Ils n’étaient que quelques milliers dans les années 80, les enfants américains scolarisés à la maison sont désormais 2 millions. S’il reste très critiqué, le « Homeschooling » fait néanmoins de plus en plus d’adeptes parmi les parents qui déplorent la dégradation des conditions de vie dans les écoles traditionnelles.
Par Benoit Toussaint
Chaque matin, Mike Donnely suit le même rituel. Ce père de famille se lève et prépare le petit déjeuner pour ses sept enfants avant de partir au travail. Une vie de famille normale, dans la banlieue de Washington DC, à un détail près : une fois le petit déjeuner avalé, ses enfants n’attendent pas l’un des fameux bus scolaires jaunes pour se rendre à l’école publique. Et pour cause, ils sont scolarisés à la maison sous la direction de Patty, leur mère. Quand les plus petits jouent au rez-de-chaussée et apprennent leurs premières lettres de l’alphabet, les plus âgés travaillent à l’étage en autonomie. Mais pour cette enseignante de formation, la tâche est moins simple qu’elle n’en a l’air. « Nous avons dû adopter une approche complètement différente de celle pour laquelle elle avait été formée », explique son mari.
Avocat de profession, Mike Donnely est porte-parole de l’Association de défense légale du Homeschooling (HSLDA), l’un des plus influents lobbies des Etats-Unis dans ce domaine. « Lorsque nous avons eu nos deux premiers enfants, nous savions que nous ne voulions pas les scolariser à l’école publique. J’étais préoccupé par l’environnement dans lequel ils allaient évoluer, et à l’école publique, il y a beaucoup de pression, de problèmes de drogue, la mauvaise influence de leurs camarades. Je ne voulais pas qu’ils se retrouvent dans des situations à risque », ajoute-t-il. Après en avoir discuté avec des amis qui scolarisaient leurs enfants à la maison, Mike et Patty ont tout de suite eu le coup de foudre pour cette solution.
Quasiment inconnue il y a encore vingt ans, cette pratique a littéralement explosé depuis le début des années 2000. Une étude réalisée en 2007 par le bureau fédéral des statistiques estimait que 1,5 millions d’écoliers travaillaient à la maison. Mais une nouvelle étude rendue publique par le professeur Brian D. Ray, du National Home Education Research Institut, un think tank dédié à l’étude de la scolarisation à domicile, affirme désormais que le nombre d’écoliers à la maison, âgés de 5 à 17 ans, a dépassé la barre des 2 millions.
Les familles nombreuses championnes du Homeschooling
Un engouement qui s’explique par la mauvaise image croissante de l’école publique auprès des familles américaines. « Notre système d’éducation fait face aux problèmes qui existent sans doute dans toutes les écoles publiques du monde. Mais ils sont peut-être pires aux Etats-Unis qu’ailleurs », explique Mike Donnely. D’après les sondages, la méfiance vis-à-vis des écoles publiques constitue d’ailleurs la première raison invoquée par deux tiers des parents pour justifier le choix de la scolarisation à la maison. Viennent ensuite le souhait d’offrir un enseignement religieux ou moral, et l’insatisfaction liée à l’offre éducative dans les autres écoles.
Et cette pratique semble ne pas être réservée à la frange conservatrice de la population. Même dans le très démocrate état de New York, le Homeschooling a le vent en poupe. D’après les catégories du gouvernement américain, la majorité des élèves scolarisés à la maison sont blancs, issus d’une famille nombreuse de trois enfants ou plus, dont l’un des deux parents seulement travaille. Cliché souvent répandu, l’école à domicile n’est pas limitée aux seules classes aisées, puisqu’en 2007, près de 40% des familles concernées avaient un revenu annuel inférieur ou égal au salaire moyen américain (environ 45.000 $ par an).
Surtout, elle n’est pas homogène dans sa pratique. Certains parents choisissent de recourir aux cours à distance via internet, d’autres à des programmes conçus par des écoles avec des objectifs à atteindre et des examens périodiques, d’autres encore décident de fixer eux-mêmes le programme de leurs enfants et de leur prodiguer l’enseignement correspondant.
Une pratique contestée
« Bien souvent, les parents n’ont aucune qualification professorale. Ils ne sont pas formés et il est très difficile pour eux d’enseigner toutes les matières abordées à l’école publique, estime cependant le Dr. Henry Gault, spécialisé en psychiatrie enfantine et adolescente. A ce titre, il y a une confusion entre le rôle de parent et celui d’enseignant. De plus, il y a un risque très fort pour la sociabilité des enfants qui n’apprennent plus à se confronter aux autres enfants et aux différents professeurs ».
