« La ville baigne dans le froid, aujourd'hui encore. La ville n'est que froid. La couche de frimas qui s'est formée sur les arbres nus il y a des semaines, au début de l'hiver, est toujours là. Des flocons amidonnés, compacts et glacés, se sont agglutinés aux branches, collant à elles comme une deuxième peau. » (p. 96)Et les relations y sont aussi parfois rudes, comme le montrent les nombreuses oppositions et incompréhensions entre les Southerners et les Northerners. Dans un environnement aussi brut, comment peut-il en être autrement ?
La saison froide se rapproche du livre d'Elizabeth Hay La nuit sur les ondes, dont j'ai parlé il y a quelques mois et qui se déroule également à Yellowknife. Ces deux romans apportent un brillant éclairage pour qui s'intéresse à la mythologie nordique et souhaite en savoir plus sur un territoire du Canada peu connu, y compris des autres Canadiens. Sur le plan de la structure, La saison froide se découpe un peu comme un scénario de cinéma. Quand on sait que Catherine Lafrance est également scénariste de séries télévisées, on comprend mieux son aisance dans ce domaine. La compréhension de certains éléments arrive progressivement, par de nombreux retours en arrière entrecoupés de courts passages dans le présent. Cette structure peut être un peu difficile à suivre par moments et il vaut quasiment mieux lire le livre d'un seul coup pour ne pas se perdre.Mais à la manière d'une série que l'on suivrait chaque semaine, on est tenu en haleine par un suspense très bien mené. La première (trop?) longue scène – qui se déroule dans un bar – permet de situer tous les lieux et les personnages, notamment la meilleure amie de l’héroïne, Jill, libraire joyeuse.Puis, le récit nous permet également de découvrir l'environnement de travail de notre protagoniste, qui est journaliste à Radio-Canada. Elle doit couvrir pour son travail une Commission de vérité et de réconciliation sur les pensionnats indiens. Ces passages ouvrent le roman sur un aspect politique qui aurait pu d'ailleurs être davantage élaboré pour nous éclairer sur certaines particularités du Grand Nord.
D'autant plus que l'auteure Catherine Lafrance connaît bien son sujet puisqu'elle anime une émission de radio sur la CBC sur les enjeux nordiques.
Les histoires d'amour de Jill et de notre héroïne ont été secondaires pour moi, même si la fréquentation de ces hommes "de la place" apporte une autre perspective sur les relations humaines dans ces contrées difficiles.
D'un point de vue stylistique, l'auteure a une belle plume et elle la déploie souvent efficacement, même si l'on sent parfois le travail appliqué de la bonne élève. Par exemple, les fréquentes oppositions, surtout à la fin du roman, lors de la rencontre avec les deux hommes mennonites dans le bar, entre l'état présent de l’héroïne (« Pourquoi suis-je fatiguée tout à coup ? ») et le passé avec Sean (« Pourquoi Sean ne pouvait-il dormir cette nuit-là ?» p. 240) sont quelque peu redondantes et prévisibles. Mais ces oppositions continuelles entre le passé et le présent répondent à la structure souhaitée du récit. Celui-ci devient donc très vivant, on ne s'y ennuie pas, même si certains passages auraient pu à mon avis être raccourcis (le voyage en motoneige pour aller au chalet par exemple). L'auteure s'efforce également de mettre beaucoup de couleurs à son récit, au sens propre comme au figuré : « Elle avait des cheveux bruns qui effleuraient ses épaules, une frange impeccablement droite sur le front, juste au-dessus de ses lunettes à monture rouge, une longue jupe noire et une blouse blanche immaculée.» (p. 25)
On se laisse facilement entraîner dans cet épisode de la vie de cette femme qui laisse tout derrière elle et part sans préjugés vers une contrée inconnue. C'est l’œil neuf, parfois naïf, qui est le plus intéressant et nous permet de vivre avec elle cette grande aventure humaine.
[Lætitia Le Clech]
Humeur musicale : Trentemøller, Shades of Marble (Into the Great Wide Yonder, 2011). Après avoir vu La piel que habito, d'Almodóvar, je me suis jetée sur cette musique envoûtante à écouter à fond les ballons. Ah, ça fait du bien...