Sur la morale (deux)

Publié le 17 février 2008 par Saucrates

Réflexion seize (7 janvier 2007)
Cynisme et morale

Je vais répondre depuis mon blog à Connaissance, qui nous apporte régulièrement ses lumières sur le sujet de la Morale. Mais à lire ses différents posts, et notamment celui du 7 janvier 2006 sur le cynisme et la morale, je me demande s'il croit en l'existence de la morale. Selon lui, «la politique, par rapport à la morale, est cynique. Il faut l'admettre tout en réfléchissant sur les moyens de la civiliser de plus en plus». De même, le 18 décembre 2006, en paraphrasant Comte-Sponvile qui traitait de la justice, Connaissance écrivait : «la morale n'existe pas ; c'est pourquoi il faut la faire».
Est-il excessif de soupçonner Connaissance de ne pas croire en l'existence d'une morale ? Bien qu'il nous ait rappelé que selon lui n'existaient que des «morales de troupeau ou d'espèce». Que Connaissance ne pense pas que je le soupçonne d'être un «barbare». Je ne fais que m'interroger. La morale peut-elle s'appliquer à la politique nationale et internationale et devrait-elle être appliquée dans ce type d'actions politiques ? La morale existe-t-elle ?
Je pense que d'une certaine manière, tous les êtres humains jugent leurs propres actions en fonction de critères moraux, quels qu'ils soient, qu'il s'agisse de moi, de Georges W. Bush, de Saddam Hussein, voire Adolf Hitler. Leurs critères moraux sont peut-être pervertis, tout comme les miens (mais pervertis par rapport à quoi, là se trouve la question !), ils sont peut-être esclaves de leurs intérêts personnels, de leur soif de pouvoir, de leur soif de vengeance, mais ces critères demeurent, et leurs actions, d'une manière ou d'une autre, sont jugées par eux à l'aune de ces critères. Le garde américain de Saddam Hussein nous le prouve, en nous rappelons que ce dictateur déchu était avant tout un homme, qui s'interrogeait sur les raisons de l'attaque américaine.
Si tous les êtres humains sont capables de jugements moraux, même nos dirigeants, comment pourrait-on nier l'existence d'une morale (même de troupeau) ? Et les actions politiques peuvent donc être jugées à l'aune d'une morale. Tout acte peut donc être considéré comme moralement valable ou non.
Que Connaissance m'excuse si j'ai dénaturé involontairement sa pensée et ses arguments.
Réflexion quinze (18 décembre 2006)
Une morale de troupeau ?

J'ai lu avec intérêt le post du 13 décembre de 'Connaissance' sur ce qu'est la morale pour lui, et les apports de ces différents contradicteurs, 'Xavier' (qu'il me pardonne un post un peu trop violent sur les enseignants), 'Plumeplume', 'Decembre', 'Real' et 'Kleit'. Merci 'Connaissance' pour cette lecture.
Que faut-il en conserver ?
- Que ce que nous appelons Morale n'est que 'morale de troupeau', même pas une 'morale d'espèce'.
- Qu'il ne faut pas confondre morale, justice et législation.
- Que la morale se doit de s'interroger sur elle-même, de se critiquer elle-même.
- Et qu'il faut traiter de la place de la morale en période de guerre. Y échappe-t-elle ou non ?
Mais comment même expliquer le passage de notre morale individuelle, personnelle, à cette morale de troupeau ? C'était un peu l'objet de mes réflexions passées sur la place de la morale. Je rejoindrais ici l'approche de 'Kleit' qui pense que :
"La morale est individuelle plus qu'ethnique. Personne n'a précisément la même définition de ce que pourrait etre le bien, ou le mal, ce qui est bien pour moi ne l'est pas forcément pour vous alors que nous appartenons à la même société. C'est précisément pour cette raison que les lois sont nécessaires. Il est en effet impératif d'imposer une morale globale, un morale politique et législative, sorte de compromis entre tous et l'Etat, pour tenter de faire triompher une certaine vision du Bien."
D'où cette confusion entre morale, justice et législation que 'Connaissance' me reproche (qu'il me pardonne la force du mot).
