La présidentielle de 2012, pour le moment, c’est bousculade au centre, à gauche, à droite. Il y a même trop plein de minus habens qui se culbutent dans les couloirs des télévisions nationales pour annoncer leur candidature, comme le flamboyant Galouzeau de Villepin, élu de rien et représentant d’on-ne-sait-quoi. Et au milieu serpente non pas une rivière, mais bien un nouveau François. Bayrou est maintenant officiellement candidat. Lui aussi.
Le Béarnais têtu a finalement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle. Le choc de la surprise fut, cependant, relativement amoindri par le fait qu’on le voyait mal renoncer à cette ambition qui le taraude depuis aisément 10 ans.
Bayrou, au moins, c’est le candidat de la constance. De ce point de vue, on est donc en terrain connu. Son style reste, quasiment, inaltéré (et, probablement, il est inaltérable). On devine, dans sa façon de procéder, une certaine obstination, de celle qui permet de rester en vie même après les pires avanies et les passages les plus désertiques.
Et la présentation de sa candidature fut donc non pas une surprise mais une simple confirmation que oui, il va bien participer à la course à l’échalote de mai 2012. Ce qui est intéressant est que cette simple confirmation s’est rapidement transformée en événement médiatique dans les petits papiers de journalistes dont on commence à comprendre qu’ils n’ont pas trouvé, dans le candidat socialiste, un type suffisamment sérieux pour représenter la gauche.
Après plusieurs mois autour de 7%, on comprend que la presse s’émeuve d’une véritable explosion de son score. Et en filigrane se dessine la stratégie du président du Modem…
Car on peut tout de suite comprendre que si, par le plus furieux des hasards, Bayrou arrive au second tour, ses chances d’aboutir à la magistrature suprême ne sont pas minces. Examinons en effet les différentes possibilités :
* Devant Marine Le Pen, il n’aurait pas de mal à convaincre l’électeur qu’il constitue une vraie alternative, républicaine, démocratique, calme, pondérée, avec du bisou et de la détermination, bien plus calino-compatible que la politique de Marine, pleine de méchante xénophobie ou que sais-je encore.
* Devant Nicolas Sarkozy, il aura beau jeu de dire que lui, au moins, n’a pas glandé au pouvoir depuis 5 ans comme son adversaire. Il rassemblerait facilement les voix de gauche, et canaliserait à lui les mécontents du sarkozysme. Ses chances, devant l’actuel président, ne sont pas minces, d’autant qu’il a eu, lui, l’expérience d’un ministère.
* Enfin, devant Hollande, on peut estimer qu’il bénéficiera du soutien mou de l’électorat de droite, sinon des têtes de listes (qui le détestent assez fortement). Une partie de la gauche, pas franchement amoureuse de l’actuel candidat socialiste, n’aura pas trop de mal à voter pour lui non plus. Et encore une fois, Bayrou pourra toujours arguer de son passé opérationnel, ce que Hollande aura bien du mal à faire. Bref : Hollande sait qu’il trouverait en lui un adversaire délicat à contrer, ce qui se traduit d’ailleurs par les propositions même pas voilées de venir le rejoindre.
Et de ces trois scénarios, le premier n’est pas le plus improbable : il faut bien comprendre que si Bayrou arrive au second tour, par exemple en bénéficiant de l’empilement des affaires de magouilles socialistes et d’un éparpillement de la droite, Marine Le Pen a elle aussi toute ses chances, pour exactement les mêmes raisons…
Maintenant la question à deux euros est évidente : comment parvenir au second tour ?
Le problème du candidat de l’extrême-centre, c’est bel et bien de passer les phases éliminatoires.
Et s’il existe une possibilité pour François Bayrou de se retrouver au second tour, elle ne se situe pas dans une campagne énergique et innovante de sa part, mais plutôt dans l’échec des deux principaux poids lourds.
Certes, on ne peut pas écarter que le député des Pyrénées-Atlantiques fasse une campagne bouleversante pleine de propositions moins socialistes (soyons fous) ; par exemple, il aura intérêt à continuer à jouer sa partition sur le Made In France, ça ne mange pas de pain et ne déclenchera probablement aucune polémique…
Mais plus prosaïquement, on notera que chaque affaire socialiste, chaque bisbille ou chamaillerie dans le cas de gauche, chaque anicroche entre les différentes factions, lui profitera largement, exaspérant un électeur de plus en plus agacé des manoeuvres d’appareil. À droite, on comprendra aussi que le crédit de Sarkozy s’érodera tant et plus au fur et à mesure que la crise prendra de l’ampleur et que ses gesticulations n’amèneront aucun changement ; s’y ajouteront les inévitables déchirements internes dont la droite est coutumière.
On pourra d’ailleurs rire des encartés UMP plus ou moins connus qui pleurnichent sur l’éparpillement possible de voix pour le candidat connu du Centre et qui souhaitent donc que celui-ci … rejoigne cette majorité qui l’a proprement ignorée pendant tout le quinquennat. La finesse de la stratégie d’un Xavier Bertrand dans ce genre de saillies laisse pantois…
Dès lors, Bayrou peut effectivement arriver au second tour, plus grâce à la médiocrité de ses adversaires qu’à son talent naturel, relativement millimétrique.
À ce point du commentaire, j’élimine l’analyse au microscope du programme du Béarnais puisqu’elle ne fournit guère d’éléments d’appréciation d’un éventuel succès futur, tout comme regarder en détail le programme des autres candidats n’apporte finalement aucun éclairage solide sur les probabilités de les retrouver ou non après le premier scrutin : l’élection présidentielle française est une affaire de personne avant tout, pas de programme.
Du reste, que ce soit celui de Bayrou ou celui des autres prétendants, on comprend clairement que nos candidats n’ont pas encore pris la mesure des problèmes. On notera juste la différence de ventilation des efforts chez les uns et les autres : majoritairement, les socialistes de droite et de gauche font pleuvoir sur le peuple une averse d’impôts à hauteur d’une centaine de milliards, répartis en fonction de leurs orientations privilégiées. Chez Bayrou, sensiblement moins socialiste que le reste de la troupe, l’effort comprend pour moitié une réduction des dépenses de l’état, tout en conservant une bonne dose d’impositions vexatoires. Mais que ce soit 100 milliards d’impôts nouveaux, ou 50 milliards de baisses de dépenses et 50 milliards de nouvelles taxes, le chiffre total de l’effort reste insuffisant.
Certes, il fut le premier des candidats à parler du problème de la dette. Certes, certaines de ses solutions pourraient tendre vers un libéralisme un peu pastel. Mais ceci posé, Bayrou ne constitue pas pour moi l’homme providentiel dans lequel il veut se camper ; il a, tout comme Marine Le Pen, une chance non nulle de se retrouver au second tour, mais il reste délicieusement centralisateur et tendrement attaché au rôle d’un état bien trop grand pour être efficace.
Décidément, la France n’est pas prête de se sortir du gouffre dans lequel elle est tombée.