(les prénoms ont été bien évidemment été inventés pour respecter l'intimité et l'anonymat)
Avertissement
Ce billet n'engage que son auteur, au titre du droit d'expression individuelle et sans contrevenir à ses droits et obligations. Je m'appuie sur le pacte républicain tel qu'Anicet Le Pors a pu le définir pour le fonctionnaire que je suis.
Précaution
De même, je ne mets pas en cause le DRH ni les responsables d'un équipement ou d'un service ; ils sont d'une certaine manière, eux aussi tout comme moi, à la merci d'un système, d'un système.
(ça s'appelle un cactus de Noël )
C'est une petite histoire presque banale, parce que tellement courante. Ils sont trois à travailler dans cet établissement culturel d'une mairie : webmaster, chargé de com (dont sites Internet entre autres), graphiste. Leur statut ? Contractuels, dont le renouvellement éventuel est maintenant fermement arrimé au passage (et à la réussite d'un concours), c'est-à-dire " pas de concours, dehors à l'échéance".
Cette situation encore un fois, n'est pas extraordinaire.
Seulement que.
Seulement que les trois sont une double compétence (et on apprécie) : ils sont forts dans leur partie (on les a embauchés pour ça, normal) et ils ont bien compris les problématiques de ces établissements culturels où le numérique est, comment dire ? très loin de l'odeur de papier et du crissement des pages qui se tournent à la main. Enfin un peu moins loin maintenant, grâce à eux.
La DRH veut appliquer la règle : "fin de contrat, pas de concours ? Circulez". On peut aussi leur dire : "quand on va faire appel à candidatures, revenez, on examinera". Elégant.
Depuis quelques mois, le contrat a été renouvelé pour une durée d'un an maxi. La première "sortie" (excusez du terme) aura lieu en mars. Joyeux Noël en attendant.
J'y vois une double perversion (ou une double peine) :
1. aucun grade dans le statut de la fonction publique territoriale n'a de concours dont les options sont adaptées à ces métiers, encore moins dans la filière dite culturelle. On raccroche comme on peut. Je vous laisse deviner les entretiens avec les jurys, voire les épreuves écrites. Le moule est un peu ancien. A quand un référentiel des métiers du numérique auquelle correspondra une reconnaissance réelle ? Le statut n'étant pas une fin en soi, pourquoi pas un moratoire qui respecte les gens d'abord, leurs compétences ensuite, les missions confiées enfin ? Du genre "on signe un contrat genre CDI 3 ans puis on fait le point. Pas de concours adapté ? Si vous êtes partant-e, on renouvelle". J'ose à peine évoquer un ajustement de la rémunération pourtant bien légitime au bout de deux ou trois ans.
2. Vivre avec l'idée que dans deux mois, trois mois, six mois, on va sans doute partir pendant que sont fixés - par évaluation annuelle - des objectifs à plus long terme relève de la mauvaise foi ou du cynisme. Les professionnels du numérique - comme bien d'autres c'est vrai - sont en autoformation permanente, ils se préparent donc sans cesse et élaborent à l'avance. Associés aux projets de projets, ils sont réactifs, agiles, en réseau. Avec ce bagage, ils apportent "plus que la lumière" : bien souvent de la cohérence, de l'innovation des savoir-faire. De vrais artisans (oui je les aime).
Je dis ici non seulement mon incompréhension devant la mécanique administrative - il en faut bien une - mais surtout ce qui motive cette "indignation" : faire passer la règle au-dessus des gens, lesquels sont plutôt jeunes, vous savez ces jeunes dont on dit qu'ils sont par ailleurs "l'avenir". Pas de place pour eux, les systèmes nécrosants les refusent. Je cautionne en permanence puisque je ne peux rien faire.
Et en même temps - hasard ? - je suis invité à participer à un groupe de travail qui prépare un séminaire des directeurs de services culturels sur le thème "Nouvelles pratiques culturelles et numériques". Je ne peux que leur dire ou faire passer ce message prioritaire et je leur écris ceci : de compétence pointue (encore), les professionnels du numérique n’entrent pas dans les cases du statut général de la fonction publique. Les contrats soumis à la réglementation nationale et aux règles locales tiennent-ils compte suffisamment de cette spécificité ? Double compétence : celle de leur métier lié au numérique d’une part, celle attachée à leur excellente connaissance de l’institution locale d’autre part.. Soit des passeurs entre privé et public, qui s’engagent plus sur des projets à long terme que sur des actions ponctuelles. Cette distorsion évidente dans les services) entre titulaires et contractuels ne doit-elle pas être réduite pour sur une plus juste estimation de la compétence, de la spécificité, afin d’assurer (thème de ce séminaire) de nouvelles pratiques culturelles professionnelles ?"
Comme je ne suis aps certain que le message passe suffisamment, je reprends ma plume ici.
Encore une fois, cette situation est ordinaire. Il se dit aussi que lorsqu'on travaille dans des services "nobles" ou plus "stratégiques", les renouvellements de contrats ne poseraient pas les mêmes difficultés. Une règle, deux applications différentes. Le service public n'en sort pas grandi, sa fonction publique non plus.
Il y a de l'indignation, de l'Occupy dans l'air. Il y a du malaise.
Aujourd'hui je ne suis pas fier d'être un agent de la fonction publique.