Puis-je dire que 'Décembre' me rejoint lorsqu'il écrit que notre morale individuelle varie sans arrêt, à mesure que nous vieillissons, à mesure que les générations passent, que les sociétés évoluent. Je suis surtout totalement de son avis lorsqu'il écrit : "La démocratie ne veut pas, ne peut pas, se passer du bâton et la morale doit s’y faire. Le fort veut continuellement profiter de son statut dans le système moral démocratique mondial !"
Ce serait un peu la morale de cette histoire.
... Pour plagier 'Connaissance', nous assimilerons notre morale individuelle à une construction autonome, réalisée à partir, sur les fondations, des morales qui nous entourent (morales traditionnelles, morale enseignée par les parents, par l'école, morale de la société). Une construction qui évolue en permanence.
Réflexion quatorze (2 décembre 2006)
Contre l'intolérance

En ce début de vingtième-et-unième siècle, l'humanité et le monde dans son ensemble semblent retomber dans l'intolérance. L'humanité n'a pas réussi à se construire unitairement sur le respect d'un certain nombre de valeurs communes, telles que le respect de la vie, le respect de l'enfance, le respect de l'autre, le respect des droits de chacun. A quand remonte ce rêve ? C'était d'abord le rêve des philosophes, de Kant à Hegel, puis s'est devenu le rêve de toute l'humanité, grâce à quelques hommes d'état qui fondèrent l'organisation des nations unies au sortir de la deuxième conflagration mondiale.
Aujourd'hui, en 2006, cet ordre mondial vieux de soixante ans fait eau de toute part. Le libéralisme économique bafoue le respect des droits sociaux de centaines de millions de travailleurs dans le monde, dans les pays en développement comme dans les pays développés. Les états les plus puissants militairement de la planète conduisent des guerres d'agression au mépris des règles et des conventions internationales, et ne prennent plus en considération que leur seule force et leurs seuls intérêts (quand il ne s'agit pas d'intérêts purement privés). Mais ils s'enlisent malgré tout dans leurs guerres, malgré le déséquilibre des forces en leur faveur. En réponse, des groupuscules militaires (le plus souvent islamistes) et quelques états paranoïaques ont développé le principe de la guerre terroriste contre l'ensemble du monde occidental, avec pour objectif final la mise à mort de toute la population des mécréants, c'est-à-dire des non-musulmans. L'incompréhension croît aussi entre les diverses religions humaines et les diverses races, et notamment entre l'islam et le catholiscisme. Et cette incompréhension croissante se tranforme peu à peu en intolérance, notamment en matière religieuse.
Nos sociétés deviennent alors la caisse de résonnance de ces conflits, de ses impossibilités de vivre ensemble. Et les oppositions religieuses, les oppositions de richesse et de niveaux de vie, les oppositions de valeurs, les oppositions de sexe, les oppositions d'apparence et de race, gouvernent alors notre vie, nos échanges, notre devenir.
Au milieu de ce désordre, la philosophie ne pourra-t-elle pas redevenir une nouvelle fois le point d'ancrage, la réponse à ces déséquilibres, à ces tensions ? Cette situation n'est en effet pas si nouvelle. Elle n'est nouvelle qu'à l'échelle de l'homme, pas à l'échelle de l'humanité, ni à celle de la philosophie. A de nombreuses reprises, l'humanité s'est déjà trouvée au coeur de tels conflits. La première moitié du vingtième siècle a été une de ses périodes troublées que l'histoire des hommes a vécu, et l'on sait de quelle manière cela s'est terminé. Mais il n'a pas existé véritablement de grands philosophes qui se soient élevés à cette époque contre la barbarie qui s'étendait. Il y en a eu après la fin de cette guerre. Il y en a également eu certains pendant, mais ils ont parfois aussi été gagnés par la ferveur et la folie grandissante.
