René Char
Tu es pressé d'écrire,Comme si tu étais en retard sur la vie.S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.Hâte-toi.Hâte-toi de transmettreTa part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. Effectivement tu es en retard sur la vie,La vie inexprimable,La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnésAu bout de combats sans merci. Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.Si tu rencontres la mort durant ton labeur,Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,En t'inclinant.Si tu veux rire,Offre ta soumission,Jamais tes armes. Tu as été créé pour des moments peu communs.Modifie-toi, disparais sans regretAu gré de la rigueur suave.Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuitSans interruption,Sans égarement. Essaime la poussièreNul ne décèlera votre union. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle