A chaque problème, on peut trouver une solution simple, politiquement correcte, électoralement rentable et parfaitement inefficace. Le mieux, pour cela, c’est de demander l’implication d’un politicien. Un député fera l’affaire…
Un des problèmes qui préoccupe un nombre croissant de Français et qui mérite donc largement qu’on sabote une solution est celui du logement : tout le monde en veut un, tout le monde n’en a pas, il y en a pourtant plein de vacants, et certains s’ingénient à en occuper sans en avoir le droit. C’est le bazar, il faut donc agir.
Ça tombe bien : l’Etat s’impose sur ce marché. Massivement.
- Il impose le foncier des propriétaires.
- Il impose les locataires.
- Il impose la construction de logements sociaux.
- Il impose des normes de constructions (écologiques, par exemple).
- Il impose le type de contrats possibles entre locataires et propriétaires.
- Il impose lors de la vente, le don, la mutation, … d’un bien immobilier.
En outre, l’Etat intervient aussi, assez vigoureusement :
- Il propose des prêts à taux zéro.
- Il propose des niches fiscales Scellier, Robien, …
- Il décide de l’occupation des sols, de ce qui est terrain constructible ou pas.
Comme on peut le voir, c’est la jungle du libéralisme avec du renard étatique libre dans du poulailler étatique libre en carton pâte et loin du RER. Fouyaya.
Et pendant que l’Etat intervient, décide, propose et impose, et gaze à tous les étages, le nombre de personnes mal ou pas logées augmente, le nombre de logements vacants aussi (on passe ainsi de 2 millions de logements vacants en 2000 à 2.4 millions en 2011), les prix grimpent dans une belle courbe exponentielle et les associations caritatives diverses passent de 1.8L de larmes collectées à 2.6 … Une telle coïncidence, pendant tant d’années, laisse vaguement songeur ; d’ailleurs, on pourrait regarder sur les vingt, trente, quarante dernières années, à chaque nouvelle intervention de l’Etat, on a pu assister à une dégradation du marché immobilier.
Mais bon, tout ceci est sans intérêt. Oublions bien vite ces éléments et concentrons nous plutôt sur un certain Philippe Dallier qui a trouvé une vraie bonne solution pour lutter contre un des aspects les plus enquiquinants de ce marché immobilier décidément tout détraqué : le squat.
Pour les bisounours d’entre nous qui viennent lire ce blog malgré les avertissements répétés, précisons ce qu’est un squat.
Il s’agit de l’occupation illégale (oh !) d’un domicile par une ou plusieurs personnes sans que le propriétaire des lieux en soit informé ou sans qu’il y consente. Ce squat peut aller assez loin puisqu’il peut avoir l’eau courante, l’électricité, contenir des meubles (apportés par le(s) squatteur(s)), et même la télé, internet et, pourquoi pas, un approvisionnement régulier en pizzas.
Devant telle occupation, on pourrait croire que force reste à la loi, que le viol aussi flagrant de propriété privée est normalement sanctionné en France et qu’il ne faut pas pousser mémé dans les orties. Mais non. Comme ce n’est pas un sujet totalement neuf, j’ai compilé ici une petite liste de billets précédemment écrits sur ce blog, traitant de ce sujet :
- Occasion Manquée Pour La Brigade Des Mimes
- Cachan Ce Squat Que Je Ne Saurais Gérer
- Demaerd lance sa formule locative : décapant !
Dans le dernier, on découvrira notamment qu’il existe de véritables guides (comme ici ou là) permettant à l’apprenti-squatteur de se débrouiller pour passer au travers de la loi, dans les interstices (de plus en plus larges) de la répression des méchants propriétaires, et pour profiter gratuitement d’un logement sans en subir les conséquences désagréables.
Et c’est justement de ces guides que le fameux député Philippe Dallier veut nous entretenir : la présence de ces manuels expliquant point par point comment gruger la loi est, pour lui, insupportable, comme nous l’explique cet article un peu ambigu de Numérama.
Et la proposition du député, forcément UMP, forcément socialiste, consiste à vouloir interdire et sanctionner de tels manuels (ou, plus exactement, à poursuivre avec des crocs les vilains qui ont posté ces manuels).
