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Belles-Lettres et les Caves du Vatican (3/3)

Par Blogegide

(lire la première partie)(lire la deuxième partie)
Epilogue
La polémique autour des Caves duVatican par les Bellettriens acontribué à donner plus d'importance que l'évènement n'enméritait. La présence de Gide et sacollaboration active au projet y sont évidemment pour beaucoup. Cette polémique a surtout laissé croire que l'entreprise fut au mieux un scandale,au pire un échec. Si bien qu'en 1950, alors qu'on monte de nouveaules Caves, mais à Paris cette fois, le jeune journalisteFranck Jotterand (il avait 10 ans en 1933) ne sait plus qui croire.Sur la – mauvaise – foi des anciens de la Gazette, ilécrit dans celle du 2 décembre 1950 :
« Rive droite, Rive gauche
 « Ne vous moquez jamais d'uncabinet qui tombe. » Ce n'est plus le moment de rire. Leschangements de ministère ont excité jusqu'alors la verve deschansonniers. Aujourd'hui, le spectacle est plutôt navrant. Corée,Indochine, réarmement allemand... Une atmosphère d'apocalypse. Etpourtant, la vie continue, le couple royal du Danemark est reçu parle président de la République qui arbore son plus large sourirepour la photo officielle, alors que tout à l'heure il a reçu leministère chancelant ; le ballet national américain danse de joieaux champs-Elysées ; les enfants attendent Noël ; et Gides'enfonce, lugubre, dans les Caves du Vatican.
EN SORTIRA-T-IL ?
Les difficultés ont déjà commencéentre le metteur en scène des Caves et le lauréat du Prix Nobel. Ondit que des drames éclatent à chaque répétition à la Comédiefrançaise. Les spécialistes prétendent qu'il faut changer letexte, que ce n'est pas du théâtre ; André Gide répond que c'est du Gide et que cela suffit.Ce sont en somme les mêmes discussions qui emplissaient l'airlausannois de leur tumulte, il y a 27 ans, alors que le célèbreromancier, invité par Belles-Lettres, adaptait son roman à lascène.
LAFCADIO LAUSANNOIS
Les Bellettriens savaient qu'une damepleine de bonnes intentions avait monté la pièce à Paris, dans uneadaptation de son cru. Ils demandèrent à Gide, qui à cette époquecorrompait la jeunesse autant que Sartre corrompt celle d'aujourd'hui{dixit un père au nom de plusieurs), de revoir cette adaptation etd'en faire profiter leur théâtrale. Le grand homme accepta. C'étaiten 1933. En deux mois il tira 18 tableaux de son roman, choisit lesacteurs idoines, dont un Lafcadio insurpassable, aujourd'hui marchandde charbon. Comme le grand soir approchait, on recourut enfin auxbons soins d'un homme de théâtre, M. Béranger, pour s'occuper dela mise en scène. Le ton alla montant jusqu'à la générale.Le public ingurgita le prologue enmoins de deux, passa l'entracte à parler Nourritures terrestreset Corydon et affronta d'un cœur serein la suite duspectacle. Une demi-heure plus tard, on entendait claquer le premierstrapontin du premier spectateur qui sortait. Deux heures se passent.Des rangées entières se vident. A 2 heures du matin, le rideautombait parmi les vociférations des machinistes et dans le silencede la mort. Il restait quatre personnes, dont Gide, qui s'enfuit,poursuivi dans les coulisses par l'actuel secrétaire du Théâtrequi voulait l'obliger à prendre sa part des responsabilités. Ce futmémorable. Gide songe-t-il à Lausanne, en préparant sa grandepremière pour le Tout-Paris ? »

