La salle est pleine à craquer. Voilà un quart d’heure que nous attendons tous, le cœur battant, l’excitation montant, dans quelques minutes, il sera là, il franchira ces portes, descendra l’escalier acclamé par la foule et aura droit à une standing ovation. Ca y est, il y a de l’agitation à l’entrée de la salle, de nombreux costards entrent et se postent dans l’ombre, staff, sécurité… C’est bon, le voilà qui accourt, un micro à la main, et dévale l’escalier pour se poster devant nous… il s’excuse du retard en alignant les marches… et s’arrête devant l’immense écran blanc, devant un parterre de 500 spectateurs pendus à ses lèvres. Vincent Perrot !! Hein, quoi ? L’animateur télé un brin ring’ ? Mais, que fait-il ici ? Je rêve, me suis-je trompé de salles ? Mais que se passe-t-il ?
La soirée ne devait pas se passer ainsi. Vincent Perrot n’était pas dans mes plans ce lundi soir. En sortant de chez moi, j’étais tombé par hasard sur le tournage de De l’autre côté du périph’, un buddy movie à la française prévu pour 2012 avec dans les rôles principaux Omar Sy et Laurent Lafitte. Les deux gaillards attendaient devant la statue de Molière que la prise commence, mais pas le temps pour moi de regarder à quoi ressemblerait cette séquence en devenir, car une avant-première de A dangerous method m’attendait aux Halles. Ce film que David Cronenberg a consacré à Jung et Freud, les deux grands psychanalystes du début du 20ème siècle. C’était ce film que j’étais venu voir lundi soir, dix jours avant sa sortie française, ce film accompagné de son réalisateur canadien et de son acteur américain Viggo Mortensen, idolâtré de par le monde depuis qu’il incarne aux yeux de beaucoup Aragorn, héros Tolkienien du Seigneur des Anneaux.
C’étaient eux que je voulais voir lundi soir, d’où mon choc lorsque j’ai vu Vincent Perrot se présenter à nous, apparition surréaliste teintée d’une excitation apparemment sincère de la part du MC d’un soir. Après avoir fait son petit numéro de fanboy tenant un micro (« Combien ont vu le premier film de Cronenberg d’abord ? Levez la main ? Cinq ? Les cinq meilleurs dans le public ! »), l’animateur a finalement appelé à la barre l’équipe du film, non seulement composée des attendus David Cronenberg et Viggo Mortensen, mais également de Vincent Cassel et des producteurs Jeremy Thomas et Martin Katz. Si Vincent Perrot n’avait pas l’anglais très à l’aise, Cronenberg et Mortensen (chevelure de Dieu, rasé de près, carrure impressionnante, l’homme en impose même s’il faisait l’aller-retour depuis Madrid où il joue au théâtre) ont fait l’effort de parler en français, parfois devant un Vincent Cassel tout sourire, un peu moqueur.
Oubliée l’ambiance interloquée par l’arrivée de Vincent Perrot. Tout était désormais électrique et enthousiaste, bien loin de l’avant-première timide vécue une semaine plus tôt au MK2 Bibliothèque avec The Descendants. En revanche, le film d’Alexander Payne était autrement plus mémorable que A dangerous method qui a tourné à la déception flagrante. Il faut dire que Cronenberg s’est tiré une balle dans le pied en mettant au premier plan Keira Knightley et son rôle de patiente déséquilibrée attirant toute l’attention de Jung. L’actrice anglaise se roule avec emphase dans l’outrance la plus totale dans son jeu, et ce dès les premiers instants du film. Dès lors, Cronenberg part avec un handicap.
Malheureusement, ce n’est pas là la seule tare du film. Le second défaut, qui découle du premier, est que Cronenberg se trompe de sujet. Au lieu d’axer son scénario sur la relation potentiellement passionnante liant Jung à Freud, le disciple et le maître, le cinéaste se focalise plus volontiers sur celle unissant Jung et sa patiente devenue collègue incarnée donc par Knightley la criarde. Les meilleurs moments du film sont ceux qui associent Michael Fassbender dans la peau de Jung à Viggo Mortensen dans la peau Freud, l’amitié, le respect, le doute, la désillusion, la méfiance. Il y a là tout le potentiel d’une histoire d’hommes autant que de psychanalyse, une histoire s’étalant sur plus d’une décennie. Mais le scénario de s’égare, fait des pauses inutiles et surtout des sauts mal gérés. Les ellipses s’enchaînent, sans trop de sens, donnant l’impression de trous narratifs diluant tout sens de temporalité qui aurait donné au film un souffle espéré qui ne vient finalement jamais. Les années défilent à l’écran, mais cela se ressent à peine tant le récit manque de densité.
On pourra se consoler en admirant le joli sens du cadre de Cronenberg et en s’amusant des interprétations cocasses et délicieuses de Viggo Mortensen et Vincent Cassel, mais lorsque l’on en est ainsi à gratter pour chercher quelques points de satisfaction dans un film, c’est que la déception domine. Un film si tiède de la part de David Cronenberg, c’est à n’y rien comprendre. C’était donc bel et bien Vincent Perrot qui était venu nous présenter le film deux heures plus tôt, pas de doute. Car si Cronenberg se plante ainsi avec un sujet si porteur, c’est vraiment que tout peut arriver en ce bas monde, même voir Vincent Perrot débouler dans votre salle de cinéma pour faire son animateur.