Que faire avec l’Euro, alors qu’il semble impossible de mettre en place une gestion optimale de cet instrument monétaire?
Par Vincent Benard
Hier, je vous entretenais de l’impossibilité, pour la BCE, de s’engager dans la voie de la monétisation des dettes souveraines, parce que personne n’aura confiance dans l’aptitude de chaque pays qui compose l’UE de ne pas se comporter en passager clandestin de l’Euro, alors qu’un instrument de « Aléa Moral » (en anglais, Moral hazard) leur sera fourni sur un plateau, et que par conséquent, toute monétisation directe de dettes souveraines provoquera rapidement une très forte poussée inflationniste.La zone euro : dans une impasse ?
J’ai donc successivement tordu le cou au FESF (et au MES, qui en est une déclinaison), et à la monétisation. Maintenant que l’on sait ce qui ne peut pas être fait, la question qui se pose est : « que faire » ?
Non, je ne vais pas vous ressortir pour la cinquantième fois mon obsession de la faillite bancaire ordonnée. Quoique je persiste à penser que ce soit une étape indispensable au retour de nos économies dans le vert, vous devez en avoir marre de me voir radoter à ce sujet. Ceux qui me lisent pour la première fois se reporteront aux liens en bas de cette page.
La question du jour, plus précisément, est « que faire avec l’Euro ? », puisqu’il semble impossible de mettre en place une gestion optimale de cet instrument monétaire.
Le scénario que je vais esquisser ci-dessous n’est pas le plus probable, mais je le trouve de moins en moins farfelu. Il ne se matérialisera que si Mme Merkel et M. Sarkozy ont pris conscience qu’ils ne trouveront jamais un accord politique stable pour gérer une monnaie commune sans engendrer les comportements de flibustiers décrits précédemment. Et dans ce cas, la seule conclusion qui s’impose est qu’il faut en finir de façon ordonnée avec l’Euro, sans attendre qu’un pays (l’Allemagne) fasse cavalier seul et sorte par surprise, plongeant les autres dans le désarroi.
Voyons tout d’abord quelles options s’offrent à nous.
La sortie « par le bas » d’un pays comme la Grèce provoquerait une fuite de capitaux de ce pays vers des monnaies fortes dans les heures qui précéderaient un tel mouvement : pas forcément mauvais à longue échéance, mais ingérable à court terme pour le pays en question. Si c’est la Grèce, cela reste peut-être gérable. Par contre, si l’Italie est dans la même situation, les remous européens seront dantesques.
A contrario, la sortie par le haut de l’Allemagne sans préparation provoquerait une chute de la monnaie « unique » qui serait difficilement contrôlable. En effet, la perte de confiance dans « l’euro sans Allemagne » forcerait une hausse stratosphérique de tous les taux d’intérêts des dettes des pays hors Allemagne, et avec plus de 500 milliards de Roll-Over* à venir dans les mois qui suivent, ce serait, pour tous les passagers encore dans l’Euro-titanic, le naufrage assuré.
* Roll Over : renouvellement des tranches obligataires arrivées à échéance.
Mais d’un autre côté, conserver l’Euro est devenu intenable pour les pays les plus faibles, car leur dette étant objectivement irremboursable, ou du moins très difficile à rembourser, leurs taux d’intérêts atteindront tout de même des sommets les forçant au défaut de paiement, et les abandons de souveraineté nécessaires pour faire fonctionner les mécanismes de partage des risques imaginés récemment au niveau européen sont tout simplement intenables politiquement dans le temps.
Vous avez dit : impasse ?
Et si tout le monde sortait de l’Euro en même temps ?
Une sortie simultanée de TOUS les pays de la zone euro vers de nouvelles monnaies nationales pourrait résoudre en partie le casse tête actuel. Elle serait le moyen de rendre chaque monnaie à l’échelon politique qui a la maîtrise de son budget, à charge pour chaque pays de gérer sérieusement l’après Euro, ou au contraire, de plonger.
Comment faire ? La période comprise entre Noël et le jour de l’an paraîtrait propice à décréter un « bank holiday » de quelques jours visant à remplacer les billets « Euro » en billets « nationaux ». Les comptes en banques seraient simplement convertis électroniquement. Les opérations électroniques seraient toujours possibles, par contre, les retraits seraient bloqués pendant quelques jours. L’annonce serait faite un vendredi après midi pour entrer en vigueur le Lundi matin suivant, pour éviter les transferts massifs de dernière minute des comptes en banques de pays à « Euro faible » vers un pays à « Euro fort ».
Pour faire simple, les nouvelles monnaies pourraient avoir, par décret, au premier jour, une parité de 1 Nouveau Franc/lire/drachme/mark pour un ancien euro, lequel serait très vite (quelques jours tout au plus) démonétisé. Les dettes de chaque État, et de chaque collectivité, seraient arbitrairement libellées dans chaque nouvelle monnaie nationale à ce même taux nominal de 1 pour 1. Et au bout de trois jours, le temps d’avoir converti tous les avoirs, chaque monnaie serait échangeable sur un marché de changes flottants, comme l’ex euro ou la livre, ou le dollar. L’avantage d’avoir une monnaie égale à 1 pour 1 le premier jour permettrait d’évaluer assez facilement les fluctuations futures, mais cela n’a rien d’indispensable. On pourrait aussi imaginer de revenir aux parités antérieures à l’Euro à J+0 au début du millénaire, et laisser fluctuer librement les monnaies au bout de quelques jours, le cours de départ n’a pas d’importance économique, seule la méthode compte.
Les États à monnaie faible (Grèce…), verraient leur nouvelle monnaie se dévaluer rapidement. Le DM se réévaluerait, ainsi que quelques monnaies du nord.
Seul point de blocage, à nouveau… Les banques des pays riches !
Le mouvement serait salutaire pour les banques des pays à monnaie faible mais problématique pour celles des pays à monnaie forte. Dans un pays comme la Grèce, les comptes des déposants (au passif) verraient leur valeur fondre, et les actifs détenus en euros « non grecs » (obligations allemandes, par exemple), se réévalueraient considérablement, améliorant leur bilan, sous réserve qu’elles n’aient pas trop emprunté hors de Grèce (dans ce cas, la baisse de valeur des comptes risquerait d’être contrebalancée par la hausse de la dette… Chaque cas serait particulier). Chaque pays retrouverait une pleine et entière souveraineté économique, et à chacun d’en faire bon usage sans compter sur la productivité des autres pour se sauver des situations ingérables dans lesquelles ils se seraient mis.
Par contre, les banques allemandes, à l’autre extrémité du spectre, subiraient un coup de ciseau inverse et problématique : les comptes de leurs déposants se réévalueraient par rapport à la valeur moyenne de leurs actifs, comportant nécessairement une part certaine libellée en monnaie plus faible. L’Allemagne serait donc obligée de restructurer son secteur bancaire, et sans aucun doute également les Pays Bas, l’Autriche, et la France. Comment ? et bien… non, je l’ai promis au début de ce texte, je ne déroulerais pas in extenso pour la dixième fois mes propositions en ce sens.
Toutefois, l’absence de mécanisme de résolution ordonné des faillites bancaires (je vous dis : c’est une obsession chez moi) est un obstacle à beaucoup de choses, et notamment à la mise en œuvre du plan ci dessus, ce qui me fait dire que le scénario que je propose est sans doute encore improbable. Mais on en reparlera dans quelques mois. En tout cas, si l’euro devait exploser (et il me parait aujourd’hui souhaitable qu’il le fasse), alors cette sortie simultanée de tous les États concernés serait de loin la façon la moins nocive de procéder.
Certains affirment que la fin de l’Euro serait une catastrophe : mais l’Europe a fort bien géré sa croissance avant la création de la monnaie unique. On ne voit guère en quoi, hormis les blessures d’amour propre des promoteurs de cet échec, un retour à des monnaies nationales flottantes et au traité de 1986 (L’acte unique européen) serait un drame, à condition, bien sûr, que chaque banque centrale gère sa monnaie sérieusement**.
** Certains alter-comprenants affirment que l’État souverain sur sa monnaie devrait revenir sur les lois de 1973 pour pouvoir monétiser sa dette en continu. Je ne perdrai pas de temps à démonter une telle absurdité, malgré la popularité de l’idée sur Internet, mais pour ceux que ça intéresse, le blogueur Satirique H16 a écrit un excellent papier à ce sujet.
Quant à ceux qui vivent comme une calamité le fait que les États ne pourraient plus faire la fête avec de l’argent qui n’existe pas, à ce stade, aucune explication ne peut plus rien pour eux. Il n’y a aucun miracle, quelqu’un doit payer pour l’excès de dette, le peuple débiteur comme le créancier imprévoyant, point final. La correction arrivera tôt où tard, c’est sous un régime de monnaies nationales qu’elle sera
Conclusion : un blitzkrieg peu probable, mais sait-on jamais ?…
En tout état de cause, un tel plan « éclair » de sortie de l’Euro, s’il existait, ne pourrait en aucun cas être annoncé à l’avance et devrait prendre les agents économiques par surprise. C’est la deuxième très grande difficulté de cette idée, qui suppose qu’au moins quatre à cinq « grands » pays y travaillent de concert en très petit comité hors de toute consultation démocratique, les petits adhérents de la zone euro étant mis devant le fait accompli et priés de se taire le moment venu.
Mais cela pourrait expliquer la volonté de faire trainer la conclusion de pseudo-accords à l’issue de chaque désolant sommet européen, faux accords dont nos dirigeants auraient conscience qu’ils seraient impraticables dans la réalité, pour faire croire que l’on avance dans une direction opposée avant d’abattre le plan surprise au meilleur moment. La nullité des propositions issues des discussions européennes me laisse à penser qu’il existe une toute petite possibilité pour que cela cache effectivement un « Plan B », et à part une dissolution de la monnaie unique, je ne vois pas lequel.
Mais plus probablement, nos dirigeants sont dans un brouillard tel qu’ils naviguent à l’aveugle, et n’ont en fait AUCUN plan, à part bricoler au fil de l’eau et durer. Auquel cas, le jour où la réalité économique, telle la loi de la gravité, nous rattrapera, elle nous fera particulièrement mal.
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Sur le web
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