Patrick ROGIER – Les deux faces : 6+/10
Un premier roman prometteur, un premier roman qui se place en silence, qui se tâte, qui ne prend pas ses grands airs. Parfois hésitant, mais certainement déterminé.
Qu’est-ce que je viens d’écrire là ? Serait-ce l’influence de l’hindouisme ? (non, je vous rassure). Mais c’est assez juste, alors je laisse ces deux lignes presque philosophiques.
Plus précisément, Les deux faces, ce sont les deux visions du monde qui s’affrontent, l’une orientale et plutôt spirituelle, l’autre occidentale et plutôt capitaliste.
Le tout est enveloppé dans une histoire très plaisante que voici :
Résumé de l’intrigue :
Victor Repax a soixante-huit ans. Il est à la tête d’une entreprise créée par son père et qu’il espère voir reprise par son fils. Or, une société internationale a jeté son dévolu sur les entreprises Repax et tente de l’évincer, et ce au moyen de manipulations et intrigues les plus capitalistes possible – légales mais non morales.
C’est à ce moment-là que le destin favorise une étrange rencontre, celle avec Ankur Shrivashani, un hindouiste qui cherche une propriété dans le Sud de la France pour y créer un centre spirituel.
Une rencontre qui va bouleverser le regard que Victor Repax porte sur le monde. Il suivra Ankur Shrivashani en Inde pour y découvrir son ashrâm et le mode de vie indien, il reviendra profondément bouleversé lorsque son fils a besoin de lui, ce fils qui était, jusqu’ici, presqu’un étranger et duquel il tentera de se rapprocher.
Alors ??
J’ai apprécié de nombreux points dans ce roman :
D’abord, l’histoire est simple mais prenante. L’auteur est parvenu à éviter d’entrer dans les détails techniques du rachat des entreprises Repax, ce qui aurait pu être assez agaçant. Bon, c’est peut-être même un peu trop simplifié, mais c’est l’extrême préférable.
L’aspect spirituel était franchement passionnant. A travers ce roman nous est proposé un aperçu de l’hindouisme, de cette autre vision de la vie. Je précise que l’auteur a voyagé fréquemment en Inde, j’imagine donc que c’est quelque chose qu’il maîtrise bien.
« Les deux Faces »nous offre une étude rapide et légère de la culture indienne, une sorte d’introduction en la matière, qui englobe le quotidien, la spiritualité et même les dieux.
La présentation de l’Inde, avec ses couleurs et sa culture étonnante m’a beaucoup plu, j’ai adoré l’anecdote de Victor qui enjambe un homme endormi. Nous sommes face à une incompréhension entre les peuples qui est parfois amusante.
Vers la fin, cela devient peut-être un peu trop présent (ainsi je pense p.ex. que quelques pages d’un chapitre intitulé « le dossier » auraient plus eu leur place en fin de livre, en dehors de l’histoire même, en tant que note d’auteur pour celui qui souhaite approfondir le sujet).
J’ai bien évidemment également des critiques à formuler:
Ne vous méprenez pas, dans l’ensemble j’ai apprécié « Les Deux Faces », malgré tout ce que je vais souligner ci-dessous.
En toute logique, je vais commencer par le début : j’ai trouvé les premiers chapitres de ce roman très en dessous de ce que l’auteur nous propose par la suite. L’intrigue est amenée de façon presque scolaire, avec des sauts dans le temps pour présenter le personnage de Victor, c’est trop sec, on sent que l’auteur n’est pas encore à l’aise. Au cours des dix premières pages je me suis même demandée si j’allais continuer la lecture. Mais je vous rassure, cela s’améliore rapidement, et au bout d’une trentaine de pages on est happé par l’histoire, l’écriture devient plus fluide, on se plonge dans l’univers proposé.
A propos «d’histoire » : elle est très imaginative en ce qu’elle mêle capitalisme occidental et spiritualité indienne.
Malheureusement, certains aspects sont réduits à l’extrême, tout est trop facile, cela manque de profondeur, les développements sont trop simplistes, on manque d’obstacles et de réalisme.
Les personnages, il est vrai, sont attachants, mais certainement un peu trop lisses : Francis, le fils, est trop noir/blanc, d’autres manquent trop de conscience et encore d’autres sont trop « éthiques ». Les évolutions intérieures manquent de heurts, les caractères de relief.
Ensuite, l’ensemble manque un peu de fluidité, quelques angles auraient pu être arrondies pour améliorer le cours de l’intrigue, quelques évolutions sont un peu trop soudaines (comme le deuxième voyage de Victor en Indes, il tombe du ciel, si on peut dire, puis les avances rapides dans le temps vers la fin, tout cela n’est pas amené avec beaucoup d’adresse).
Pour finir je fermerai la boucle : je n’ai pas aimé les dernières dizaines de pages, qui, reflet fidèle du début, semblent sans personnalité, trop hâtives peut-être et bien trop scolaires.
Concernant le style, s’il est encore un peu linéaire on y sent tout de même une personnalité qui ne s’exprime pas encore totalement. Au milieu du roman, on la touche du doigt et on sent un réel potentiel.
A propos de « style », l’auteur s’est pris d’amour pour certaines expressions qu’il ne parvenait pas à lâcher, comme les « regards/yeux qui pétillent ». Il y en a pas mal. Ici, les yeux ne brillent pas, ne lancent pas d’éclairs, ne s’illuminent pas (et que sais-je encore), ils « pétillent » systématiquement.
Ensuite, parfois Patrick Rogier ne parvenait pas à se décider sur l’orthographe d’un mot. Ainsi le chien de Victor est un beauceron qui, dans la deuxième moitié du livre, devient un bosseron. Il me semble que les deux orthographes sont admises mais il faudrait tout de même se décider.
Enfin, une petite observation sur la forme (que je ne prends jamais en considération pour la notation, évidemment) : le roman aurait mérité une relecture pour supprimer les fautes d’orthographe et d’inattention.
Dans l’ensemble c’est un premier roman extrêmement prometteur. L’auteur manque certainement encore de confiance. J’espère qu’il fait partie de ces auteurs qui s’améliorent avec chaque œuvre, qui nous étonnent avec chacun de leurs romans et qui ne se contentent pas, comme d’autres, de stagner ou même de nous décevoir dès le deuxième livre.
Bref, un très joli début.