Ils sont de retour sur la place de la comédie depuis le 4 novembre. Eux ? Ce ne sont pas les cabanons qui forment le marché de Noël – même si la plupart des passants semblent aussi les considérer comme des meubles. « Ils » sont les indignés de Montpellier, une poignée d’hommes (accompagnés d’une femme) qui tiennent une table, quelques caisses de nourriture et une dizaine d’affiches dénonçant la finance et le manque de lien social. Ils réclament une démocratie réelle et prônent le partage, affichant, sur leur comptoir de fortune, la déclaration des droits de l’homme dans une célèbre édition de poche à 2 euros ; illustrant leur amour du prochain par une distribution gratuite de peluches aux enfants. Si le chaland a du mal à comprendre ce dont il s’agit, il ne semble pas que la lutte soit bien plus claire pour les manifestants. Rassurrez-vous ce n’est pas limpide pour JDF, simple observateur, une fois n’est pas coutume.
Olivier, la quarantaine, estime qu’être indigné, c’est avant tout vouloir « faire passer un message, de le diffuser ». Lequel ? « Celui du développement durable et local, dans la veine des mouvements alternatifs, un peu comme Stop nucléaire. » Un message écologique donc ? Pas seulement, l’homme réclame une nouvelle société, une société du « vivre ensemble » et présente les agoras du mouvement comme un haut lieu de démocratie : « chacun peut parler de ce qu’il veut, dans le respect de l’autre». Pour autant, les prochaines élections ne l’intéressent pas vraiment « Ça fait assez longtemps qu’on râle… en 2012 rien ne va changer, le vote ça n’en vaut pas la peine ». Et pour résumer l’essence du mouvement, il reprend une citation d’un ancien du campement « on est apolitique et on fait de la politique ». Quelque chose comme ça, oui. Ou l’inverse.
Dans le même temps, Olivier s’étonne de la proximité du Mc Donalds et de l’absence de la moindre action contre la multinationale. C’est « sans doute parce qu’on n’ont aucun souci avec les gens qui travaillent chez eux ». Il est finalement assez difficile de savoir qui, sur le camp, a véritablement un emploi. Seule Paula, la cinquantaine, dit être serveuse. Lunettes de soleil en plastique et rouge à lèvre écarlate dehors, elle tente de remettre de l’ordre dans le micro-capharnaüm. « Vous avez vendu des badges ce matin ? On en a vendu 3 hier. 4 Euros par badge… et j’sais pas où est passé le pognon. » Au même moment, l’écuelle qui sert à ramasser les dons est ponctionné de l’unique pièce d’un euro par Lilian qui, avec son sourire incomplet, annonce qu’il « fait la récolte ». Regard noir de la figure maternelle.
Il est midi trente, le camp s’active : les allées et venues se font de plus en plus nombreuses autour de la table, les indignés vaquent aux occupations de survie (récupération de nourriture, de matériel…) – ils seront une dizaine à se relayer rien qu’en deux heures.
Tandis qu’Olivier essaye de faire comprendre à deux indignés qu’il ne faut pas boire de bière forte dans le secteur (« On n’est pas des SDF ! »), Nico, Belge en transit, s’énerve. « Oui, on peut boire un petit verre le soir et encore, si on met ses déchets à la poubelle ensuite… Mais on ne va passer notre temps à picoler non plus ! J’ouvre des squats à Bruxelles, je participe aux rassemblements à Barcelone, mes enfants m’ont même vus à la tévé, j’ai pas envie qu’on m’associe à ça ! »Cette armoire à glace au teint halé et aux yeux délavés se désole du manque d’action, « Y s’passe rien ! » Et à Paula de surenchérir : « j’ai l’impression que certaines personnes viennent juste faire de la figuration une ou deux heures et puis ensuite ils rentrent chez eux prendre une douche et dormir… » Dans le fourmillement du camp, quelques personnes ont désormais disparues. Il parait qu’Olivier est parti suivre la manif’ des profs « Il veut recruter » lâche-t-elle en levant les yeux au ciel.
Car Olivier est un homme d’action et de respect, il tente donc tout naturellement de marier les deux. C’est lui qui, quelques instant plus tôt, évoquait les différentes activités proposées par les indignés de Montpellier : « Atelier récupération de bouffe sur les marchés, atelier affichage de pancartes, atelier maquillage de clown, atelier massage… Et tout gratuit ! Sur le thème du partage et de la détente. On en a marre du tout payant ». L’objectif est de tenir au moins jusqu’au premier de l’an « Ce serait bien, dit-il, car on a déjà prévu de faire un repas de Noël, le 24 au soir. » Au menu : « huitres, foie gras à la pomme et aux raisins, fagots de haricots à je-sais-plus-quoi. » Et pour se fournir ? « La famille et la récupération sur les marchés. »
Et sinon, ils sont passé où les 12 euros ?
Photos : Justin Daniel Freeman. Par ordre d’apparition : Paula, Nico & Tony, Jean-Michel.