Télépathie

La tête de mes petits camarades, ce matin, quand je l’ai déposé sur mon bureau ! Encore un ordinateur ? Je leur avais déjà présenté tout mon arsenal, du netbook aux tablettes en passant par mon magnifique « 17 pouces ». A quoi pouvait donc bien servir encore celui-ci ? Eh bien à rien, et pour cause. Inutilisable, mis au rebut depuis longtemps en raison d’un clavier totalement réfractaire, je l’avais ressorti des limbes avec une idée bien précise : le faire réparer par télépathie. Oui, vous avez bien lu : je voulais donner une seconde vie, une seconde chance, à un vieux PC à la retraite en faisant appel aux services d’un mage vaudou. J’allais téléphoner à Mamadou N’Guéyé, « sorcier, mondialement connu dans le quartier », ainsi que l’explique le prospectus, et qui promet, depuis Nice, de réparer les PC « par télépathie. Résultats garantis ».

Depuis le temps que l’affichette publicitaire est scotchée sous mes yeux au bureau, qu’elle circule et ressurgit régulièrement sur le Web (comme ici : http://goo.gl/qj0bs, ici http://goo.gl/3VzLi, ou alors sur son – vrai ou faux – profil Facebook http://goo.gl/tiuVi), il fallait que j’en aie le coeur net. Pour être certain d’accomplir par ailleurs mon devoir chronique, j’avais prévu des solutions de secours, en me rendant sur la page du réseau des marabouts (http://www.marabouts-voyants-africains.com). Où l’on peut faire appel à des spécialistes pointus, comme celui-ci qui ne consacre sa magie qu’au redémarrage de motos russes exclusivement. Ni allemandes, ni japonaises.

Et puis au moment de saisir le combiné, la moquerie aux lèvres et déjà dans la plume, un doute, une ultime retenue. Rire de qui, de quoi ? Moi qui passe le plus clair de mon temps dans un univers virtuel, peut-être pas moins tenu par les illusions et les faux espoirs que le monde de Mamadou N’Guéyé. N’avons-nous pas tous besoin de croire à un Mamadou N’Guéyé qui répare à distance nos PC et nos vies ? Alors j’ai raccroché, piteux, et, machinalement, j’ai rallumé mon vieil ordinateur. Le clavier fonctionne de nouveau.

(Publié dans le Monde daté du 2 novembre 2011)

Olivier Zilbertin