Pire, la visite ne fut pas sans anicroche. Un patron local expliqua que le Made en France version Sarkozy était surtout un label qui autorisait 50% de valeur ajoutée... étrangère.
Allez comprendre.
Les coulisses du chef
Tout avait été particulièrement soigné cette fois-ci. Le thème était porteur, « produire en France ». Le décor était propice, la Haute-Savoie. C'est la montagne, un paysage français comme on les aime chez les publicitaires élyséens. L'entreprise visitée était connue du grand public, Rossignol. Qu'importe si le Monarque était resté sourd aux appels syndicaux, voici 2 ans, quand la société peinait à maintenir des emplois en France.
Le show, ensuite. Comme souvent, Nicolas Sarkozy visite l'usine, une grosse écharpe autour du cou, l'air grave et concentré à chaque explication technique devant d'imposantes machines. Il aime parler sur une estrade, à côté du patron du site, au milieu d'employés, si possible en costume de travail, que l'on presse autour de lui. On évite les délégués syndicaux, on interdit les banderoles revendicatives. Journalistes et autres curieux inutiles sont placés dans les rangs du fond. Il y a au moins deux caméras de l'Elysée pour filmer. L'intervention est toujours courte, 20 minutes à peine. Il n'y a jamais de questions ni de commentaires laissés à l'assistance.
Le public doit applaudir, sourire et se taire.
Ensuite, Sarkozy anime une « table ronde », qui est toujours carrée, au milieu d'un hangar, entourée d'une grande armature métallique pour y percher hauts-parleurs et éclairage. Sarkozy « travaille » sur le thème du jour. Autour de lui, deux ministres, et un micro-panel choisi à l'avance, comme les questions. Ce jour -là, les ministres étaient nombreux pour se montrer: François Baroin (Finances), Eric Besson (Industrie), Frédéric Lefebvre (Tourisme).
Sarkozy lit son texte, se permet quelques anecdotes (toujours les mêmes). Les propos se ressemblent tant d'un déplacement à l'autre, qu'il faut régulièrement regarder le petit écriteau placé devant le Monarque pour se rappeler le thème du jour.
Les petites phrases du chef
On connaît l'histoire avant même de l'entendre. Sarkozy doit paraître sérieux, protecteur et maîtrisé. Il n'a pas de programme mais cherche à convaincre qu'il est plus expérimenté que d'autres. Le chauffard roulerait enfin droit, quelques semaines avant de perdre le dernier point de son permis.
« Merci de me recevoir, c'est ma 11ème visite dans ce département depuis 2007 ». Dès les premiers mots, le message clé: je suis venu souvent donc je vous connais bien.
« Je suis très heureux, aussi, parce qu'ici, à Salanches, chez Rossignol, il s'est passé quelque chose de très important qui ne doit pas être exceptionnel... des skis juniors qui étaient fabriqués à Taïwan sont désormais fabriqués ici. Qu'est-ce qui s'est passé ? » Second point essentiel, raccrocher la visite à l'action gouvernementale, réécrire l'histoire. Concernant Rossignol, Sarkozy n'y est pour rien mais c'est toujours utile de se raccrocher à un tel exemple. Nicolas Sarkozy ne se déplace pas pour comprendre, écouter, voir. Il n'annonce même plus rien depuis des mois (cf. ci-dessous). Il fait du service après-vente.
Serait-il en campagne que ce serait normal. Sauf que... il n'est pas officiellement candidat. Il se vend, mais sans objectif électoral. Vraiment ? Serait-ce du simple narcissisme ?
« Je veux, par respect pour vous, vous exposer ma position et la limite que je fixe par honnêteté vis-à-vis de son pays... » et il distingue ensuite l'implantation à l'étranger pour produire au plus près des marchés exports (« c'est normal, c'est bien » ) de la délocalisation pour « revenir vendre chez nous » (« j'suis pas d'accord »). Troisième clé, il faut donner des leçons avec gravité, affirmer ainsi qu'on est le maître, le protecteur.
