Une pléiade d'image sur la chanson en hommage à Lucio Battisti.
Lucio Battisti était un chanteur-compositeur célèbre en Italie et
secret. Il était aussi célèbre que Johnny Hallyday en France et discret comme Julien Clerc (que son chant rappelait). Sans que l'on en connaisse encore la cause, il est mort hier à Milan, à l'hôpital San Paolo, où il avait été admis fin août. Il avait 55 ans. Le secret sur la nature de la maladie du chanteur avait été imposé par sa femme et sa fille à un pays (et à une presse) qui n'en finissait plus d'attendre au chevet d'un fantasme et mourrait de l'envie d'en savoir plus. Il est vrai que l'Italie ne serait pas ce qu'elle est sans Lucio Battisti. Cheveux crépus, visage poupon, voix d'une blancheur assez trouble, il se révèle au milieu des années 60. Né dans un bourg non loin de Rome, cette sorte de provincial mal fini, selon les canons blasés de la Ville Eternelle, va vite s'imposer comme l'interprète le plus sophistiqué d'un changement de monde. Le mâle italien, l'amant latin, tel que le chante Battisti, est devenu un peu femme. C'est lui que l'on trahit, que l'on quitte, que l'on fait pleurer. C'est lui qui ressent désormais des émotions, si douces, si pathétiques qu'aucune femme bien constituée n'en voudrait plus, même pas gratis: «Non, ce n'est pas Francesca, que tu as vue avec un autre; non, Francesca n'a pas de pull rouge, non, Fancesca n'aime que moi...» Ou comme ce malheureux en mal d'arguments qui, dans une chanson, offre à une fille un peu sauvage «une moto toute neuve et ses dix chevaux, seulement si tu dis oui». Très rarement, un désespéré peut avouer à sa femme, qu'en réalité il «aime Anna». Affublé un temps de sympathie pour l'extrême droite, Lucio Battisti aura été finalement «homme sans qualités», mais sismographe prodigieux des émotions amoureuses d'une génération ou deux, voire d'un peuple tout entier. Les soixante-huitards eux-mêmes n'avaient-ils pas fait leur hymne d'une de ses plus belles chansons: L'écueil peut-il arrêter la mer?.