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Chapitre 3
Une fois au chaud, Michiko se prépare de nouveau du thé. Elle a repéré que le cabinet d'aisance était dans le jardin. Pas très pratique. Enfant, elle avait été marquée par le débat houleux entre son père et ses grands-parents pour l'installation des toilettes à l'intérieur de la maison et aussi la mise en place d'une ligne téléphonique... Ici, même pas besoin de chercher, elle est certaine qu'elle ne trouvera pas de téléphone.
En furetant dans la maison, elle découvre une pièce qui fait office de bureau. Plongée dans la pénombre, Michiko distingue une zone encombrée de meubles. Elle discerne les contours d'une table, de plusieurs bibliothèques et d'une commode avec des dizaines de petits tiroirs, comme pour ranger les remèdes des apothicaires. Le maigre éclairage parvient par une petite fenêtre avec juste devant un fauteuil bordeaux bien moelleux. Le bruit de la pluie est à peine atténué par la vitre. Dehors, le ciel est si sombre qu'on dirait que la nuit s'invite en avance. L'atmosphère vieillotte du lieu lui semble soudain propice à la flânerie. Elle se sent bien ici. Elle allume la lampe à huile posée sur la commode et continue son observation.
Quelques coussins posés à même le sol, sur un parquet en bois sombre. Aux murs de multiples calligraphies mais aussi de grands kakemono avec des peintures traditionnelles à l'encre de chine qui représentent surtout des arbres, des sous-bois accueillants et giboyeux. Là un lièvre, ici quelques champignons.
Une pile de livres épais joue l'équilibriste sur un petit écritoire laqué. Plusieurs sont entièrement en kanji écrits si serrés qu'elle ne peut les déchiffrer. Mais certains ont de belles gravures. Elle les parcourt un moment. Les planches botaniques sur les fruits lui aiguisent l'appétit... D'ailleurs, il y a dans l'air une odeur alléchante.
Sur la table, elle trouve une boîte avec du riz, quelques légumes saumurés et deux oeufs durs. Comme elle est seule ici, elle en déduit que ce repas lui est destiné. Au pire, elle pourra toujours dédommager son hôte avec un peu de jardinage. Ce sera bientôt la saison idéale pour s'occuper du terrain.
Après le déjeuner, Michiko s'installe sur les coussins et fait une petite sieste. Elle passe aussi du temps à contempler les étranges calligraphies qui décorent ici et là les cloisons. Un des shôji est peint de fleurs étranges. Plus elle les contemple et plus il semble qu'elles racontent une histoire et qu'elle pourrait les lire comme un alphabet mystérieux. Bizarrement, il même s'il n'y a ni télévision, ni ordinateur, ni mobile pour parler avec ses copines, elle ne s'ennuie pas. C'est un peu comme un premier jour de vacances d'été. Quand les résultats des examens sont affichés et qu'on n’a pas à assister aux cours de rattrapage. La fatigue et la retombée du stress sont telles qu'on n’a pas vraiment envie de s'activer. Juste être au calme. Se poser un peu, réaliser qu'on a laissé derrière nous une tempête, que là, pour l'instant, nous voguons sur un lac à la surface miroir. Trop déboussolé pour profiter et pas assez énergique pour lancer un autre projet. On se laisse un moment porter par le courant, un souffle d'air...
Quand la nuit tombe, Michiko retourne dans la pièce principale. Elle se perd un peu en chemin. Elle aurait juré avoir tourné deux fois à droite après l'escalier en colimaçon...La maison est plus grande qu'elle n'y paraît. Elle essaye de mémoriser la disposition. Soudain, une odeur forte de feuilles en décomposition lui saisit les narines. Un bruissement léger. Elle n'est plus seule dans la maison.
* * *
Dans la pièce principale, un homme prépare le repas.
Une grande silhouette, un peu voûtée, emmitouflée dans un manteau de feuilles jaunes pourrissantes s'affaire. Il grogne doucement quand elle rentre. Michiko le regarde, un instant interdite. Un instant à peine. Elle interprète le son comme un mot de bienvenue et chuchote du bout des lèvres la réplique polie attendue.
Et puis, elle prépare du thé.
C'est la troisième fois aujourd'hui et ses gestes ont déjà acquis l'automatisme précis et vif de l'habitude. Elle ouvre la même boîte, celle du milieu. Les autres thé ont l'air vraiment délicat avec leurs feuilles vert blanc mousseuses comme un duvet, ou alors vert foncé, bien plates et au parfum herbeux. Elle aimerait bien les goûter...
Du coin de l'oeil, elle regarde l'inconnu.
L'homme a la peau sombre. Son visage semble épouser les ombres de la pièce. Difficile de déterminer sa carrure sous ce large manteau végétal. Il a des longues mains terreuses et les ongles si épais qu'ils paraissent griffus, comme les pattes d'une taupe. Ses cheveux crépus tout emmêlés sont retenus dans une corde d'où s'échappent des tiges tournicotées, vrillées, comme les sarments d'une vigne. Il prépare du poisson grillé. Le fumet met l'eau à la bouche.
