée en grande partie par son industrie phare, finance ce grand bond en avant.
Les mesures pour positiver l'Union européenne qu'avance le candidat Hollande sont donc très hautement irréalistes.
On doit donc plutôt s'attendre à ce que, des engagements du candidat Hollande, ne reste que l'aspect austère : "La réduction des déficits et de la dette est un impératif. Si les Français m'accordent leur confiance en mai 2012, je demanderai au Parlement de voter une loi de programmation des finances publiques sur le retour à l'équilibre de nos comptes avant 2017." De plus, cet engagement ne vaut pas, il ne s'agit là que de l'application des engagements européens. Naturellement, écrire "si les français m'élisent j'appliquerai les traités européens et le pacte de stabilité renforcée", ça fait moins chic.
Pauvre président Hollande. Pour lui, "l'enjeu n'est pas seulement la sortie de la crise. Il est aussi de refonder le projet européen. Celui-ci ne peut se réduire à l'austérité et à une simple coordination intergouvernementale, sans ambition. Les peuples s'en détourneraient définitivement."
De fait, les peuples s'en sont détournés depuis longtemps, tant et si bien que le grand jeu consiste à faire évoluer les traités sans jamais les consulter, les peuples. On sait trop bien qu'aucune fête de la Fédération n'accueillerait l'émergence du superpouvoir européen dont Hollande se fait le héros en pointillés - se posant à grands fracas en défenseur de la République, et mezza voce, dans le Monde, en fédéraliste européen.
L'ambiguité culmine dans la conclusion : "Tout cela donnera naissance à ce "fédéralisme des projets" que j'entends discuter avec nos partenaires et amis européens pour le proposer au peuple français et demain à l'Union européenne tout entière."
Il annonce donc qu'il va proposer un fédéralisme des projets aux français et demain à l'Union européenne. Pris au sens strict, on peut lire qu'après l'Elysée, Hollande briguera la présidence de l'Union européenne (hypothèse très plausible). Mais on peut aussi traduire cela par un aveu d'impuissance : tous les projets qu'annonce Hollande (et qui ne sont qu'une synthèse de tout ce que la sphére fédéraliste européenne prône depuis que l'euro vacille : eurobonds etc.) auraient un sens s'ils étaient portés par un président de l'Union européenne s'adressant à un peuple européen. Le second n'existe pas, le premier poste existera peut-être demain car, comme d'habitude, les fédéralistes européens pensent qu'en créant l'organe on donne vie à la fonction ; mais au final et en attendant, il faut, pour les candidats du fédéralisme européen, faire comme si le machin était efficace et voulu par les peuples.
Il est chaque jour plus évident que le machin n'est ni l'un ni l'autre.