Magazine

Etre noté ou ne pas être...

Publié le 06 février 2008 par Christophe Benavent

Un fait d’actualité récent, sans rien apporter de vraiment neuf, a ceci de spectaculaire, qu’il nécessite d’en faire un objet prioritaire de nos recherches sur les rôles des technologies dans les politiques marketing. Le fait est simple : le lancement d’un site de notation des enseignants, ce 29 janvier 2008 : http://www.note2be.com/.

Le fait n’est pas nouveau, l’invention de ce procédé peut être attribué a e-bay dans son système de notation, mais cette tendance est universelle comme en témoigne le rôle accru des agences de notation, mais aussi cette initiative du gouvernement qui vise à faire évaluer l’action de ses ministres. A vrai dire, on pourrait penser qu’il ne s’agit que d’une généralisation des sondages d’opinions inventés il y a bien longtemps. Rien de neuf, le seul spectaculaire est que l’initiative devance une commission bien obscure de Xavier Darcos, et généralise une tendance lourde de notre société. L’amusant résidera sans doute dans la levée de bouclier de ses présumées victimes. Rien de neuf mais l’occasion de réfléchir à cet instrument de surveillance que la technologie, si elle ne l’invente pas, généralise.

Ce fait intéressant n’est pas dans la notation elle-même, mais dans la généralisation de sa production. Il y a bien longtemps que l’on note, notamment à l’école, dans l’administration, au sein des entreprises. Mais toujours la notation a été le monopole des experts et sa communication un exercice prudent. La nouveauté, introduite par e-bay – ce qui est a vérifier historiquement- est de faire que la note d’une part soit produite par l’ensemble des participants, et d’autre part communiquée massivement. A l’expertise de quelques uns se substitue l’intelligence des foules.

Avant de poursuivre sur ce thème, revenons sur le principe même de la notation. Noter consiste à évaluer un test par une certaine quantification. La qualité de la note réside dans sa faculté à objectiver une performance et s’appuie sur la pertinence des critères employés et de leur composition, ainsi que sur la capacité des évaluateurs à faire correspondre la performance et la notation. Validité, fiabilité et sensibilité sont ainsi les qualités fondamentales de cet exercice. Inutile de développer ce point, nous renvoyons le lecteur à la riche littérature qui porte sur les échelles de mesure. Attachons nous à la question de l’objectivation. La note n’est pas la performance, et son existence tient finalement à ce que la performance n’est pas si observable que cela. Plus simplement dit s’il existe des agences qui notent de risque, c’est que le risque lui-même est peu perceptible par les acteurs économiques, si les professeurs notent les élèves c’est que leur performance scolaire sont finalement assez peu observable, si les clients de e-bay notent les vendeurs c’est que l’honnêteté de ces dernières est difficilement appréciable. Il y a besoin de noter chaque fois que la performance n’est pas observable par ceux qui ont besoin d’en tenir compte. Des agences notent les firmes car les entreprises sont incapables d’en connaître le risque, les professeurs notent les élèves car les parents n’ont aucune idée du talent de leurs enfants, on note les vendeurs car personne n’a idée du degré de confiance que l’on doit leur accorder.

La notation est ainsi une convention sociale qui permet aux différentes parties de s’accorder sur les attributs d’un sujet. Sa valeur (validité, fiabilité, sensibilité) dépend apparemment du procédé de notation. La force de la convention réside dans l’adhésion au procédé. De ce point de vue, il faut remarquer que la notation n’est pas qu’une question de qualité de mesure, mais a la valeur d’un rituel. Les notes délivrées à l’école procèdent en effet plus du rituel que de la méthode scientifique. Chacun sait que tel professeur note généreusement, l’autre sévèrement, cette simple variété met en cause l’objectivité de la note, mais au fond personne ne s’en soucie. Un accord général se constitue autour de la légitimité de la notation, sans que personne ne se soucie de sa scientificité. Pour que les choses soient claires, une mesure est peu valide si elle dépend de celui qui la produit. D’une agence de notation financière a une autre des écarts peuvent être notés, personne n’en tient compte vraiment, seul compte la légitimité de l’agence pour croire que la note est vraie. Les notes fournies par e-bay ont une certaine variance, mais au bout du compte chacun s’accorde à donner à la moyenne une valeur de vérité. Ce qui fait la valeur de la note n’est pas le procédé de notation, mais son caractère rituel : les évaluateurs sont des prêtres, la notation est une liturgie. Ce qui importe au fond n’est pas que la note soit bien construite, mais qu’elle respecte la messe. Dans le système classique, la valeur de la note réside dans l’autorité de celui qui la prononce.