Le marchand de charbon et ancienLafcadio indépassable écrivait à son tour à la Gazette pourcorriger les élans satiriques du journaliste, auteur dramatique,critique littéraire et ancien Bellettrien lui-même. La lettred'Auguste Martin à Franck Jotterand paraissait dans un rectificatifde la Gazette de Lausanne du 2 février 1951 :
« A propos des « Caves duVatican »
Nous avions laissé entendre, lors denotre critique des « Caves du Vatican » créées par laComédie-Française — après les Bellettriens de Lausanne — quele Lafcadio au béret vert considérait actuellement la part qu'ilavait prise à ce spectacle comme une erreur de jeunesse. Il veutbien nous assurer qu'il n'en est rien, et nous envoie, avec unrecueil de vers qui prouve que sa muse a toujours vingt ans, unelettre aimable dont nous extrayons ces quelques passages :
Cher Monsieur,J'ai été assez amusé par le rappelque vous faites, dans la « Gazette », d'un passé déjàlointain.En revanche, l'image que vous donnez dela représentation, à Lausanne, des fameuses « Caves »,m'a quelque peu inquiété ; en effet, si la pièce étaitindiscutablement ratée — le découpage ayant été fait à la hâteet sans guère tenir compte des exigences de la scène — lareprésentation eut lieu dans une atmosphère plutôt sympathique ;elle dura jusqu'à minuit (la première, à Montreux, s'étaitterminée à une heure du matin, devant une salle pleine, et Gideavait supprimé des scènes entières pour Lausanne) ; contrairementà vos affirmations, la salle ne s'est nullement dégarnie, mais, àla fin du spectacle, applaudissait très honnêtement, et réclamaitl'auteur, qui, sauf erreur, refusa de paraître. Ce refus n'a,d'ailleurs, rien de surprenant, l'accueil fait à André Gide par lapresse lausannoise ayant été d'une unanime malveillance.Auguste Martin.
J'avais averti mes lecteurs que mon âgene m'ayant pas permis d'assister aux « Caves du Vatican »en 1933, je rapportais les dires de plusieurs spectateurs. Je suisd'autant plus heureux d'entendre un son de cloche différent. Franck Jotterand. »