Sarkozy a toujours besoin d'enfoncer quelques portes ouvertes avec gravité pour se présidentialiser.
« C'qui est important, c'est de produire en France. (...) Et si c'est des capitaux étrangers qui veulent développer des activités en France, tant mieux. Est-ce que je me fais bien comprendre là-dessus ? » Nicolas Sarkozy ne parle plus de capitalisme familial, son crédo des discours anti-crise boursière en 2008/2009. Il aime les capitaux, et tente de convaincre les salariés de Rossignol qu'être possédés par un fond australien, « ce n'est pas l'important ».
« Quels sont nos atouts ? (...) Le premier atout, c'est la qualité de la main d'oeuvre. (...). J'vous ai vu Monsieur (il pointe du doigt, cela fait sourire l'assistance). J'vous ai vu tout à l'heure devant votre machine...(...) Le savoir-faire, y vient pas comme ça... ya une mémoire » Quatrième principe, jouer la proximité, embarquer l'assistance ouvrière d'un sourire.
Les dérapages du chef
La crise est là. La table ronde ne s'est pas déroulée comme prévu. N'imaginez pas une révolution. Non, mais le Monarque fut mis en difficulté. Un patron, de l’entreprise TSL, a critiqué le label « Origine France Garantie », si cher à la symbolique sarkozyenne du jour. Ce label est accordé aux produits dont le taux de valeur ajoutée produite en France est supérieure au seuil de 50%. Mais le PDG de TSL, leader de la raquette à neige, préfèrerait que ce taux soit relevé à 75%.
Certes, la table ronde avait bien commencé. Sarkozy put parler tourisme (sic!) et, évidemment tacler les ... écologistes : « Je sais depuis longtemps qu'il n'y a pas de tourisme local s'il n'y a pas d'activité de production. » Parfois, Nicolas Sarkozy raconte vraiment n'importe quoi. « C'est parce qu'il y a des activités de production, agricoles, artisanales, qu'on pourra développer le tourisme. Contrairement à ce que croient des gens particulièrement sectaires, le fait pour la population d'avoir des emplois n'est pas un handicap contre la nature ou pour la venue des touristes du monde entier. ».
Ensuite, Sarkozy put facilement accuser « les élites françaises » qui préféraient les « services contre l'industrie », par « un effet de mode ». Du « Opposer les services et l'industrie c'est absurde » aux « services sans industrie n'ont plus de clients », le Monarque enfonça des portes ouvertes comme dans un salon de l'ameublement.
Sarkozy évoqua aussi la TVA sociale, sans l'avouer. « Nous ferons des propositions très rapidement ». Il était gêné... « Le but, c'est pas la TVA »... « Par exemple, y a pas de raison que les importations ne financent pas notre modèle sociale... » Roooo... Il y arrive... Sarkozy teste ses arguments.
Nicolas Sarkozy avait quelques certitudes incroyables : « Tout le monde parle ‘acheter français’. Moi, je préfère parler ‘produire français’ ». Et employer en France ? Une idée ? Depuis bientôt 5 ans, une crise et une reprise, la France a perdu un million d'emplois. Qui dit mieux ?
Puis est venue cette intervention du président de TSL: « Ma question est simple. Pourquoi a-t-on créé un label Origine France avec un niveau que je trouve qui n'est pas très haut, pourquoi n'a-t-on pas gardé le made in France (...) en montant le niveau à un montant que je trouve raisonnable, ... à 75% ... » La question fut largement applaudie. Elle était d'importance. En allégeant la qualification française, Nicolas Sarkozy voulait discrètement favoriser les multinationales françaises pour qu'elles puissent produire ailleurs jusqu'à 50% de la valeur ajoutée de produits tout de même labellisés par l'Etat. Une belle arnarque !
