Il y a un an, j'étais sur le quai et j'attendais le train. Il y avait de la neige et le monde était déjà en crise. Un an est passé et je suis dans le train. La neige n'est pas encore tombée ce décembre, mais elle est annoncée pour les prochains jours.
Je pense à des tas de banalités. Sur le bloc de sièges à côté du mien, il y a un vieux monsieur qui parle tout seul. De temps en temps, il chantonne. Il voyage. Je me laisse bercer par le roulis des roues sur le rail. Je ferme les yeux, j'essaye de contempler mentalement la palette de sons qui m'atteignent. Je me dis que le vendredi a une couleur particulière. Je pense à mon point de non-retour. Je pense à tout ce que j'ai accumulé dans mon grenier. Une masse de livres, de disques, d'objets, qui se disloquera après mon départ. Tout se bouscule dans ma tête. Le livre que je suis en train de lire (le système Victoria), passionnant. Un gros pavé, mais j'en viendrais à bout. Pas très pratique à emporter dans les transports en commun, surtout les jours de pluie. C'est pourquoi je ne l'ai pas avec moi ce matin. Tant pis, je poursuivrai la lecture le week-end. La semaine dernière, j'ai vu 'Carnage' de Roman Polanski. Un excellent moment de cinéma. Nancy a aimé, même si elle m'en a un peu voulu de l'avoir fait croire qu'on allait voir un film divertissant. "Ils ne vont jamais quitter cet appartement, en fait?" m'a-t-elle murmuré à l'oreille, 20 minutes après le début de la projection. Non, c'est un film de Polanski, le cinéma se passe entre les quatre murs. Mais elle ne m'a pas tenu rigueur de ma ruse. Elle s'est prise au jeu et elle a aimé. Elle a même beaucoup ri. Moi aussi, mais avec plus de retenue. J'ai toujours aimé le rire de Nancy dans la salle de cinéma. Surtout quand on est à l'Utopia et qu'on voit un truc "intello". Nancy rit de façon enfantine et pure, son rire résonne au milieu des spectateurs révérencieux. Parfois, nous sommes quelques-uns à la suivre, ou à vouloir la suivre même si nous semblons nous demander si nous en avons le droit. "Carnage" est un bon film, 1h20 d'humour noir qui file à 100 à l'heure. Comédiens excellents, dialogues mordants, mise en images extraordinaire. L'autre jour, j'écoutais un groupe de critiques à la radio qui discutaient au sujet de 'Carnage'. Ils semblaient tous d'accord sur le fait que c'est un bon film, mais certains tenaient à dire qu'il ne s'agit pas du meilleur Polanski. D'autres parlaient de théâtre filmé. Je leur prêtais attention, j'étais, comme qui dirait, à table avec eux, j'avais envie d'intervenir. J'avais envie de leur dire "ne faites pas la fine bouche". Combien sommes-nous encore à aimer cette forme de cinéma, subtil, intelligent, jouissif sans avoir recours à aucun effet spécial? Juste les acteurs, les dialogues, la lumière et la caméra...