Nouvelles lubies !! Peut-être…
Plus sérieusement, vrai recensement des rues, de Paris pour le moment, qui posent problème. Par l’innocence d’une dénomination qui dissimule une réalité bien moins anodine. Par une appellation curieuse, cabalistique, tortueuse, pompeuse, ou ridicule. Des rues qui interrogent. Qui laissent perplexe. Qui excitent la curiosité. Qu’on voudrait parfois habiter quelques temps pour ce qui s’y passe peut-être, sûrement, ou pour ce qui ne s’y passe pas, jamais, parce qu’il ne s’y passe rien. Des rues aménagées comme du mobilier dans une salle d’attente. Des rues qui sont un village, une ville, presque autonome. Des rues passages entre d’autres. Des rues froides ou chaude par nature quelque soit la saison. Des rues lucarnes. Des rues longues vues. Des rues canales. Des rues fossés.
Petites restriction, que je peux avancer comme provisoire, et puis on verra bien ; ça ne concerne pas les boulevards, ni les avenues, ni les places. Ni les impasses.
Rue de Meaux
Le rue de Meaux n’en a pas l’air. Elle en a l’x, avec un noeud qui se crut elle. Peut-être, à l’origine, le complexe est-il là. Suivre ça à la lettre peut relever pourtant d’une vue de l’esprit.
Je parle ici de la rue de Meaux à Paris.
D’aucune autre qui pourrait, dans une bourgade de province, où dans une ville plus importante dont nos régions se flattent de faire des métropoles, rappeler pour d’obscures raisons l’ancienne capitale de la Brie, actuelle sous-préfecture de la Seine et Marne, dont les habitants sont appelés les Meldois ou les Meldusiens lorsqu’ils se gratifient d’être du sexe mâle et les Meldoises ou Meldusiennes lorsqu’elles s’emploient à être du sexe fort. Anciennement, dans un patois, forcément plus facétieux, ont nommait les habitants de Meaux les Miauleux et les Miauleuses. On peut ne pas déplorer la désuétude de certains patois : pas moi.
Je ne connais aucune autre rue de Meaux que celle de Paris, dans le 19me arrondissement.
Concrètement la rue de Meaux à Paris se présente en son début, car elle est affligée comme de nombreuses rues d’un sens unique, sous la forme d’un entonnoir d’où les autos, et autre véhicules à roues ou à chaussures peuvent s’extraire de la place du Colonel Fabien où ils auront plus ou moins longtemps tourné en rond devant l’immeuble du Parti Communiste Français. Longtemps après, si on doit aller jusqu’au bout, si tout nous y conduit, si aucune tangente ne nous tente, cette rue aboutit en un vague delta où se jette le rue du Rhin, que croise la rue de Crimée, où s’impose l’avenue Jean Jaurès. Je dis vague delta car cela se confond avec un espace auquel il semble qu’on ait pas su donner un nom alors que vraiment il y a de la place.
Longtemps après, car la rue de Meaux est longue. Vue sur un plan, elle ne le paraît guère. On observe qu’elle s’accomplit d’une courbe légère, d’une inclinaison subtile. Dans cette subtilité on constate cependant qu’une ambition sournoise la parcoure d’épouser rien moins que le globe terrestre. Frustrée, on le serait à moins, de n’en avoir aucunement les moyens, elle s’efforce alors, dans une sorte de mirage qui se réaliserait, d’être longue, très longue, de rivaliser avec des rues comme celle de Crimée, et mieux, comme celles de Vaugirard ou des Pyrénées, dont elle est pourtant très loin, en tout cas, d’avoir les dimensions.
Mais c’est le caractère de certaines choses de nous flouer par l’ingéniosité qu’elles ont à se venger d’un sort dont elle souffre : pour qui l’emprunte et n’a rien à faire de bifurquer sur son cour à l’intersection de l’avenue Secrétan, ou à celle de l’avenue Armand Carrel, plus modestement dans la rue Lally-Tollendal, si évidemment tentante, ou rue de la Moselle, sans la Meurthe, il faut aller jusqu’au bout de la rue de Meaux : et c’est interminable.
La rue de Meaux est interminable.
C’est ainsi qu’elle peut prétendre que, si elle n’a pas la longueur de certaines autres, c’est par suite d’un injuste partage, c’est du fait d’un ordre inique, c’est la conséquence d’un cadastre contestable.
Sans doute que les riverains, alors qu’il n’y a aucune rivière, et pour ainsi dire pas trace de la moindre rive – la Seine est loin et le bassin de la Villette y est invisible – n’ont pas tellement conscience de ce dont cette rue, qu’ils habitent, souffre : le sauraient-ils, qu’y pourraient-il ? On connaît les problèmes de logement dans cette ville et on ne choisit pas aisément de loger ici ou là.
On préfère alors comme souvent ignorer le problème ou y mêler le sien et en faire sa propre souffrance, revêtue ou infusée d’une peine d’amour ou d’une difficulté professionnelle. Ou autre. Les sujets manquent rarement.
Ajoutons que la topologie même de cette rue, profitant des bas contreforts de la Butte Chaumont, se soulève sensiblement, présentant de la sorte une première partie montante, quoique assez chichement, et une partie descendante ensuite tout aussi faiblement. Cette conviction d’un relief un peu prétentieux participe des artifices qu’elle impose pour se masquer d’importance.
Reconnaissons que cela ne fonctionne pas si mal. Si l’on n’y réside pas, si on doit la parcourir d’un bout à l’autre, cette rue est sans fin. Fatigante. Bien qu’un beau marché couvert y soit posé plutôt majestueusement, qu’une église, celle de Notre Dame des Buttes Chaumont, y propose pour les croyants et les désespérés, qui ne sont pas toujours les mêmes, un havre éventuel, rien n’y fait.
La rue de Meaux oppresse. Elle fait penser à une cantatrice qui serait parfaitement parvenu à peser plus de cent kilos sans pour autant pouvoir sortir de notes autrement que dans des souffles étouffés.
Oh, je ne lui en veux pas. Que nul ne se méprenne. D’ailleurs, de spéculation las, il m’arrive de m’y engager, la plupart du temps tard le soir ou tôt le matin, baissant la tête, prêt à traverser la Sibérie pieds nus, pour lui faire croire, que je me rends aux grandeurs fallacieuses de ses vanités pathétiques. Dans l’espoir qu’elle voudra bien avoir la mansuétude de ne pas trop allonger mon trajet de sa longueur chimérique.
Concernant la possibilité de prendre cette rue de son delta imprécis jusqu’à la place du Colonel Fabien, à condition alors de n’être véhiculer que de souliers, de baskets, de bottes, de bottines, d’escarpins, ne nous illusionnons pas : la névrose infiniste de la rue de Meaux est la même.Je dois préciser aussi, en vue d’alléger mon considérable débit sur le comte de l’honnêteté, que les reproches que je fais à cette rue n’ont rien à voir avec la ville de Meaux, où je crois bien n’être jamais allé, qui est à ce qui paraît une très jolie ville, et n’a rien à voir non plus avec le gougnafier arrogant qui en dirige actuellement, et malheureusement, la municipalité.