Toujours selon les chiffres du gouvernement américains, près de la moitié des parents qui enseignent à leurs enfants à la maison ont en effet un diplôme inférieur ou égal à une licence. Outre le risque d’isolement des enfants, le Homeschooling a notamment fait l’objet de critiques nourries de la part de certains syndicats d’enseignants qui y voient la une dérive du fanatisme religieux aux Etats-Unis.
Dans une publication de l’Institute for Philosophy and Public Policy, de l’Université du Maryland, la professeur Robin West a notamment déchainé la fureur des partisans du Homeschooling en déclarant que « la majorité des homeschoolers aujourd’hui, en réalité une minorité, sont des protestants fondamentalistes. Et parmi les centaines de milliers de parents protestants fondamentalistes qui ont retiré leurs enfants de l’école publique durant les dernières décennies, la majorité l’a fait, non pas parce que leurs enfants avaient des besoins spéciaux, ou parce qu’ils vivaient trop loin d’une école, mais plutôt parce qu’ils n’approuvaient pas ‘’la laïcité, leur libéralisme, leur humanisme, leurs modes féministes de socialisation’’, et dans certains cas, l’existence même d’écoles publiques ».
Des associations organisées et militantes
Des critiques toutefois balayées de la main par les défenseurs de l’école à la maison qui se sont organisés en de très nombreuses associations et forums sur Internet afin de défendre leur choix éducatif au niveau fédéral et aider les parents intéressés à faire leur premiers pas. Un lobbying très influent qui leur a permis d’engranger les victoires ces dernières années, la scolarisation à la maison étant désormais autorisée et très peu règlementée. Si certains états américains imposent aux parents de se faire connaître auprès des services éducatifs fédéraux et aux enfants de passer des tests chaque année pour vérifier leurs connaissances, certains n’imposent aucune obligation particulière.
David Anders, professeur d’université, vit dans l’Alabama et il est père de cinq enfants, presque tous scolarisés à la maison. Catholique convaincue et pratiquante, cette famille débute chaque journée par une messe à 6h30 du matin. Le reste de la matinée est réservé au travail scolaire à la maison. « Nous suivons un plan d’étude fixé par une école catholique des environs, qui leur donne des instructions quotidiennes. Mon fils le plus âgé travaille seul, tandis que ma fille la plus jeune est aidée par sa maman. Et dans l’après-midi, les enfants vont à la piscine ou font de l’exercice », explique-t-il. S’il ne nie pas l’importance de la foi dans les choix qu’il a fait pour ses enfants, David Anders rejette toutefois les accusations d’isolement et de fanatisme.
« Mes enfants ne sont pas dépourvus de relations sociales. Au contraire, ils ont généralement des liens avec les autres enfants scolarisés à la maison, avec leurs familles, avec les gens de leur quartier et de leur communauté religieuse, leurs équipes sportives. En revanche, il est vrai qu’ils sont privés d’un environnement où leurs relations sont exclusivement réservées aux gens de leur âge comme c’est le cas à l’école traditionnelle », explique-t-il. Selon les études réalisées par certaines associations pro-homeschooling, les enfants scolarisés à la maison réussiraient même mieux aux tests académiques que leurs camarades de l’école publique ou privée.
David Anders admet que tous les parents ne sont pas infaillibles et que la scolarisation à la maison peut se révéler un désastre « dans une minorité de cas ». Toutefois, pas question pour lui d’envisager plus de réglementation de la part du gouvernement fédéral. « La plupart des parents qui ont fait le choix de l’école à la maison le font parce qu’ils sont intensément impliqués dans l’éducation de leurs enfants et de leur bien-être. De façon générale, ces enfants se montrent plus performants que les autres. Pourquoi le gouvernement devrait-il légiférer une pratique qui se révèle un succès sauf pour une très petite minorité de cas », explique-t-il.
Une fois le dîner terminé, David Anders aidera son fils à faire quelques exercices de mathématiques, pendant que les autres enfants iront se coucher tôt pour être en forme le lendemain. Et ainsi de suite, ce que ce père de famille appelle finalement sa daily routine.
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Article publié par inecoveritas.fr.