Les sueurs de la terre, aux odeurs retenues
Dans le grain des tourbes et le gras des argiles,
Montent d’une eau suspendue, dense et immobile,
Sur les champs endormis et vers les arbres nus.
Le froid et la blancheur qui montrent les haleines
En forment un silence mat de porcelaine.
Une fine matière presque transparente,
Fluide, pâle, impalpable sous un ciel de lait,
Où nulle vie se manifeste sans qu’elle ait
La crainte d’en troubler l’inertie sidérante.
La douleur elle-même y trouve l’hébétude,
Et je t’y sens harmoniser ta solitude.
Non je ne t’y vois pas dénué de démons,
Oublieux du grain d’or ni des châteaux de l’encre,
Ni des ailes ni de leurs falaises où s’ancre
Ton icare vertige éloigné du timon.
Les fleurs alambiquées, dissoutes dans ton sang,
Ton aimant se repose à peine pâlissant.
Je sais, grands ouverts, tes yeux y être les mêmes,
Scrutant dans les tissus de ces vêtements d’âme,
Tout ce qui te renvoie aux profondeurs des flammes,
Aux ampleurs des estrans, à la source des gemmes
Qui perlent sur tes joues. Et ce que c’est d’y vivre
Page nue entre les pages noircies d’un livre.
C’est ici des sentiments le trouble réduit.
La fréquente retraite aux exils apaisants.
Le no where land au parfum de nuque pliant,
Et par l’offre du néant nos désirs séduits,
Par nos mêmes dangers je m’y suis emmené.
Je ne t’y rejoins pas ; comme toi j’y suis né.
Tu m’y croises souvent. Je viens m’y abriter.
Lorsque tous deux avons épuisé les chimères,
Qu’elles sont endormies, infini éphémère,
Nous laissant solitaires dans l’inanité.
Dans l’encens opalin dont s’enfume l’aurore,
Comme dans ton rêvoir, nous nous verrons encore.
Illustration : Nicolas de Staël (j'ai pas le titre ...)