Le repas est délicieux.
Michiko est intimidée. Malgré sa curiosité dévorante, elle n’ose pas lever les yeux sur l'homme assis en face d'elle. Il n'a toujours pas quitté son étrange manteau. Elle observe à la dérobée, sans jamais que son regard remonte jusqu'au visage de l'inconnu. Il est un peu étrange. Même si ses mains et ses ongles sont maculés de boue, ils ne salissent rien. Il s'est servi du saké dans une coupe de porcelaine dorée comme l'automne. Il le boit avec un claquement de langue appréciateur.
Michiko a terminé son repas.
Il ne reste pas un seul grain de riz dans le bol. Le riz était délicieux. Le meilleur qu'elle ait mangé de sa vie ! Meilleurs même que celui de son autre grand-mère qui tient un restaurant kaiseki à la grande ville. La jeune fille débarrasse. Il y a un seau d'eau claire pour faire la vaisselle avec un morceau de savon noir. Il ne doit pas être très tard, pourtant elle se sent si fatiguée. Ses yeux lui piquent...
Illustration de Virginie Blancher
Dans la chambrette, l'homme qui ressemble à de la terre lui a déjà installé son petit futon. Il a aussi sorti un pyjama. Dans le placard, Michiko trouve quelques habits et un nécessaire de toilette. Elle découvre avec stupéfaction une porte qui mène à une petite salle de bain avec une bassine d'eau tiède et un o-furo accueillant. Bizarre, ce matin, elle ne se rappelait pas de l'existence de ce bout de couloir. Elle a vraiment l'impression que la maison change. Qu'elle s'adapte...Juste avant de s’endormir, Michiko fait un voeux. Elle fait un voeux pour qu'il y ait des toilettes et l'eau courante dans la salle de bain. Aller chercher de l'eau pour les aliments et la toilette ne la dérange pas vraiment... par contre, si elle doit remplir toute la baignoire... Et aller au petit coin en plein nuit, dans le jardin, par tous les temps... Elle prie très fort et frotte ses mains avec ferveur.
* * *
Pendant quelques jours, le quotidien de Michiko ne change pas vraiment. A part, bien entendu, l'apparition des toilettes, d'un coin cuisine et de l'eau courante ! L'homme, Tsuchi-san, part parfois tôt le matin, parfois il reste là toute la journée, surtout s'il pleut. Michiko l'aide de plus en plus dans la préparation des repas.
Elle aime bien cuisiner. Elle passe aussi de plus en plus de temps dehors, dans le jardin. Le mois de mars est clément, ou peut-être que les températures fraîches ne la dérangent plus trop. En fin d'après-midi, Tsuchi-san lui prépare un thé accompagné de sembé. Un des thés précieux. Il prend ensuite un livre et s'y plonge durant des heures. Dans le bureau, il y a maintenant un second fauteuil. Une des étagères de la bibliothèque regorge d'ouvrage en japonais. Alors, Michiko aussi choisit un titre qui la tente et s’assoit dans le second fauteuil.
La première fois, c’est elle qui a commencé la lecture. Tsuchi-san la rejoignit alors qu’elle était déjà aborbée dans son ouvrage. Au bout de plusieurs minutes qu'il était ainsi installé à côté d'elle, Michiko osa observer sa figure, un peu. Il a les yeux en amande, si profondément enfoncés dans leur orbite qu'elle n'est pas certaine de leur couleur. Tout son visage est émacié, granuleux. Difficile de lui donnée un âge. Il ressemble à la terre toute craquelée d'une rizière asséchée juste avant l'averse. Tsuchi-san l'impressionne. Même s'il est peu loquace, il s'adresse toujours à elle avec gentillesse d'une voix de gorge rocailleuse. Il parle toujours doucement, pourtant ses mots portent une force, une puissance presque physique.
Quand il lui expliqua les quelques règles de vie et des interdits, Michiko songea qu'elle éviterait soigneusement de le mettre en colère. Elle imaginait sans peine cette voix profonde s'enfler comme une grondement sourd et funeste, comme les craquements terribles de la terre quand elle s'apprête à trembler...
Il lui a juste demandé de ne pas s'éloigner de la clairière pour l'instant et surtout de ne pas emprunter le sentier qui part de derrière la maison.
Michiko pourrait jouer un peu dans la forêt en pente douce mais le brouillard persiste toujours à l’orée du bois. Il paraît qu’à quelques centaines de mètres, un promontoire dégagé offre une vue sur toute la vallée. De toute façon, elle préfère pour l’instant rester à coté de la maison. il suffit de regarder l’état du jardin pour avoir des milliards d’idées. Il y a tant à faire ! Elle sait toujours comment s’occuper. Et, même si elle ne s’éloigne pas, elle garde bien à l’esprit les recommandations de Tsuchi-san.
つづく...
A suivre...
J'espère que ce chapitre vous a plus. Dans le prochain chapitre Michiko se fera une drôle d'amie !
Copyright : Marianne Ciaudo