Mais il y eut d'autres époques où l'intolérance et l'ignorance régnaient, et où quelques philosophes les combattirent par leurs écrits et leurs pensées. Leurs écrits sont arrivés jusqu'à nous au travers des siècles, et ils éclairent encore aujourd'hui nos réflexions. Il faut lire le numéro hors-série du Point de septembre-octobre 2006 qui traite de Spinoza, de Kant et de Hegel pour mesurer à quel point le combat qui nous attend actuellement n'est pas nouveau. A leur époque, ces philosophes ont déjà eu à combattre l'obscanturisme, l'intolérance religieuse et le fanatisme. Bien sûr, il ne s'agissait pas des mêmes fanatiques. Les fanatiques d'hier ne sont plus les fanatiques d'aujourd'hui. Mais ces trois grands philosophes et d'autres ont répondu à cet obscurantisme et à l'absolutisme des princes qui gouvernaient alors le monde par une construction philosophique.
Il nous faut aussi construire une réponse philosophique au désordre du monde d'aujourd'hui. Si l'humanité échoue, les époques barbares reviendront. C'est à cela notamment que la philosophie doit servir.
Réflexion treize (21 août 2006)
Retour aux origines de la morale (trois)

De nombreux systèmes moraux, sociaux et religieux ont existé au fil des siècles et des sociétés humaines. La réflexion morale, le questionnement moral sur les fondements et la légitimité de ces systèmes moraux est par contre beaucoup plus récent, remontant à une époque comprise entre l’apparition de l’écriture et les premiers philosophes grecs, soit il y a environ trois ou quatre millénaires. C’est l’existence de ce questionnement qui permet de parler de morale. Sans cette interrogation sur la valeur des règles que l’on nous demande de suivre ou d’appliquer, il serait inapproprié de parler de morale. Il faut donc distinguer la ’morale’ du ’système moral’ ; la première correspondant aux réflexions issues du questionnement sur le fonctionnement de la société humaine, tandis que le second correspond aux valeurs individuelles véhiculées par chaque société humaine.
Les systèmes moraux, sociaux et à la rigueur religieux de chaque société humaine ont toujours été fonction des conditions matérielles et de production de celle-ci. Toutes les formes de systèmes moraux ne peuvent pas se retouver dans tous les types de sociétés humaines. Les sociétés reposant sur le don et les dépenses somptuaires (sociétés mélanésiennes et inuits) correspondent à des systèmes moraux et sociaux peu hiérarchisés, relativement égalitaires, sans accumulation capitaliste. Les sociétés reposant sur la chasse et la cueillette, vraisemblablement la première forme sociale rencontrée par l’espèce humaine, que l’on rencontre encore dans les zones les plus isolées de notre planète (Kalahari, la forêt amazonienne, l’Indonésie), présentaient également des systèmes moraux et sociaux relativement égalitaires (si ce n’est même plus égalitaires) même si la spéciation des tâches (la chasse réservée à l’homme et la cueillette réservée à la femme) implique une inégalité manifeste de la femme comparée à l’homme, qui se retrouve dans les compensations financières versées ou reçues par l’homme (compensations qui sous une forme ou une autre sont arrivées jusqu’à notre époque, puisqu’on parle encore parfois même aujourd’hui de la dote de la mariée) lors des épousailles.
Mais en même temps, les conditions matérielles et de production des sociétés humaines ne déterminent en aucune manière directement les systèmes moraux et sociaux régissant les groupes sociaux. Sinon, on ne trouverait pas à deux mille cinq cents ans de distance un système démocratique approchant dans deux organisations de production aussi dissemblables que la Grêce antique et l’Occident capitaliste libéral.
Mais, malgré ces milliers d’essais de systèmes moraux et sociaux différents, je demeure surpris que l’humanité n’ait toujours pas réussi à trouver un système moral où tous les membres de la société puissent être heureux. Mais j’ignore si ceci peut être l’objectif, le but, d’un système moral même parfait.
