La collection "Anticipation" avant Louis Thirion En mars 1951 apparaît en librairie Les Conquérants de l'Univers, de F. Richard-Bessière, premier titre de la collection Anticipation lancée par le Fleuve Noir. La couverture de Brantonne n'arbore pas encore les couleurs flamboyantes qui, longtemps, permettront à l'amateur d'identifier la série au premier coup d'oeil, la petite fusée sur le dos de la couverture est loin d'avoir atteint son degré suprême de stylisation, le contenu du livre lui-même ne ressemble guère à ceux qui lui succèdent, mais les choses vont très vite se mettre en place et le space opera se taille la part du lion, chez les auteurs tant francophones qu'anglo-saxons. L'ambiance générale est alors assez proche de celle des pulps américains d'avant-guerre : robots, inventeurs géniaux, savants fous, voyages dans l'espace, le temps, l'infiniment grand ou l'infiniment petit, invasions de la Terre et enlèvements par les extraterrestres... Mais plus que ces thèmes, dont la plupart ont déjà été traités chez nous, c'est une certaine vision de ceux-ci qui a franchi l'Atlantique par le biais des collections qui, comme le Rayon Fantastique, font la part belle aux traductions - et, peut-être, par celui de l'ufologie, dont Jimmy Guieu, l'un des piliers de la collection, est l'un des pionniers en France. La littérature soucoupiste aurait pu notamment servir de vecteur à certains clichés. De surcroît, l'Anglais John Russell Fearn, publié en Anticipation sous le pseudonyme de Vargo Statten, se trouve être un auteur typique de ces magazines qui ont vu naître la SF moderne, et l'on peut supposer qu'il a influencé au passage Jean-Gaston Vandel et B.R. Bruss, ses collègues francophones, mais aussi des gens comme M.-A. Rayjean ou Stefan Wul, qui font leur entrée dans la collection à la fin des années 50. Wul marque en un sens l'arrivée de la modernité. Avec ses intrigues haletantes et ses solutions délirantes, son sens du récit et son lyrisme dérivé de son goût pour la poésie, ses idées surréalisantes et ses décors hauts en couleur, à l'image des couvertures qui les illustrent, il façonne un archétype du space opera à la française que l'on redécouvrira dix ans plus tard, à la faveur de la réédition d'une partie de ses oeuvres chez Laffont et Denoël. On ne peut guère lui comparer que Gérard Klein, signant Gilles d'Argyre, et André Ruellan, sous son pseudonyme de Kurt Steiner, qui prendront épisodiquement la relève au début des années 60. La première moitié de la décennie est placée sous le signe de l'hégémonie d'une poignée d'auteurs « maison ». Aux noms déjà connus sont venus s'ajouter Maurice Limat, transfuge des fascicules d'avant-guerre, et Peter Randa, pour qui le terme fasciste ne semble pas usurpé. Il faudra attendre 1966 pour que de nouvelles signatures apparaissent : Pierre Barbet, J. & D. Le May et surtout K.-H. Scheer et Clark Darlton, principaux auteurs de la série germanique Perry Rhodan qui connaîtra un grand succès, en partie grâce aux adaptations de Jacqueline H. Osterrath. A cette époque, qui voit également l'abandon des traductions anglo-saxonnes, Anticipation change progressivement de format et publie désormais trois titres par mois. A partir de l'apparition de Wul, le space opera occupe une place prépondérante au sein de la collection. Tous les auteurs y sacrifient, avec une nette prédilection pour les guerres spatiales, qui font pendant aux invasions extraterrestres et autres récits cataclysmiques ou post-cataclysmiques suscités par la Guerre froide. Mais tandis que Randa, puis Barbet, mettent en avant le rôle des militaires - le premier éprouvant une affection toute particulière pour les soldats de fortune, tandis que le second est fasciné par les grandes campagnes napoléoniennes -, B.R. Bruss privilégie les conflits étranges aux solutions pacifiques. Chez les autres auteurs maison, la guerre reste souvent au rang de péripétie, sans occuper le centre du récit, même si les militaires sont souvent à l'honneur. L'irruption de Perry Rhodan et de ses affrontements stellaires démesurés qui doivent beaucoup à E.E. "Doc" Smith ne fait que renforcer cette tendance. Au milieu des années 60, le héros typique d'Anticipation porte plus souvent l'uniforme que la blouse blanche. En une quinzaine d'années d'existence, la collection a vu se développer un certain nombre de clichés. Celui du héros militaire combattant de hideux extraterrestres est certainement l'un des plus frappants, car il recouvre une réalité inconsciente. L'alien, c'est le communiste ; et si tous les auteurs ne sont pas aussi dangereusement extrémistes que Randa, le petit groupe de gros producteurs se classe nettement dans le clan conservateur.Roland C. Wagner