En 1952 Auguste Martindonnait son témoignage dans un article intitulé « LesCaves du Vatican 1933 » dans la Revue desBelles-Lettres (n°6,novembre-décembre 1952, Genève). Et dans un dossier consacré àl'influence de Gide en 1961, dix ans après sa mort, la Gazette deLausanne l'interrogeait de nouveau :
« La création à Lausanne des Caves du Vatican
En novembre 1933, André Gide,l'explorateur et naturaliste fameux, s'arrêta parmi nous et paruts'intéresser quelque temps à notre peuplade – celle desBelletriens de Lausanne – qui s'étaient mis en tête dereprésenter, pour leur fête annuelle, la pièce tirée des Caves duVatican.L'entreprise était audacieuse, lapièce boiteuse, et l'atmosphère de Lausanne réfrigérante. Gide,qui connaissait La Brévine, ne dut pas être autrement surpris.Evidemment, il sentait le soufre de plus en plus ; sa notoriété demauvais aloi se compliquait alors d'un retour de l'URSS déplorable[le Retour de l'URSS date bien sûr de 1936, ndla]. Et, pourcertains, le seul nom de Gide s'étalant sans abréviation sur desaffiches en pleine ville, constituait une offense à la moralitépublique. Si son faciès avait été plus connu, bien des mères defamille eussent, à l'approche du réprouvé, rappelé leurs enfantsjouant dans la rue. Cependant, Gide allait et venait comme si rienn'était, l'air plutôt content de lui-même.Il faut reconnaître qu'il était douéd'un certain cynisme. Comme il l'écrit très bien dans son Journal,il « faisait semblant » de surveiller les représentationsde sa pièce. En réalité, un sourire quelque peu satanique plissantson masque mongol, il restait là à observer les auteurs novices quenous étions, s'amusant fort de nos maladresses. Il ne disaitstrictement rien, et paraissait enchanté quand notre répétiteur,directeur de théâtre style sergent-major, m'écrasait de son méprissi je hasardais une remarque, dont la pertinence ne m'échappaitpourtant pas – à moi...J'avais eu l'honneur d'être choisi parle Maître, bien par hasard, pour tenir le rôle de Lafcadio. Unefois désigné après avoir prononcé quelques répliques dans vuescène dont je comprenais mal le sens, je pensai utile de lire lesCaves du Vatican. J'en appris ainsi de drôles sur le comptede mon personnage, et sur ses curieux liens de parenté avec lafamille Baraglioul. Et c'est finalement avec beaucoup de plaisir queje me mis dans la peau de ce Hamlet peu tragique, mais poussantjusqu'au crime le plus gratuit le besoin de se prouver son existenceet en même temps l'absurdité de celle-ci.C'était une chance inespérée pour unjeune homme timide comme j'étais, que de pouvoir approcher AndréGide. J'ai eu ainsi l'occasion de le voir seul deux ou trois fois.Dans la crainte de ne rien dire d'intelligent, je ne parlais guère.Et j'avais mieux à faire en l'écoutant. Sa présence était plutôt curieuse,un peu gênante tant il se donnait de peine pour ne pas gêner soninterlocuteur, pour ne pas le blesser, et pour faire oublier qu'ilétait un homme célèbre. S'il y avait bien quelque cynisme dans cevisage, assez « pasteur protestant » par ailleurs –dont l'impassibilité était habitée par un regard d'une mobilitéextrême, on y distinguait aussi une sorte de tendresse aiguisée,cruelle peut-être, attentive aux réactions intérieures d'un êtreaux signes révélateur de sensibilité. Sa connaissance des méandrespsychologiques et sentimentaux de l'homme – il en adonnésuffisamment de preuves – était évidente. Et l'on percevaitconstamment dans sa conversation, dans la retenue de sa voix, lanécessité de donner à l'expression d'une idée ou d'un sentimentles inflexions les plus justes, aux mots leur sens le plus « utile ».Je me rappelle la façon si simple et convaincante dont il me parlade Dostoievski, en particulier, de l'Esprit souterrain, œuvre pourlaquelle il avait une très grande admiration. Bien que je n'aiejamais été « gidien », je n'ai pu m'empêcherd'éprouver pour cet homme qui semblait à la fois heureux ettourmenté, du respect et de l'affection. « Il est difficile debien vieillir », me disait-il d'un air amusé ; en apparencetout au moins, il ne s'en tirait pas trop mal.Pour en revenir aux « Caves »,les trois représentations que nous en avons données ne furentnullement le jour que pouvaient laisser prévoir de bien évasivesrépétitions. Notre troupe, nombreuse, et hétéroclite à souhait,anima honnêtement les tableaux de la « sotie » (17primitivement). A part celui de Lafcadio, presque tous les rôlesétaient des rôles « de composition », avec quelquestravestis et, quand même, deux charmantes jeunes femmes (desvéritables). Notre fête annuelle nous réserva des joies profondes; Montreux nous supporta avec une bonne volonté exemplaire, jusqu'àune heure du matin, mais elle fut la seule ville à avoir droit à laversion in extenso du chef d'œuvre. Lausanne et Genève durent secontenter d'un abrégé qui, s'il donnait plus de vivacité à lapièce, la rendait un peu moins intelligible.André Gide ne parut pas impressionnépar nos talents et les charmes des acteurs belletriens, qui nepeuvent, malgré leur singularité, rivaliser avec ceux desaborigènes du Tchad ou du Congo. Tout au plus note-t-il, dans sonJournal, à propos de la représentation de Genève : « Il(le public) suivait le dialogue, et chaque drôlerie portait aussitôtque les acteurs inexpérimentés consentaient à la faire valoir. Iln'eût tenu qu'à eux d'intéresser et d'amuser bien davantage. »Par la suite, il parla pourtant avecbeaucoup de gentillesse de cette aventure, et de ce qui fut, malgrétout, une grande « première mondiale »... »

A lire aussi sur ce sujet :
De Auguste Martin : « LesCaves du Vatican 1933 » (Revue desBelles-Lettres, n°6,novembre-décembre 1952, Genève)De Pierre Beausire, quitenait le rôle du second speaker : « AndréGide à Lausanne » (Écriture, n°14, 1978,Vevey, Éditions Bertil Galland), et « Scène XII ou « lepoint de vue du speaker » ». (BAAG, n° 72, octobre 1986, p.92).De Irène de Bonstetten : « AndréGide et Belles Lettres » (BAAG, n° 61, janvier 1984, pp.47-54) et « Belles Lettres, Les Caves du Vatican et Gide àLausanne en 1933. Présentation d'une lettre d'un des acteurs [ArthurMartin] » (BAAG, n° 72, octobre 1986, pp. 87-92).De Jean-Pierre Borle, un autre acteurde la troupe de l'époque : « Souvenirs » [de lareprésentation des Caves du Vatican à Lausanne]. (BAAG, n°72, octobre 1986, p. 87).Et bien sûr l'étude de Jean Claude : André Gide et le Théâtre (Gallimard, Cahiers André Gide, 1992) et sa notice de Les Caves du Vatican, farce in André Gide. Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, vol. II (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2009, pp. 1391-1403)

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