Réflexion douze (19 août 2006)
Retour aux origines de la morale (deux)

La morale, définie en tant que fonction sociale, est donc inséparable de la société et de la place qu’y occupe l’homme. Mais cette définition de la morale ne permet pratiquement plus de séparer les règles morales des règles de vivre ensemble, voire des règles cosmogoniques ou encore religieuses. Ainsi, dans les sociétés humaines dites archaïques, on peut estimer qu’il y a pratiquement corrélation entre les règles morales, les règles religieuses et les règles sociales de vivre ensemble. Un acte prescrit (un mariage préférentiel, un rite initiatique, un aliment, un travail) ressort-il des habitudes (sociales) du groupe humain, de dispositions religieuses ou de règles morales. D’une certaine manière, on peut dire que dans le cas de ces sociétés archaïques, la morale ne pose pas de problème d’interprétation, car elle a réponse à tout, dans toutes les situations. Pourtant, même dans une société archaïque, les règles morales ne sont les mêmes pour tous. Elles ne s’appliqueront pas de la même manière à tous les membres du groupe ; certains actes étant ainsi tabous/interdits pour le plus grand nombre mais autorisés à un petit nombre de membres du groupe.
Ce problème d’interpération de la morale s’accroît avec la complexification de la société humaine, notamment avec la mise en concurrence, la mise en présence, de plusieurs formes d’organisations sociales et morales. Les rapports de production complexes des sociétés plus développés impliquent également une évolution des règles sociales et morales, pour autoriser ces nouveaux rapports d’échange, de travail ou de domination. En effet, les règles morales, tout comme les règles sociales et religieuses, ont toujours intégré cette part des relations humaines, quelque soit le type de sociétés considérées. L’esclavage antique tout comme l’esclavage des africains étaient reconnus dans la réflexion morale de cette époque ainsi que dans les religions. Le servage féodal à l’époque de l’Europe chrétienne, le système de don des sociétés mélanésiennes ou inuits ou le système de castes propre à l’Inde appartenaient aussi à un système social, moral et religieux équilibré et accepté par tous. Le système de rapport salarial et d’exploitation capitaliste propre à nos sociétés modernes, occidentales ou tiers-mondistes, s’insert également dans des règles sociales et un système moral qui lui confère une validité et une cohérence.
Evidemment, par rapport aux systèmes sociaux et moraux précédents, certains peuvent estimer que la contestation vis-à-vis de notre système social et moral actuel est plus importante. Mais c’est oublier que tous les systèmes sociaux et moraux de l’époque humaine historique ont été contestés par certains de leurs membres. L’esclavage antique a été constesté ; l’épopée de Spartacus a traversé les âges pour nous le rappeller. Le servage féodal a également été contesté ; certains serfs rejetant leurs conditions pour défier leur suzerain. Le système des castes indiennes l’a également été, même si ce système social subsiste encore aujourd’hui. L’esclavage des noirs a aussi été contesté, et des noms d’esclaves révoltés/marrons sonnent encore à nos oreilles, dans les anciennes régions esclavagistes.
Il est cependant très rare qu’un nouveau système totalement différent puisse être instauré par ceux qui réussissent à l’abattre. Même si Spartacus l’avait emporté sur Rome, l’esclavage antique n’en aurait pas pour autant été supprimé. Simplement, les esclaves n’eussent pas été les mêmes. De même, lorsque l’empire romain d’Occident fût abattu par les peuples barbares, l’esclavage antique ne disparut pas, et le servage féodal fit bientôt son apparition dans l’Europe chrétienne du premier millénaire. Enfin, lorsque le communisme s’implanta en Russie puis dans les pays avoisinant, il ne révolutionna pas vraiment les rapports salariaux, malgré la disparition du capitalisme et de la propriété privée. Quelle différence y a-t-il entre le stakhanovisme et le fordisme, le taylorisme ou le toyotisme?
N’en déplaisent aux révolutionnaires et aux rêveurs !
Réflexion onze (18 août 2006)
Retour aux origines de la morale

Revenons aux sources de notre réflexion sur la morale. Il existe de nombreuses notions fondamentales en philosophie. Ainsi le concept du réel, sur lequel je conseille de se rapporter au blog de ’Quemajoiedemeure’. Pourquoi s’intéresser tout particulièrement à ce concept de morale ? Plus que toutes les autres notions de philosophie, la morale est inséparable de la vie en société et de la place dévolue à l’homme. Sans morale, il ne pourrait y avoir de sociétés humaines, alors que l’on pourrait très bien l’imaginer par exemple sans le bonheur.
Pour quelle raison ne pourrait-il y avoir de sociétés humaines sans morale ? Toute société humaine implique nécessairement l’existence de ’règles sociales’, que j’appellerais encore indifféremment ’règles de vivre ensemble’. Nul ne m’a contesté lorsque j’ai fait remonté l’existence de telles règles sociales aux premières sociétés d’hominidés. En effet, on retrouve également des organisations sociales complexes chez les primates qui nous sont les plus proches, reposant non pas sur un mécanisme phéromonal inné comme chez certains insectes sociaux voires grégaires, mais sur des comportements acquis. Les premiers hominidés apparus il y a quelques millions d’années devaient donc vivre en groupes sociaux, dans lesquels devaient exister certaines règles de vivre ensemble, tournant notamment par exemple autour de l’évitement de l’inceste (évitement qui existe aussi chez certains primates).
Qu’est-ce qui a pu permettre le passage de règles sociales vers des règles morales ? Ces dernières existent-elles également chez les primates ? Question athée. Cette question est en effet inséparable de celle de la conscience individuelle. L’existence d’une morale implique la possibilité d’un questionnement sur soi-même, sur ces actes et leurs conséquences, d’une conscience de l’existence d’actes bons et d’actes mauvais. Est-il possible de faire remonter l’apparition de la morale à l’apparition de la conscience (mais on reconnaît l’existence d’une conscience de soi aux chimpanzés et aux bonobos) ?
La conscience est-elle une cause nécessaire et suffisante à l’apparition de la morale ? La transformation de règles sociales immémoriables en règles morales est-elle tellement ancienne ? Je ne le pense pas. L’existence d’une réflexion morale ne nécessite pas simplement de s’interroger sur ses propres actions, le plus souvent imposées par les usages de la société dans laquelle on vit et on agit, mais implique en plus de s’interroger sur la validité de ces usages et règles sociales en vigueur dans cette société. Il est donc nécessaire que la société considérée tolère cette remise en question, de cette réflexion sur ses propres règles de fonctionnement, voire tolère la critique et accepte l’enseignement de cette réflexion critique et de ces conclusions. A-t-il existé beaucoup de sociétés humaines avant la société grecque antique qui ait accepté et valorisé une telle réflexion ? Certainement quelques unes. Mais les premières traces d’écriture, qu’elles soient cunéiformes ou hiéroglifiques, traite plutôt de problèmes comptables que de réflexions philosophiques ou morales. Même le code d’Hammurabi (-1730 avant notre ère) ne correspond qu’à un recueil de décisions royales, sur l’organisation de la société sumérienne et les peines pouvant être appliquées. Une réflexion morale pourrait impliquer une remise en cause de l’ordre social de la société, et notamment du statut du souverain législateur.
L’un des problèmes qui doit nous occuper est donc de différencier la morale des règles sociales ou des règles de vivre ensemble. Il y a eu réflexion morale lorsqu’il y a eu interrogation sur les valeurs des règles sociales de la société, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a plus eu application aveugle des règles du groupe. De la sorte, on peut donc s’interroger sur l’existence d’une morale chez certaines tribus amérindiennes récentes, tels les guayakis étudiés par Pierre Clastres. Dans ce petit groupe humain, les règles de survie du groupe ne semblaient pas remises en cause, même quand elles induisaient l’infanticide féminin ou l’anthropophagie. Ces groupes humains par ailleurs réservaient l’appellation d’hommes aux membres du seul groupe, renvoyant tous les étrangers au statut de non humains. Mais ceci implique justement l’existence d’une réflexion sur l’organisation du monde, et donc peut-être d’une réflexion morale, même si elle n’accorde pas la même valeur morale aux mêmes actes (là se situe aussi une autre partie du problème qui nous préoccupe. Comment différencier les règles morales des règles sociales de vivre ensemble si les deux types de règles sont différentes selon les sociétés humaines considérées, et si même les règles morales accordent des valeurs différentes à des actes comparables selon les cultures ou les sociétés ?). La morale nécessite donc non seulement une interrogation sur les règles sociales et le fonctionnement du groupe, mais aussi une réflexion sur l’organisation du monde, au delà du groupe humain. La philosophie serait ainsi l’art du questionnement, et la morale le résultat de cet art appliqué à la société humaine et aux rapports entre ses membres. Chaque communauté humaine, aussi primitive soit-elle, disposerait ainsi d’un système moral, permettant ainsi de distinguer le bien du mal, les actes moraux (prescrits) des actes mauvais (interdits).
Il serait ainsi possible d’apporter une réponse à ma question initiale : pourquoi ne pourrait-il y avoir de sociétés humaines sans morale ?
De même, notre difficulté à distinguer dans un premier temps les règles morales des règles sociales de vivre ensemble pourrait s’expliquer par la nature même de la morale. La morale et la société sont indissociables ; la morale remplissant au sein de la société une fonction sociale. Il est donc pratiquement impossible de distinguer la morale de la société et des règles sociales qui la régissent.
Réflexion dix (16 août 2006)
De la morale et de ses rapports à la conscience

La morale n’est rien de tout ce qui précède. Elle n’est ni politesse, ni civilité, ni civisme, ni règles de vivre ensemble, quelque soit la valeur que chacun d’entre nous attribue à ces attributs. La morale est autre.
Mais quel est son rapport avec la conscience, philosophiquement parlant. Parle-t-on d’une seule et unique chose ? Individuellement, notre conscience comme la morale, conditionne nos actes, nos actions, vis-à-vis des êtres qui nous entourent. Ce sont nos seuls filtres, nos seuls liens, nos seules limites pour appréhender et canaliser nos possibles actions dans la réalité qui nous entoure. Pour ceux qui n’ont ni morale ni conscience, il n’y a pas de limite à leur bon vouloir, à leurs plaisirs, à leurs envies.
Notre morale et notre conscience évoluent avec l’âge, avec les expériences vécues, avec les arrangements que nous passons avec elles. Elles ne sont pas immuables, elles sont en devenir. Et elles ont tristement tendance à s’accommoder de plus en plus de nos turpitudes. Il paraît toutefois extraordinaire que des gens puissent trouver normal de tuer, de voler leurs prochains, ou bien de spolier ou de jeter dans la misère des milliers d’autres personnes pour s’enrichir un peu plus. Il y a dans ces différentes actions pour un oeil extérieur la même amoralité, sauf que les unes sont illégales et que les autres paraissent normales. On n’y trouve la même perversion de la morale, à savoir une vision du monde où l’on trouve les forts d’un côté et les faibles de l’autre. Dans cette vision de la morale, il n’y a pas de pitié pour les faibles, ceux qui ne tuent pas ou ne volent pas, ou bien ceux qui n’ont pas réussi financièrement, ceux qui ne sont pas aptes à se commercialiser facilement.
Ce sont deux visions travesties (à mon avis) de la réalité. Un retour à l’état de nature, hors de la société, où les plus forts dominent. Mais c’est malheureusement peut-être à cela que notre planète ressemble.
L’être humain naît-il moral, ou bien, au contraire, comme le disait ’Hubert41’, la morale "procède-t-elle de la Conscience humaine et exige l’effort de chacun pour ne pas se complaire dans l’homme sauvage". L’enjeu est d’importance ; les pires assassins ont-ils été moraux à un moment de leur vie ? Adolphe Hitler a-t-il été moral enfant ? Si on suit ’Hubert41’ mais aussi d’autres philosophe, l’enfant, à sa naissance ne connaitrait ni bien ni mal, ni morale, ni amoralité ?
Ou bien alors, la morale préexiste-t-elle à l’homme, en l’homme ?
Réflexion neuf (14 août 2006)
Etat des lieux sur la morale et de ses rapport au civisme

Je commencerais par exposer un récapitulatif des principales hypothèses sur lesquelles j’assieds ma réflexion.
Hypothèse une : la morale n’est plus reconnue en tant qu’élément déterminant dans nos sociétés occidentales modernes. Elle est ignorée, mais en constitue malgré tout un élément fondateur. Elle demeure essentiellement appliquée individuellement par une grande majorité des gens dans leur vie de tous les jours, pour leurs relations au sein de leur sphère familiale et de leur sphère privée.
Hypothèse deux : une règle morale n’a pas besoin d’être appliquée pour exister et être reconnue.
Hypothèse trois : nos sociétés humaines sont constituées d’une multitude d’ensemble de règles de vivre-ensemble et de règles morales, fonction des appartenances religieuses, des tranches d’âge, des groupes sociaux et des origines ethniques des citoyens.
Chaque groupe constituant notre société aimerait que le reste de la société respecte les règles de vivre-ensemble et les règles morales que ses membres considèrent comme la norme. Pratiquement nul groupe n’y échappe, même si on peut considérer que les groupes les moins intégrés et les plus secrets se considèrent en marge de la société et reconnaissent que leurs règles et leurs morales sont opposées à celles des autres groupes.
Dans le cas des groupes de personnes détenant le pouvoir politique, économique, financier ou social, ceux-ci estiment être capables (et en droit) d’imposer le respect de leurs normes au reste de la société. Les normes minimales que ces groupes (détenant le pouvoir) estiment indispensables concernent d’abord le respect de la propriété privée, le respect des autres (de leur richesse et de leur pouvoir), l’obéissance aveugle aux lois, le respect de la hiérarchie. Ces règles minimales ont un nom dans leurs bouches : le civisme. Le civisme est fait pour la foule de ceux qui ne détiennent pas le pouvoir, pour que ceux qui le détiennent dorment tranquillement. Ils rajoutent également au civisme le fait de remplir son devoir électoral, c’est-à-dire de voter pour un certain nombre ceux d’entre-eux, sans se permettre de réfléchir à l’absence de sens de ce vote, dont nul n’a rien à attendre. En effet, ce vote leur donne un parfum, un vernis de démocratie ; l’absence d’un tel vote, même s’il ne changeait rien, pourrait ouvrir la porte à une révolution.
Le civisme est en même temps ce qui sert de liant à notre société. De nombreuses personnes (dont moi) ne sauraient vivre dans un monde où des règles opposées au civisme s’appliqueraient. Mais le civisme est bien aussi le meilleur rempart des intérêts financiers et sociaux de nos classes sociales dirigeantes.
En face, la foule de ceux qui n’ont pas grand chose, de ceux qui respectent cette norme civique, aimerait aussi que les puissants respectent un certain nombre de règles morales. Mais ils ne disposent pour cela que du pouvoir de l’opinion publique, relayée par les journaux, et de l’existence de la justice et de son bras armé : le juge d’instruction, lorsque celui-ci n’appartient pas aux réseaux de connaissance des puissants (ce qui arrive parfois). Mais ces règles morales ne se limitent pas uniquement aux lois ; elles touchent au respect du bien public, à la non-confusion entre le bien public et l’intérêt personnel, au respect des engagements pris et donnés.
Il y a aussi la foule des pauvres, de ceux qui n’ont rien, et parfois même pas de papiers. Il peut aussi s’agir des jeunes, non encore intégrés dans le marché du travail, encore plein de rêves d’une société meilleure. La société occidentale doit leur apparaître injuste avec le train de vie de tous ceux qui s’étalent dans les magazines people. Elle doit également leur apparaître absurde avec ce culte de la consommation et de la possession qui occupent tous leurs contemporains. Nous aimerions peut-être tous une société où le respect de l’autre ne serait pas fonction de sa richesse et de son pouvoir (même est-ce vraiment si sûr ?).
Le civisme n’a pas de rapport à la morale. Le civisme n’est rien d’autre que la forme culturelle que la société française nous demande d’appliquer dans nos relations avec les personnes qui nous sont étrangères, même s’il s’agit peut-être de la meilleure forme relationnelle que nous pouvons imaginer vis-à-vis de personnes non proches.
Saucratès

Mes écrits précédents sur la morale ...
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/12/01/sur-la-morale-un.html