Revenons au changement des procédés de notation. En une image disons que l’on passe d’un rituel à l’autre, de l’or des églises au mouvement charismatique. Ceux qui délivrent la note ne sont plus les prêtres investis de toute la science théologique, et d’un savoir patiemment acquis, mais ce tout un chacun, libre et responsable qui estime avoir une opinion à donner. Chacun peut se tromper et c’est pourquoi dans le nouveau rituel de la notation une importance toute particulière est donnée à l’agrégation. Plus nombreux seront les évaluateurs et plus précise sera la note. Plus légitime. A la légitimité des experts, succède ainsi la légitimité des pairs. Le nombre supplée à la qualité.

Ce que la technologie apporte réside finalement dans cette capacité à faire le nombre. Elle va au-delà aussi. Elle modifie le rituel dans sa temporalité. Quand autre fois la note se constituait dans un événement discret, une cérémonie initiatique (Pensons au baccalauréat), la technologie invente un rituel continu. La notation est permanente. A poursuivre l’analogie religieuse on passe de la messe dominicale au Téléshow évangéliste. Le rite demeure, mais plutôt que de se constituer dans la foule en un moment et un lieu discret, répondant au règle de la tragédie, il devient une prière individuelle qui s’agrège continûment aux flux des autres dans les cathédrales ubiquitaires que sont les plateformes qui les incarnent.

La force des nouvelles notations ne réside pas plus que les anciennes dans leur valeur de vérité (Une correspondance étroite entre la note et la performance notée), mais dans l’adhésion des acteurs au rituel de la notation. Le succès de note2be résidera dans l’adhésion au système. La résistance des notes des enseignants dans leur autorité. Evitons de faire des pronostics !

Je n’ose relever l’ironie de la marque, l’allusion à Hamlet est si explicite, comme tout rituel, la notation ne tend pas réellement à évaluer qu’à faire exister.Bien ou mal noté, qu’importe, être c’est être noté. De ce point de vue l’initiative est remarquable, et finalement répond à un besoin essentiel : l’existence sociale. Et c’est bien le rôle des rituels qui rassemblent en différenciant, associent dans la liturgie, crée le corps social dans l’émotion quelle suscite, mais maintiennent l’existence individuelle dans le corps social en donnant à chacun des places distinctes.

Le remarquable enfin est que ce qui porte le rituel n’est plus l’institution au sens classique, mais une plateforme technique. La médiation sociale s’inscrit moins dans un système de valeurs, de croyances, d’habitude, de convention, que dans des procédures, des techniques, des plateformes, vides de sens, mais capable en liant des masses d’individus, de susciter les mêmes effets que les religions ou des institutions politiques telles que la démocratie.

En conclusion, autour d’un fait anecdotique, on peut se demander dans quelle mesure la technique peut se substituer aux croyances pour réorganiser le corps social. Si cette hypothèse est juste, ses conséquences en termes d’ingénierie sociale et commerciale (Une autre façon de parler de marketing) sont particulièrement importantes. Alors que jusqu’à présent l’effort entrepris par les marketeurs, les publicitaires, et autres acteurs de la communication visait à faire en sorte que des croyances partagées s’établissent et lient les consommateurs à leurs marques (les profs à leurs élèves, les banques à leurs clients….), il suffirait de construire les bonnes plateformes technologiques pour générer de nouveaux rituels et créer ce lien qui est le Graal du marketing moderne.

C'est ce qu'a fait E-bay, ou Amazon. Notre hypothèse forte est que les procédés de notation que ces firmes ont développés ne joue pas tant le rôle d'un susbstitut de confiance, que de fédérer des communautés, de construire un corps social, autour d'un rituel. Le rituel de la notation.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Christophe Benavent 205789 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte