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Jean-Michel Delacomptée, La Grandeur Saint-Simon, Editions Gallimard, 226 p. 19 €.
Essai sur Saint-Simon, duc et pair de France (1675-1755), contemporain de Louis XIV ; essai qui est un roman. Plaisir du mot juste et du bon mot, que partage l'auteur avec son héros. Le lecteur se délecte.
Saint-Simon, personnage sympathique, courtisan indépendant, a le culte de la fidélité. Vertus indissociables : pas de fidélité dans la dépendance... L'auteur suit Saint-Simon dans ses choix de vie dont l'étrange volonté, tardive, d'écrire ses "Mémoires".
Le monde de Saint-Simon, décor de cet essai, nous sidère d'étrange proximité : le style de vie de l'aristocratie, ses valeurs déclarées et celles qu'elle pratique, la société de cour... En lisant ce film de la vie de Saint-Simon, on se rend compte aussi que Jean-Michel Delacomptée évoque un monde sans média, au sens où nous l'entendons aujourd'hui. Pas de presse encore, ou si peu, La Gazette de France (hebdomadaire, traite de la vie à la Cour, de la diplomatie). Des livres, de toutes sortes, de tous formats. Des bibliothèques. L'essentiel de la communication rapide passe par la correspondance, lettres et billets (surveillés par les pouvoirs) et surtout par les conversations, à la Cour et dans les demeures prestigieuses. Des bruits courent, des rumeurs, des ragots ; pour être informé, il faut informer, et fréquenter les lieux où "ça parle", être là, se déplacer à Versailles, propager à son tour les nouvelles, se faire voir et faire voir son rang. Saint-Simon est "homme de lien", dit l'auteur, on dirait aujourd'hui peut-être qu'il avait beaucoup d'"amis".
Il est bien sûr tentant, et risqué, de croiser ce constat simpliste à l'occasion de la lecture du livre de Jean-Michel Delacomptée avec la place de la conversation et de la correspondance numériques qu'illustrent Facebook et Twitter, les textos et les "mails" : on peut vivre sans médias. Les médias de masse sont le produit, historique et daté, de deux siècles, le XIX et le XXe. Ils sont apparus, ils peuvent disparaître.
Pourquoi Saint-Simon ? Jean-Michel Delacomptée s'en explique dans "J'aime mieux lire" (N°77) sur le site de Télérama. D'abord, l'importance de la langue classique, celle de l'Ancien Régime, "langue de la justesse". Michel Delacomptée, "militant de la langue", invite à réfléchir au statut de la langue française, à ses enjeux politiques. La langue lui apparaît la partie la plus négligée de notre patrimoine. Comment construire l'Europe, intégrer des immigrés étrangers sans une politique plus ferme de la langue ? Défense et illustration d'un patriotisme linguistique. La communication, les médias, c'est d'abord la langue, puis les langues : ce que défend Michel Delacomptée est au coeur de l'économie des médias.