Eva Joly, début décembre (CHESNOT/SIPA)
La candidate écolo aux lunettes rouges, Eva Joly, affiche son engagement pour les logiciels libres et contre les lois répressives telles qu’Hadopi ou Loppsi.
Et pour être force de propositions, la candidate d’Europe-Ecologie-les Verts a invité à son QG de campagne, jeudi 15 décembre, le père du logiciel libre et militant des droits numérique Richard Stallman. “Les propositions de Richard [Stallman] sont très intéressantes, très écolo, et pourraient être intégrées à mon programme”, affirme-t-elle.
A l’issue d’une réunion de travail avec ce pape de l’informatique, Eva Joly répond aux questions du “Nouvel Observateur”, accompagnée de Frédéric Neau, responsable des activités internet d’EELV.
Quelle est votre programme sur les questions numériques pour 2012 ?Eva Joly : Dans notre programme, nous voulons promouvoir le logiciel libre, seule façon d’assurer la liberté des citoyens, de ne pas être géolocalisable, de ne pas être espionné. Nous sommes aussi en faveur d’un modèle qui permet le partage. En ce sens, nous allons intégrer une partie des propositions révolutionnaires de Richard [Stallman]. Le numérique rejoint les préoccupations écologiques pour le bien commun. La liberté du net est un bien commun. Nous ferons tout pour la préserver, au même titre que nous souhaitons préserver la variété des semences. Nous sommes contre le brevetage du vivant qui revient à priver les Boliviens de leurs haricots au profit de Mosanto. C’est une lutte globale pour les biens communs, pour la liberté et pour les possibilités d’épanouissement dans le partage. Nous voulons enfin lutter contre la société de surveillance.
Quelle est votre position sur l’autorité de lutte contre le téléchargement illégal, l’Hadopi ?
E. Joly : Nous voulons une abrogation pure et simple de l’Hadopi, qui est une absurdité. Une instance extra-judiciaire ne peut pas décider de priver les citoyens d’une liberté aussi fondamentale que l’accès au net, donc de l’accès au monde. Pour nous, cette idée est insupportable. Par contre, nous sommes pour la rémunération des créateurs pour laquelle nous proposerons un système de rétribution de la création. Nous concrétiserons tout cela dans un projet formel qui arrivera en février.
Frédéric Neau : Hadopi est une mauvaise réponse à une mauvaise question. L’erreur de base a été de dire : ceux qui échangent des fichiers sur internet sont des pirates. Fondamentalement, si je prête un bouquin, ce n’est pas de la piraterie. Les problèmes des créateurs datent d’avant le Web. En fait, internet apporte beaucoup plus de solutions que de problèmes. Nous allons donc proposer une légalisation du partage sur internet et une solution pour la rémunération des artistes. Ce sera un mélange de différentes solutions, dont le mécénat global et la contribution créative.
E. Joly : L’idée de Richard [Stallman] de redistribuer les bénéfices à tous les acteurs est très intéressante. Il s’agit de faire payer aux internautes une somme forfaitaire mensuelle. Les internautes pourront alors attribuer jusqu’à un tiers de cette somme aux artistes et oeuvres de son choix. Le reste sera réparti selon un sondage de popularité qui prend en compte la racine cubique – par exemple, un artiste qui sera 1.000 fois plus populaire sera payé 10 fois plus. C’est novateur et cela permet d’instaurer une nouveau rapport entre internautes et artistes.
Vous êtes également ferme sur l’accord anti-contrefaçon, Acta, sur le point d’être adopté par le Conseil de l’Union européenne.
E. Joly: Sur l’Acta, le rejet est total. C’est un projet anti-écologique.
F. Neau : Acta concerne tous nos sujets : les médicaments génériques, les semences, le partage de fichiers.
Que pensez-vous du projet socialiste sur le numérique ?
F. Neau : Pour l’instant, il n’y a pas de réponse claire à ces questions dans le projet du PS. Il n’y a que des pistes. L’abrogation d’Hadopi est dans l’accord avec Europe Ecologie-Les Verts, mais pour l’instant [François] Hollande a dit que cet accord ne l’engage pas. [Martine] Aubry était très ferme sur l’Hadopi, comme elle était très ferme sur le nucléaire… On verra. Le problème du PS, c’est qu’on ne peut pas, comme ils sont en train de le faire, dissocier le programme culturel et le côté business. Même l’aide aux PME passe par la légalisation du partage.
Comment comptez-vous développer l’économie numérique ?
F. Neau : Pour l’instant, les entreprises ont besoin d’un environnement légal stable pour se développer. Le meilleur soutien aux start-up serait d’arrêter de changer la loi toutes les 15 secondes ! Pourquoi Dailymotion n’est pas plus gros que YouTube ? Dailymotion a commencé plus fort avec un modèle qui marche très bien, sauf qu’ils sont en France et qu’on change les lois tout le temps en demandant de se charger de multiples systèmes de contrôle.
Pourquoi Europe-Ecologie-Les Verts se positionne-t-il autant sur le numérique ?
F. Neau : La cohérence entre le numérique et l’écologie est la même que cette remise en question induite par les indignés. 2012 c’est la fin d’un monde ! Nous sommes dans un moment de transition, vers un modèle pas complètement écrit, mais dont les pistes commencent à se faire connaître. Cela paraît évident que la solution n’est pas de protéger les gros comme Vivendi Universal ou EMI. Le numérique, comme l’écologie, est un sujet qui remet en question la recherche, la production, la diffusion et la consommation.
Interview d’Eva Joly, candidate d’Europe Ecologie-Les Verts à l’élection présidentielle, et de Frédéric Neau, responsable des questions numériques du parti, par Boris Manenti
INTERVIEW. Eva Joly : “Légalisons le partage sur internet !” – Présidentielle 2012.