Qu'il me soit permis de citer ici une première conclusion écrite par Julie © suite à ce billet :
"Il existe donc des critères d'appréciation qui permettent un jugement collectif pertinent sans qu'ils soient exclusifs d'émotions nécessairement plus personnelles qui se prêtent mal à une moyenne statistique."
Les résultats des sessions du GJE, depuis 1996, ont une constance remarquable : donner des boutons de surchauffe à quelques esprits qui n'aiment pas du tout ces comparaisons à l'aveugle. C'est pas toujours très beau.
Cela va de la critique saine, intelligente, motivée et surtout argumentée (que l'on respecte) aux anathèmes affligeants de primaires n'acceptant simplement pas la remise en cause de hiérarchies ± officielles.
On ne va pas revenir ici sur les insuffisances de ce type de dégustation, essentiellement la difficulté de prévoir des évolutions qui ne sont généralement confirmées que par la connaissance historique des crus référencés. Nous avons été les premiers, nous-mêmes, à le dire et redire : ces dégustations sont des photos à un temps T.
On ne va pas revenir non plus sur les biais des dégustations ouvertes où, consciemment ou non, le dégustateur juge un produit non pas seulement sur ce qu'il est au moment où il le déguste, mais sur ce qu'il peut devenir des années ou des décennies plus tard. Et ce, grâce à une fréquentation de vieux millésimes et de lectures idoines.
En ayant bien conscience qu'il s'agit d'un raccourci audacieux, chacun comprendra quand même qu'il n'y a pas de danger, pour un dégustateur, de dire d'un Lafite ou d'un Latour qu'il sera grand plus tard, tandis qu'il ne prendra là aussi aucun risque en disant d'un Rollan de By que dans dix ans, ma foi…
Bref : ce n'est que mon opinion, mais je trouve qu'il y a un peu plus d'objectivité à déguster à l'aveugle qu'autrement. Faut-il rappeler que c'est là la règle fondamentale, écrite constamment en première page du Wine Advocate, du seul critique ayant une réelle influence internationale, Monsieur Robert Parker ?
Ceci dit, pourquoi comparer ? Pourquoi ne pas se contenter de commentaires absolus sur chaque cru, sans que ce commentaire soit nuancé par rapport à d'autres ? Si nos professeurs nous ont bien appris que Bach ne se compare pas à Wagner, que Fra Angelico n'apporte rien à Picasso, que Molière n'est pas Racine, on nous enseigne quand même que Bach a été un génie du baroque là où d'autres étaient de bons tâcherons. On nous apprend, par comparaisons, ce que Van Gogh apporte en sus, en émotion, par rapport à tel autre.
Pratiquement tout, sur cette terre, s'apprend, se juge, s'évalue, se pèse en termes comparatifs sans pour autant, naturellement, mélanger du boeuf et du hareng. Dire que vous courrez le 100 mètres en 10 secondes : OK, why not ? Mais dire que vous êtes seulement une douzaine à pouvoir le faire sur cette planète, c'est autre chose. Bref, beaucoup de la valeur des choses est le résultat d'apports comparatifs.
Alors, pour revenir au vin, restons fondamentalement modeste. On ne s'amuse pas à comparer un chinon avec un gewürztraminer ni un champagne avec un porto. En l'occurence, on est ici, avec la dégustation "Balthus", à Bordeaux où 90 % des buveurs ne connaissent probablement pas la différence entre rive gauche et rive droite. Il n'y a aucune horreur à comparer donc un Balthus avec d'autres vins de la même région, basés sur des assemblages de cépages identiques, et, naturellement, de même millésime.
S'il faut limiter les vins mis en session sur des critères de prix ou de réputation historique, merci de me donner quelques arguments valables. Pourquoi diantre un producteur n'aurait-il pas le droit de savoir où se place son vin par rapport aux icônes de sa région ? Par respect ? Mais quel respect ? Celui de l'argent ? Celui des hiérarchies historiques ?
En même temps, - et les derniers articles de Michel Bettane dans THE WORLD OF FINE WINE sont éloquents à cet égard - il faut arrêter de disséquer le vin par des analyses absconses. Je sais pertinemment que ce n'est pas demain que mes zozos accepteront facilement le nouveau système de notes que je remets ci-dessous explicité par son image simple. On est pris dans les chiffres sur 100 ou sur 20, mais quand même, quelque part, le vin reste une boisson qui est là pour animer une convivialité à table. S'il y a des oeuvres d'art comme les "vini di meditazione" (© Luigi Veronelli), - ces vins rares qui imposent le silence par l'émotion supérieure qu'ils apportent -, la vaste majorité des vins peut s'exprimer, doit pouvoir s'exprimer en simples termes de "plaisir" et d'"émotion".
Une conclusion ? Que ceux qui n'aiment pas nos travaux, pour des motifs valables ou futiles, évitent de futures crises d'urticaire, pas fondamentalement esthétiques, en s'abstenant de lire ces sources d'énervement : ils ont d'autres choses à faire, beaucoup plus importantes.
Mais bienvenue, et plus que jamais, à ceux qui acceptent le principe des comparaisons et de l'aveugle en dégustation, sachant bien qu'il y a toujours des choses à améliorer, des résultats à relativiser, des erreurs à ne pas répéter.