Nicolas Sarkozy... ne répondit pas tout de suite... Il se tourna sur sa droite : « tu veux répondre ? » demanda-t-il à son voisin. Il était paumé. Ses fiches ne prévoyaient pas cette critique. Pire, le patron de Rossignol à qui fut rapidement donné la parole abonda. ... Sarkozy s'embrouilla dans une réponse trop longue: « 50% ou 75% ? Je n'ai aucun problème à ce qu'on change ! »
Pourquoi donc un label ... si bas ?
Les arguments
Sur le site de l'Elysée, on retrouva quelques heures plus tard les principaux arguments présidentiels. En l'occurrence, le label « Origine France Garantie », selon l'Elysée, « permet de garantir l'origine nationale d'un produit et d'aider les produits français à mieux se faire repérer par les consommateurs, mais aussi de favoriser le maintien des savoir-faire en France ». Un pur exercice de communication qui fait joli sur les étiquettes et ne change rien dans la vraie vie. Au contraire, il légitime indûment quelques productions étrangères.
Le thème du jour importe peu; les arguments ne changeaient pas: loi TEPA, Grand Emprunt, crédit impôt recherche, la réforme de la taxe professionnelle, les méchantes 35 heures. A 145 jours de l'élection présidentielle et bientôt 1700 milliards d'euros de dette publique, Sarkozy n'a plus rien à promettre, ne peut plus rien promettre.
Les communicants de l'Elysée poursuivent. En quoi l'entreprise Rossignol a-t-elle été aidée par l'action de notre vibrant Monarque ? L'argument tient en une phrase, pas plus: « Dans son développement, Rossignol bénéficie de la politique industrielle menée par le Président de la République en faveur de la compétitivité et de l'emploi : allègements de charges sur les bas salaires, loi TEPA, soutien à l'activité partielle, crédit impôt recherche ».
Quels sont les « allègements de charges sur les bas salaires » qui serait l'une des spécificités sarkozyennes ? On ne sait pas. En fait, Nicolas Sarkozy a fait comme ses prédécesseurs de crise, il a maintenu les allègements de charges pour les emplois les moins qualifiés et les plus exposés. Le crédit-impôt recherche n'est pas non plus une invention sarkozyenne. Quand à la loi TEPA, elle a quasiment intégralement été détricotée par Nicolas Sarkozy lui-même, et on a peine à voir en quoi elle a favorisé la relocalisation de la production en France.
Sur l'industrie, l'argumentation sarkozyenne est presque savoureuse. Depuis 2007, l'emploi industriel s'est effondré, particulièrement depuis la mise en oeuvre de la défiscalisation des heures supplémentaires au printemps 2008: observez les courbes officielles.
Les annonces
Nicolas Sarkozy rabâche de maigres propositions déjà connues. Il n'a plus d'argent, ni davantage d'idées.
- le fameux Grand Emprunt. Dès son annonce, en janvier 2010, nous avions comme d'autres dénoncé l'opération électorale. Ces quelque 35 milliards d'euros d'endettement supplémentaires servent d'argument électoral à répétition, et de cagnotte à cadeaux pour toutes les clientèles. Ainsi, ce mardi, le Monarque avait 5 millions d'euros à attribuer au Pôle de compétitivité de la vallée voisine de l'Arve.
- une loi « renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs ». Cette dernière a déjà été adoptée... Faute de moyens, on joue sur les étiquettes.
- on augmentera à 800.000 d'ici 2015 le nombre d'apprentis en France. Le candidat devrait se renouveler. Nadine Morano, sa secrétaire à l'Apprentissage, nous répète l'argument depuis plus d'un an. Or nous sommes loin du compte. La Dares vient justement de révéler, dans un bilan 2010 publié ce mois-ci, que le nombre de nouveaux contrats signés l'an dernier était inférieur aux niveaux des deux années précédentes : 287000 nouveaux contrats enregistrés dans le secteur marchand, après 288000 en 2009 et 299000 en 2008. Quelle priorité !
Que fallait-il retenir ? Pas grand chose.