C’est, on peut le dire, überidiot, au moins à trois niveaux.
D’une part, une telle interdiction de ces manuels et aides pour squatter ne résout en rien le problème initial du squat : ce n’est pas parce que le manuel du suicide fut censuré en France que les gens ne se suicidèrent plus. Ce n’est pas parce que les manuels de squats disparaîtront que les squats disparaîtront. Mieux : ce n’est pas en s’attaquant au symptôme, le squat, qu’on résout le problème de logement.
D’autre part, la « disparition » par la loi du domaine facilement visible de ces manuels provoque un clair manque d’information pour le propriétaire lambda. En effet, en lisant ce genre de manuels, ce dernier peut envisager de limiter les possibilités des squatteurs, en mettant en balance, par exemple, le coût d’une surveillance ou d’une assurance vis-à-vis du temps moyen de récupération d’un bien squatté : la lecture d’un de ces manuels est suffisamment édifiante pour permettre à chacun de se rendre compte que la loi, décidément, est beaucoup trop en faveur des squatteurs.
Et enfin, la proposition du député est une parfaite atteinte à la liberté d’expression, atteinte maintenant routinière des vieux débris qui siègent à l’Assemblée ou au Sénat.
Cette démarche est d’ailleurs tout à fait typique des couilles-molles qui nous gouvernent, tant à droite qu’à gauche : plutôt qu’aller déloger les squatteurs, quitte à revoir la loi pour rendre l’expulsion ou l’action musclée plus facile, on préfère une loi-patch qui va occulter un tantinet le problème, le repousser dans un coin sombre.
On est dans le même état d’esprit que la criminalisation de la prostitution : il est bien plus facile de tomber à bras raccourcis sur les petits citoyens lambdas qui postent les manuels de squats, les clients de prostitués ou les fumeurs de joints que d’arrêter les gangs de traites des blanches, les réseaux de drogue de certaines cités ou de remettre en cause les lois absurdes qui provoquent les pénuries de logement.
Car c’est bien de ça qu’il s’agit : il n’y a pénurie que parce l’offre actuelle (qui existe, vu le nombre de logements vacants) ne rencontre pas la demande, rendue insolvable soit par une montagne de législation défavorable et contre-productive, soit par la volonté pour les offreurs (propriétaires) de limiter leurs risques face à, justement, la probabilité forte de se retrouver avec des insolvables ou des squatteurs sur les bras…
On peut donc toujours tenter de cacher l’existence de squats, de cacher l’existence de manuels qui montrent que la loi est, pour le dire simplement, bonne à foutre à la poubelle, on peut toujours tenter de camoufler que l’Etat ne garantit plus, de fait, le droit de propriété en France, mais le résultat sera toujours le même puisque le problème ne sera pas résolu : le marché de l’immobilier est complètement englué dans les normes étatiques, les restrictions et l’absence d’égalité de protection entre le propriétaire et le locataire.
Je disais un peu plus haut que j’avais trouvé l’article de Numerama ambigu, et je voudrais terminer par noter qu’il illustre en effet la tendance générale d’une bonne partie des Français a entériner, sans s’en rendre compte, ce glissement subtil de perte de valeurs, notamment celle de la propriété privée ; l’article débute en effet par cette phrase, délicieuse :
Peut-on résoudre un problème social en bridant la liberté d’expression de ceux qui cherchent à en atténuer les effets, même de manière incivique voire illégale ?
Et si je suis parfaitement d’accord pour dire que la proposition de loi du député est idiote et scélérate, je trouve tout aussi délétère l’attitude du journaliste, décelable dans les termes choisis dans sa phrase : on n’atténue en rien le problème de logement en allant squatter puisqu’au problème initial de logement s’ajoute celui du viol de propriété. On ne résout pas un tort en en créant un autre, même avec les meilleures intentions du monde. L’enfer et l’Histoire sont remplis de ces valeureux chevaliers qui cherchaient à atténuer les problèmes en ajoutant les leurs à ceux qu’ils rencontraient.
Dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, tant que les gens et les politiciens feront tout pour éviter la solution libérale, on continuera d’observer l’accroissement du problème.