CJUE, 15 déc. 2011, Voogsgeerd, C-384/10.
Grand classique de l'examen de DIP, le cas du marin qui travaille sur un navire est le cas d'école qui permet d'illustrer les difficultés de détermination du droit applicable à un contrat de travail. La Cour était précisément appelée à répondre à une interrogation de la sorte. Après l'arrêt Koelzsch, il s'agit donc d'une autre affaire où la Cour était appelée à interpréter l'article 6 de la Convention de Rome (devenu depuis Règlement de Rome).
En l'occurrence, M. Voogsgeerd a conclu, en 2001, un contrat de travail au siège de Naviglobe, société établie à Anvers, avec la société Navimer (société luxembourgeoise). Le travail s'effectuait essentiellement sur des navires actifs en mer du Nord. Le droit luxembourgeois fait l'objet d'une clause de choix de loi dans ce contrat.bien qu'il soit formellement embauché par Navimer, le travailleur reçoit en fait ses instructions de Naviglobe.
En 2002, il est licencié. Il attrait Naviglobe et Navimer devant les tribunaux belges. Il réclame une indemnité de licenciement en vertu du droit belge. En effet, selon lui, et en vertu de l'article 6 de la convention de Rome, les dispositions impératives (ici les règles sur les indemnités de licenciement) de la loi belge (lieu "habituel" du travail) ne peuvent être écartées par la clause du contrat ayant rendu le droit luxembourgeois applicables au litige. Le tribunal puis la Cour d'appel d'Anvers ont rejeté les actions intentées par M. Voogsgeerd notamment au motif qu'il n'avait pas démontré à suffisance que son lieu de travail habituel était la Belgique.
La Cour de cassation belge, saisie du pourvoi de M. Voogsgeerd, interroge la CJUE sur le sens et la portée de l'article 6 la Convention de Rome et notamment du critère du lieu d'embauche du travailleur au sens de l'article 6, 2, b.
La Cour débute son raisonnement par certaines précisions à l'usage de la Cour de cassation.
La question préjudicielle porte en effet essentiellement sur la notion d'établissement au sens de l'article 6,2,b. Or, cette interrogation devient pertinente si et seulement si un lieu habituel de travail n'a pu être identifié (au sens de l'article 6,2,a). Dès lors, la Cour considère "que l’article 6, paragraphe 2, de la convention de Rome doit être interprété en ce sens que la juridiction nationale saisie doit tout d’abord établir si le travailleur, dans l’exécution du contrat, accomplit habituellement son travail dans un même pays, qui est celui dans lequel ou à partir duquel, compte tenu de l’ensemble des éléments qui caractérisent ladite activité, le travailleur s’acquitte de l’essentiel de ses obligations à l’égard de son employeur" avant de s'interroger sur l'application de l'article 6,2, b.
La Cour émet de sérieux doutes, au vu des faits de l'espèce, sur l'impossibilité de dégager un lieu habituel de travail dans la situation en cause. Elle rappelle ainsi que "s’il ressort (...) que le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport et reçoit également les instructions pour ses missions est toujours le même, ce lieu doit être considéré comme étant celui où il accomplit habituellement son travail, au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous a)" (point 39). Cette première "observation" de la Cour renforce l'idée selon laquelle l'article 6, 2, b doit demeurer d'application tout-à-fait exceptionnelle: l'article 6, 2, a semble en effet plus favorable au travailleur.
Toutefois, la CJUE répond tout de même aux questions de la Cour de cassation, si celle-ci venait à écarter l'application de l'article 6, 2, a.
La première question vise à savoir si la notion d'établissement concerne exclusivement l'établissement qui a signé le contrat de travail (Naviglobe) ou celui qui a effectivement employé le travailleur (Navimer). La Cour considère que la seconde interprétation serait incompatible avec l'article 6 de la Convention: en effet, le lieu de travail effectif du travailleur doit être pris en compte au niveau de l'application de l'article 6, 2, a. Il ne peut donc plus entrer en compte pour l'interprétation du paragraphe b. De plus, la lettre même de l'article 6, 2, b fait référence à la seule embauche, c-à-d la signature du contrat de travail.
En conclusion, l'établissement qui a embauché un travailleur est l'établissement qui a signé le contrat. Peu importe le lieu où le travailleur a effectivement travaillé. La CJUE, comme un dernier appel du pied à la Cour de cassation belge, lui rappelel toutefois la réserve générale de l'article 6 si celle-ci devait considérer que le contrat présente des liens "plus étroits" avec un autre pays. décidemment, l'application de l'article 6, 2, b est fortement découragé par la Cour.
Ensuite, la cour de cassation souhaite savoir si la notion d'établissement exige l'existence d'une personnalité juridique. La Cour considère que l'article 6 n'impose pas une forme particulièreni une personnalité juridique propre, mais seulement une "stabilité" de l'établissement qui a signé le contrat de travail: "en effet, une présence purement passagère dans un État d’un agent d’une entreprise provenant d’un autre État aux fins de l’embauche de travailleurs ne pourrait être considérée comme constituant un établissement qui rattache le contrat à cet État" (point 55).
Enfin, la Cour de cassation demande si le transfert du pouvoir de direction a une incidence sur la notion d'établissement qui a embauché le travailleur. En l'occurrence le directeur de Naviglobe, société qui donnait en fait les ordres au travailleur, était également le directeur de Navimer. Navimer soutient toutefois que le pouvoir de direction n'a pas été formellement transféré à Naviglobe.
La Cour note qu'une telle circonstance doit normalement être prise en considération dans la détermination du lieu d’accomplissement habituel du travail, aux fins de l’application de l’article 6, 2, a. "Ce n’est que dans l’hypothèse où l’une des deux sociétés a agi pour le compte de l’autre que l’établissement de la première pourrait être considéré comme appartenant à la seconde, aux fins de l’application du critère de rattachement prévu à l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la convention de Rome" (point 64), ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'établir.
Sur le transfert du pouvori de direction, la Cour considère que ce n'est pas un élément décisif pour trancher cette question: "l’établissement d’une entreprise autre que celle qui figure formellement comme employeur, avec laquelle celle-ci a des liens, peut être qualifié d’«établissement» si des éléments objectifs permettent d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat, et cela alors même que le pouvoir de direction n’a pas été formellement transféré à cette autre entreprise" (point 65).