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Rencontre (Feuillets d’automne 3)

Par Montaigne0860

Elle se détacha sur la route qui longeait la colline puis dévala soudain vers lui le petit chemin goudronné que le hasard avait amené sous ses pas. Elle freina dès qu’elle le vit ; il avait levé les deux mains pour l’arrêter.

- Ah, dit-elle en soufflant, vous m’avez fait une de ces peurs ! Eh, dites-donc, vous êtes Maître… euh…
- C’est ça ! J’ai été votre avocat !
- C’est vous qui m’avez aidée à divorcer ! (Elle reprit son souffle.) Vous vous souvenez ?
- Parfaitement ! Attendez… vous, c’est…. Marielle, non ?
- Oui !
- C’était, attendez… il y a six ans, non ?
- Oui ! Ah c’est un bon souvenir tout compte fait ! Le vieux Fabre hein quand j’y pense, c’était un sacré saligaud ! Quelle idiote aussi !

Il rit. Elle eut un temps le feu aux joues, au front, jusqu’aux lobes des oreilles qui se colorèrent de ce rose que l’on ne voit qu’aux vitraux de Notre-Dame. Sans doute le couchant qui l’illuminait en plein visage y était-il pour quelque chose. Quelle splendeur! Le silence fut d’une telle tendresse qu’il crut qu’elle allait se jeter dans ses bras ; la bicyclette sans doute l’en empêcha. C’était une envie toute personnelle qui le fit sourire après coup car elle dit soudain :

- Je me suis remariée vous savez !

Il pensa : moi aussi, dans ces six dernières années au moins trois fois. Elle reprit :

- J’habite à Villers, là, c’est à un kilomètre… Je suis très heureuse. C’est magique.
- Quelle chance !

Les bouleaux en étaient écarlate.

- Ce soleil tout de même dit-il, ce couchant… Ah vous savez, je suis perdu !
- J’en suis ravie !

Il rit avec elle.

- Ne vous moquez pas !
- Non, je suis heureuse à mon tour de pouvoir vous aider !… Vous faites quoi dans ce coin perdu ?

Il la fixa dans les yeux, soudain embarrassé à l’idée de lui faire le récit de sa journée passée à monologuer dans les fondrières.

- Je ne sais pas, avoua-t-il enfin… Ah si, je cherche un château.

Il n’osa pas lui dire qu’il l’avait découvert dans un roman, que la bâtisse datait de l’époque de Louis XIII etc.

- Ah oui, le château !! Bien sûr ! Vous avez de la chance ! Il est juste là-haut derrière la colline ; tenez j’en viens, j’ai fait la lecture à la grand mère et je rentre chez moi dans le village qui est derrière vous.

Il ne se retourna pas, fit oui de la tête alors qu’il n’avait aperçu aucun village et demanda simplement :

- Vous savez s’ils peuvent me ramener à la gare de Crécy ?
- La gare ? Attendez… je peux vous donner un conseil ?
- Bien sûr !
- Vous devriez passer la nuit au château, ils l’utilisent comme gîte. Allez y de ma part !
- Pourquoi pas ?
- Je vous dis ça, mais bon, ils ne sont pas spécialement accueillants… Oh, pour une nuit, sourit-elle après une pause. C’est un beau lieu qui devrait vous plaire… et la grand-mère ne manque pas d’intérêt !
- La grand-mère… pourquoi lui faites-vous la lecture ?
- Elle est presque aveugle, je lui lis des romans. C’est mon métier.
- Lectrice ?

Elle fit oui de la tête. Plus la lumière baissait plus elle lui semblait belle. Il se jura de lui faire la bise lors de leur séparation pour toucher au moins une fois ses joues du bout des lèvres. Vieux fou. Elle l’observa tranquillement quelques secondes en souriant puis saisit son guidon.

- Excusez-moi, je suis attendue… ah si j’avais pu deviner que je vous trouverais là à deux pas de chez moi…

Elle s’installa sur la selle, le couchant caressait d’un ultime orangé la peau de son visage.

- Euh, encore une chose, je voulais vous dire, quand le vieux Fabre m’a accusée de l’avoir trompé dans notre première année de mariage, vous vous souvenez ?
- Oui…

Il était interdit et redouta ce qu’elle allait dire.

- Eh bien en fait vous vous êtes battu sur ce point, montrant combien il était tyrannique, mais… comment dire ? Je fréquentais déjà mon mari actuel !
- Vous m’avez menti ! (Il rit). Vous avez bien fait. Vous m’auriez dit la vérité, j’aurais peut-être eu moins de conviction. Ce n’est pas grave, c’est même très banal ; si vous saviez comme je vous comprends ! (Il rit encore).
- Je vous remercie. Ça me soulage de vous l’avouer. Enfin… c’est de l’histoire ancienne.
- Bien sûr !

Elle lui tendit la main par dessus le guidon. Il la serra après une hésitation.

-Vous montez le chemin et vous verrez le château à votre droite. Vous ne pouvez pas le rater ! Bonne nuit !
- Vous aussi ! Bon retour au village ! Portez-vous bien !

Sa voix portait à peine, comme s’il était enroué. Il ne tourna pas la tête lorsqu’elle repartit mais il eut longtemps à l’oreille le battement du porte-bagage sur le garde-boue arrière. Beau rythme énergique, quelle musique !


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