Henri Deluy vient de publier Poètes néerlandais de la modernité, une anthologie de poésie néerlandaise contemporaine. Présentation de ce livre
Sélection ici de deux des auteurs choisis par Henri Deluy.
1. Jan G. Elburg (1919-1992)
4
Eau dans l’eau ;
on me navigue on me passe à gué.
Le bateau de la lune
jette son ancre de lumière.
J’emprunte un peu de lumière je la jette dans l’éternité :
Je n’en suis ni plus pauvre ni plus sage.
Qui est là ?
Une bouche derrière la lune dit : personne.
Moi, eau dans l’eau
lune tremblante, taureau, trompé.
J’en suis traversé.
Elle trône entre les cornes.
7
Miroir vide contre
miroir sans fond,
voici ce que j’imagine :
rêvassant sur une toupie folle
accroupi
se tient mon sosie, l’impuissant
il cache son regard derrière son front ;
tout en tête,
pas d’yeux
se suffisant
comme un sous-marin plein d’aveugles jacassant.
comme une lampe s’éclairant seule
dans une chambre noir sans murs.
8
C’est moi.
L’idée est mon écho.
Je suis là.
Moi autre,
parmi les bêtes comme moi :
ce que je sais me diminue.
Ce que je pense que je fais me diminue ;
non plus superbe parmi les fleurs,
moi le sage.
Moi l’homme,
moi qui ris dans les rêves,
qui vois de gros animaux dans les petits.
Pas beaucoup plus pour des balles ou des baisers.
La beauté est maladie et le courage est ignorance.
Pourtant : la chair, ma douce guirlande, me console.
Je fais comme si j’étais vivant
et je vis.
Jan G.Elburg, « Astarté », traduction Saskia Deluy, in Henry Deluy, Poètes néerlandais de la modernité, Le Temps des cerises, 2011, pp. 172, 174, 175
2. Anneke Brassinga (née en 1948)
BLEU
petite tristesse râle et rage
comme pluie dans les dunes
petits tristesse baisse hagarde
le regard sur les mûres.
fruit noir de la tristesse,
sous la pluie, sucré et froid,
râle et rage, hagard et tendre
dunes froides, sous un voile
bleu nuage, entourent la tristesse
égarée, presque crevée,
qui dans toute sa petitesse
râle et rage.
III
Les arbres de mon jardin ont poussé
haut cette année, ils vivent
de feuillage et de lumière tombant
invariablement, y sont égaux.
Comme un géant plongé dans les années
juché sur des échasses grandissantes
je traverse le temps (dit Proust)
Ce qui me maintient en vie s’étend
plus loin que je ne pense : le passé revu
rend la lumière plus transparente
avec la raréfaction de l’âge. Vu
les arbres je ne suis pas autre –
en dehors de tout, aussi abandonnée.
Qu’importe ? Qui ne loge nulle part
offre un refuge à la beauté
dans l’œil fuyant revenant
qui s’est écarté du savoir
Anneke Brassinga, traduction Kim Andringa, in Henry Deluy, Poètes néerlandais de la modernité, Le Temps des cerises, 2011, pp. 260, 262
Jan Elburg, voir ici ou ici (en anglais)
Anneke Brassinga, voir ici (site du cipM), ici, ici (en anglais)