Elections au Conseil fédéral : la démocratie de concordance est morte

Publié le 14 décembre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Les médias presque unanimes parlent de statu quo et se réjouissent que le plus grand parti de Suisse, l'UDC, ne soit représenté que par un membre sur sept au Conseil fédéral.

Tous les partis, unanimes, rejettent la faute sur l'UDC elle-même: elle n'aurait pas adopté la bonne stratégie pour obtenir son deuxième siège au gouvernement.

Dans le Dictionnaire historique de la Suisse, la démocratie de concordance ici, est définie en ces termes : 

"Dans la démocratie de concordance, la prise de décision ne se fonde pas (comme dans la démocratie majoritaire ou "démocratie de concurrence") sur le principe de majorité, mais sur la recherche d'accords à l'amiable et de compromis largement acceptés. Tous les partis importants sont impliqués dans le processus et se voient attribuer des fonctions politiques et des postes à responsabilité dans l'administration, l'armée et la justice, proportionnellement à leur force électorale."

En 1959, pour la première fois, la composition du Conseil fédéral est conforme à cette démocratie de concordance. La formule magique qui la concrétise est d'attribuer deux conseillers fédéraux à chacun des trois premiers partis du pays en suffrages et un conseiller fédéral au quatrième.

De 1959 à 2003 le Conseil fédéral sera ainsi composé de deux radicaux, de deux démocrates-chrétiens, de deux socialistes et d'un démocrate du centre. En 2003 l'Assemblée fédérale élit deux démocrates du centre, dont Christoph Blocher. Les démocrates-chrétiens perdent un siège. Ils ne pardonneront jamais la perte de ce siège, qui est pourtant méritée par leur position de quatrième parti de Suisse. 

En 2007 ils participent donc à un complot avec les socialistes et les verts pour évincer Christoph Blocher et élire à sa place, le 12 décembre, Eveline Widmer-Schlumpf, qui a la couleur de l'UDC, mais n'est pas une véritable UDC, comme la suite le confirmera. Cette élection, à la faveur d'une trahison, provoque une scission au sein de l'UDC. Le PBD naît de cette scission. Eveline Widmer-Schlumpf en devient membre et le représente dès lors au Conseil fédéral.

En conséquence on peut dire que la démocratie de concordance, cette exception helvétique, a pris un sacré coup le 12 décembre 2007. Le coup de grâce vient de lui être donné ce jour, 14 décembre 2011. En effet il ne s'agit pas d'un statu quo, mais d'un profond changement. On s'achemine vers une démocratie majoritaire dont l'aile droite va se voir de plus en plus exclue. 

Certes le Conseil fédéral est composé des six membres sortants et du remplacement du septième, socialiste, par un autre, socialiste, mais le maintien de Madame Widmer-Schlumpf à son siège, alors que son parti n'occupe même pas la quatrième place, et n'a recueilli que 5% des suffrages, met fin à la démocratie de concordance au gouvernement.

L'erreur de stratégie de l'UDC [la photo de ses trois stratèges provient d'ici] ? Avoir refusé aux socialistes et aux démocrates-chrétiens d'évincer avec eux un des deux libéraux-radicaux pour prendre son siège. L'UDC n'a pas été payée en retour puisque des voix libérales-radicales se sont portées sur Madame Widmer-Schlumpf... Que l'UDC se soit opposée alors toute seule à la réélection des autres membres du Conseil fédéral toutes tendances confondues ne pouvait qu'être une action symbolique... et vaine.

A ma connaissance, un seul journaliste, esprit véritablement libre, n'a pas hurlé avec les loups et ne s'est pas réjoui de cette pantalonnade : c'est Pascal Décaillet. Sur son blog de la Tribune de Genève, il écrit ici, sur le vif :

"Un certain parti, le 23 octobre dernier, a obtenu 26% des voix [l'UDC, l'Union démocratique du centre]. C'est loin devant le deuxième (20%) [le PS, le Parti socialiste], très loin devant le troisième (14%) [le PLR, Parti libéral-radical], à quelques années-lumière du quatrième (12%) [le PDC, le Parti démocrate-chrétien]. On parle de concordance. On prétend, mensongèrement, qu'on lui reconnaît son droit à deux sièges. Par derrière, de façon programmée, préméditée, construite, on ourdit pour qu'il n'en soit rien. Et la coalition des perdants du 23 octobre, PLR et PDC, s'arrange pour que les siens soient reconduits, la seule chose qui compte pour eux, le tout sous couvert de morale, comme le 12 décembre 2007."

Bref le parlement ne sort pas grandi de son choix. Ce qui fait dire enfin à Pascal Décaillet que "le jour où [l'opinion publique] devra se prononcer sur l'élection du Conseil fédéral par le peuple, elle saura se souvenir de ce mercredi 14 décembre 2011".

Pas faux.

Ce strabisme orienté vers la seule gauche est surtout regrettable pour la Suisse, dont le fonctionnement gouvernemental n'aura désormais plus rien d'exceptionnel...

Francis Richard