Une petite vidéo circule depuis quelques temps sur le net, qui cherche à présenter, en 10 minutes, le principe de la création monétaire et le mécanisme de la dette publique :
La Dette publique pour les Nuls par Bonzou
Bien que je ne dénie pas à son auteur de grandes qualités en infographie et un certain sens de la pédagogie, il me faut tout de même relever et corriger un certains nombre d'imprécisions voire de fautes dans le raisonnement économique. Pour ce faire, suivons la diffusion de la vidéo, minutes après minutes.
Tout commence par une explication sur la création monétaire où il est rappelé, fort à propos, que la monnaie est créée par les Banques centrales mais aussi par les banques commerciales lorsqu'elles émettent des prêts. La comparaison avec la baignoire que l'on doit remplir de monnaie à partir des robinets Banque centrale et banques commerciales est assez intéressante, puisqu'elle montre qu'une mauvaise gestion de la création monétaire peut déboucher sur de l'inflation si le mécanisme s'emballe ou sur une récession dans le cas contraire.
L'auteur s'interroge ensuite sur l'utilisation de l'un ou de l'autre des deux robinets évoqués précédemment. Et c'est là que ça se gâte, puisqu'il déclare que depuis 1973 en France (et plus généralement maintenant, le traité de Lisbonne), les États n'ont plus le droit de faire appel à la Banque centrale et qu'il ne reste donc plus que les banques commerciales. Je ne disconviens pas du fait que le traité de Lisbonne, dans son article 123, nous prive scandaleusement du pouvoir régalien de battre monnaie, mais de la manière dont cela est présenté, on pourrait croire qu'avant le traité de Lisbonne les États se finançaient uniquement auprès de leur Banque centrale, ce qui est faux !
En effet, les historiens ont montré que les riches marchands et banquiers n'ont cessé de prêter aux États (même si cette notion est parfois vague à l'époque) depuis le XVe siècle... d'autant que la Banque de France ne fut créée qu'en 1800 (elle n'acquiert le monopole de l'émission des billets qu'en 1803) et la FED américaine en 1913 ! De plus, pour être précis, la Banque centrale fonctionne toujours et crée encore de la monnaie, mais elle est devenue indépendante - c'est là le problème ! - ce qui signifie qu'elle n'a plus le droit d’acheter des titres de dettes publiques.
La vidéo évoque alors un prétendu pouvoir illimité de création monétaire des banques commerciales, avec pour seule contrainte éventuelle de disposer d’un certain montant de réserves fractionnaires, c’est-à-dire de monnaie banque centrale. Là, il y a clairement erreur puisque qu'aujourd'hui la création monétaire est pilotée par les Banques centrales non pas par les réserves fractionnaires, mais par les taux directeurs auxquels les banques commerciales peuvent se refinancer. Ainsi, si une Banque centrale souhaite limiter la création monétaire, elle augmentera son taux directeur, si bien que les banques commerciales se refinanceront plus chères et augmenteront en conséquence les taux des crédits proposés aux ménages et aux entreprises, ce qui limitera le volume de monnaie créé par les banques commerciales.
C'est ce qui explique tout l'enjeu des réunions de la BCE où les économistes attendent avec fébrilité de connaître l'évolution du principal taux directeur de la Banque centrale. Mario Draghi a ainsi récemment abaissé ce taux à 1 %, laissant apparaître, malgré lui, au grand jour la crainte d'une récession au sein de la zone euro, ce que je ne cesse de répéter par ailleurs !
La vidéo se poursuit alors en dénonçant le coût de l'eau de la baignoire, c'est-à-dire les intérêts cumulés de la dette. Cette présentation est doublement problématique : d'une part parce qu'on n'imagine pas un système de prêt sans intérêt (incitation quand tu nous tiens...), et d'autre part cela laisse entendre que les banques seraient les vraies gagnantes dans l'affaire. Or, même si je suis toujours prompt à dénoncer les abus et errements des banques - et de la finance en général -, j'ai souvent rappelé aussi sur mon blog que le vrai gagnant dans le mécanisme de l'endettement public est l'investisseur, pas l'intermédiaire (même si ce dernier peut faire ses choux gras au passage). Car n'oublions pas que si un Français achète un titre de la dette publique française, c'est avec l'argent des Français qu'on lui payera son coupon annuel...
La conclusion de la vidéo ne manque pas d'intérêt et rejoint nombre de mes remarques sur la question : recours à l'inflation pour réduire la dette (j'irai même plus
loin en préconisant des taux d'inflation différents pour restaurer la compétitivité de certains pays), indépendance de la Banque centrale difficile à justifier démocratiquement, hypertrophie du
système financier, etc. Lorsque l'auteur nous dit qu'il faut utiliser le robinet de la Banque centrale à bon escient pour limiter les intérêts, je réponds oui mais à condition d'avoir une
discipline budgétaire lorsqu'un État n'est pas en crise. Sinon, gare à l'aléa moral... J'ai expliqué dans cet article et lors de mes nombreuses conférences, que les problèmes de la zone euro sont liés
notamment au fait qu'il n'y a pas de transferts financiers possibles entre les États et que la BCE ne joue pas son rôle de prêteur en dernier ressort. L'endettement public n'est alors qu'un
symptôme d'un mal plus profond !
Pour finir, si toutes ces questions liées à l'endettement public vous intéressent, alors pourquoi ne pas commander au Père Noël un exemplaire de mon dernier livre consacré à la dette et qui s'intitule Comprendre la dette ?.
Ce livre se propose de guider le lecteur dans les méandres de la dette d’un État, en proposant des définitions précises, présentées de manière abordable et illustrées d’exemples, de schémas et de graphiques (41 figures et 19 tableaux). Les points les plus ardus sont amenés progressivement, et tout au long du texte des encadrés ont été insérés pour développer des points précis. Pour une plus grande lisibilité, les idées fortes d’un chapitre sont résumées dans un encart spécial dénommé « à retenir », faisant ainsi de ce livre un outil pratique que l’on peut consulter lorsque l’on cherche un point précis. Parmi les nombreux points traités, on peut citer les suivants :
* Comment est construit le budget de l’État ?
* Quelles différences y a-t-il entre dette publique, dette extérieure et dette totale ?
* Quelles sont les théories qui rendent compte des effets de l’endettement public ?
* L’endettement a-t-il toujours été utilisé dans l’histoire
* Comment les États font-ils face au service de la dette ?
* Les États grec et irlandais sont-ils menacés de faillite ?
* La dette publique est-elle un fardeau pour les générations futures ?