Hugo Cabret (2011)
Martin Scorcese
George Méliès : «If you ever wonder where your dreams come from, look around: this is where they’re made».
A force de coller à Martin Scorcese l’étiquette de réalisateur de films de mafieux, on en vient à être surpris de voir surgir une oeuvre comme Hugo Cabret, long métrage calibré pour le grand public dans la plus pure tradition Spielbergienne. Pourtant, la filmographie du maître Scorcese est bien loin d’être aussi typée. Le temps de l’innocence (1993) est un puissant drame romanesque, Aviator (2004) un biopic spectaculaire, A tombeaux ouvert (1999) un drame inclassable tandis que plus récemment, Shutter Island (2011) rendait hom- mage, de par son esthétique, aux classiques de série B hollywoodien des années 1950.
Si Scorcese a donc une aisance naturelle, celle de représenter mieux que personne l’univers de la mafia, sa connaissance de la grammaire cinématographique est si fine qu’il peut s’attaquer sans mal à n’importe quel genre ou type de films, à la fois en respectant les codes et en y apportant sa touche personnelle, sa vision.
Hugo Cabret reste tout de même un sacrée défi pour le cinéaste, car le film mêle à la fois deux récits et deux types de mise en scène. Un premier récit, tiré du livre pour enfant The invention of Hugo Cabret de Brian Selznick, raconte le destin du jeune Hugo, fils d’un horloger décédé qui, afin d’échapper à l’orphelinat, est contraint de se réfugier dans les coulisses de la gare Montparnasse, qu’il hante à la manière d’un Quasimodo ou d’un fantôme de l’opéra. En petit génie de la mécanique (on pense à Anakin Skywalker), il s’entête à remonter toutes les horloges de la gare autant qu’a réparer un vieil automate laissé derrière lui par son père. Mais par le biais de cette mystérieuse machine vouée à la casse, Hugo va accéder à un univers de rêve et de poésie que le monde, dans sa course folle, a laissé à L’abandon. Cet univers de rédemption sera le cinéma de Georges Méliès. Pour recréer ce Paris des années 1930, Scorcese opte cette fois pour un tournage hybride entremêlant images photo-réalistes et animation 3D, le tout en relief.
Autant de nouvelles technologies avec lesquelles le cinéaste s’amuse dès les premières secondes. A la manière d’un Zemekis et son le drôle de Noël de Scrooge (2009) ou d’un Spielberg dans Tintin et le secret de la licorne (2011), Scorcese ne résiste pas aux possibilités de la caméra virtuelle, déploie des travelling-avant virtuoses et nous familiarise avec les lieux du film. Le Paris reconstitué est bien-sûr un pur phantasme hollywoodien, mais Scorcese à le mérite de lui donner du corps et une beauté plastique étourdissante. Sous la neige numé- rique, la ville bleutée et dorée resplendie, tandis que le relief lui donne tout simplement vie, en creusant ses artères et en faisant sentir le poid, le volume de ses vieux immeubles solidement ancrés au sol. L’animation déréalise le film qui, libéré des contraintes du réel, dessine une ville de rêve et de magie. Ne vous y trompez pas. Le relief, utilisé ici à son meilleur, prouve qu’entre des mains de maître, la 3D est bien plus qu’un simple argument commercial. Le film a d’ailleurs été adoubé par James Cameron qui y a vu la plus belle utilisation du relief jamais faite à son goût. Si elle est en majorité utilisée pour créer une sensation de profondeur et non des effets de surgissement, on retiendra un moment insolite ou Sasha Baron Cohen, filmé en gros plan, s’ap- proche si près de l’écran qu’il manque d’en sortir. Son visage net déborde et déforme le cadre au point qu’il perturbe les sens. Cet effet de surgissement, si subtile car presque imperceptible, prouve toute la pertinence artistique de la stéréoscopie.
La beauté du geste de Scorcese tient d’ailleurs dans ce paradoxe : Utiliser toutes les techniques du cinéma modernes afin de rendre hommage à celui des premiers temps et à son premier magicien. La narration du film déboussole car elle met clairement de côté les séquences spectaculaires et autres péripéties au profit d’une quête intérieur et donc plus statique : Faire revivre Méliès, sa magie naïve et sa poésie désuète, témoignage d’un temps ou le cinéma n’était que pur contemplation du mouvement, plaisir jouissif de l’illusion, porte
George Méliès : «If you ever wonder where your dreams come from, look around: this is where they’re made».
ouverte vers l’imaginaire. Quoi de plus beau alors que ce Voyage dans la Lune (1902), oeuvre matricielle qui condense autant les ambitions métaphysiques de l’homme méditant sur sa place dans l’univers, que la force spectaculaire de ce que sera le cinéma hollywoodien à son meilleur. Scorcese met en scène son histoire du cinéma, mythique et personnelle, avec tellement de passion qu’on lui pardonne ses éventuelles inexactitudes. Les références sont toujours subtiles et jamais élitistes, le plaisir de voir est entier et communicatif.
2011 sera donc l’année Méliès ou ne sera pas. Après l’exposition hommage à la cinémathèque française, le film de Blomberg Le voyage extra-ordinaire (2011) sur la restauration passionnée de la copie couleur du Voyage dans la lune, Hugo Cabret conclue la résurrection nécessaire de celui qui incarne à mon sens les valeurs les plus essentielles du cinéma : Magie, contemplation, naïveté, illusion. Le plaisir indescriptible de se prendre au jeu et de croire un temps à l’impossible. La joyeuse duperie tient alors dans le film à une simple collure de montage : Le vrai Méliès, en noir et blanc, se substitue à son interprète en couleur le temps d’une coupe, sans que l’on ait eu le temps de cligner des yeux. Un grand merci donc à Georges Méliès et à tout ces fidèles disciples, Chaplin; Spielberg; Lucas; Cameron; Gondry; Scorcese et bien d’autres….car leur regard d’enfant est une inépuisable source d’inspiration pour nous spectateurs et un cadeau sans prix.
C. Levassort