Un monstre sacré de la littérature russe.
Je rêvais de (re)lire mes classiques, à commencer par la littérature russe dont j’avais oublié jusqu’à la mélodie et l’univers angoissant. Lire Soljenistyne, c’est s’assurer un délicieux moment de lecture, une plongée inquiétante dans le communisme des années 1950 et surtout, une fascinante exploration de l’âme humaine.
RÉSUMÉ :
Quel est le point commun entre un apparatchik du régime communiste, un médecin, un ancien soldat, un étudiant? Ils partagent les mêmes souffrances physiques et psychiques causées par un mal pernicieux : le cancer. Le pavillon numéro 13 abrite les malades au stade ultime, dont les journées sont rythmées par les soins et les échanges avec le personnel soignant.
MON AVIS : un auteur incontournable, un fin analyste des âmes humaines, mais un roman un peu long.
Le style de Soljenitsyne est une merveille pour les puristes : dénué de fioritures, habillé de phrases courtes, illustré de mots choisis avec soin, le tout enrobé dans une ponctuation qui rythme parfaitement la lecture… Derrière une écriture au paroxysme d’une apparente simplicité se cache une maîtrise sans faille des codes littéraires classiques qui font la grande littérature. Vous l’aurez compris : dans mon panthéon des écrivains, Alexandre Soljenitsyne trône à la droite de Simone de Beauvoir.
Quant à l’histoire, c’est un régal : on erre, effaré, dans les méandres du communisme d’après-guerre. Dans ce pavillon des cancéreux, on cherche l’étincelle d’humanité qui égayera les journées des patients; est-ce la peur engendrée par le régime? Les Russes sont-ils moins enclins à laisser parler leurs sentiments? Toujours est-il que les rapports humains, chez Soljenitsyne, ont cette particularité d’osciller entre dureté, froideur et indifférence. A quelques exceptions près cependant : des personnages attachants qui semblent posséder ce petit supplément d’âme, ou qui savent auprès de qui aller le chercher, entraînent le lecteur dans des échanges d’une grande humanité.
Soljenitsyne n’en finit pas de sonder les méandres de la nature humaine, de traquer la force vitale chez ces hommes qui se meurent, terrorisés, agrippés à l’espoir que les rayons, les piqûres ou l’amputation les sauveront du mal terrifiant qui les ronge. Dans le dortoir du pavillon 13, il n’existe plus ni soldat, ni cadre du parti, ni étudiant : il n’y a que des hommes réduits à leur plus simple expression, dénués des artifices que confèrent la richesse et le pouvoir, contraints d’admettre que face à une issue fatale, la mort réussit où le communisme échoue : les inégalités s’effacent.
JE VOUS LE CONSEILLE SI…
… vous êtes fasciné par le régime communiste ; je suis toujours effarée des instincts primaires qu’il a suscités en dépit de son idéologie humaniste, intellectuelle et égalitariste.
… vous êtes curieux de savoir à quoi ressemblaient les traitements contre le cancer dans les années 1950. Vous allez être surpris de constater que les médecins étaient déjà bien armés (mais ne gagnaient pas la guerre pour autant).
EXTRAITS :
Bien sûr que les apparatchiks étaient des idéalistes…
Les Roussanov aimaient le peuple, leur grand peuple. Et ils servaient ce peuple, et ils étaient prêts à donner leur vie pour le peuple.
Mais, d’année en année, ils devenaient de moins en moins capables de supporter… la population. Cette population rétive, constamment prête à s’esquiver ou à se buter, et qui exigeait toujours quelque chose.
Vous vous demandiez peut-être ce qui distingue un homme politique d’un banquier?
C’était vraiment une question de principe. Avec les années, Roussanov s’était persuadé de plus en plus que toutes nos insuffisances, imperfections et lacunes, que tous nos déficits provenaient de la spéculation.[...] Il n’y avait rien de mal à ce qu’un homme arrondît sa situation matérielle par le moyen d’un salaire ou d’une pension d’Etat élevés [...]. Dans ce cas, automobile et résidence secondaire n’avaient rien que de très prolétaire. Mais que la même automobile, de même marque, et que la même datcha, construite sur le même plan standard, fussent achetés avec les bénéfices de la spéculation, elles acquéraient une toute autre signification, une signification criminelle. Et Paul Nikolaïevitch de rêver (c’étaient de vrais rêves) à l’introduction de supplices publics pour les spéculateurs…
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Le club des incorrigibles optimistes,
de Jean-Michel Guenassia
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de Nicolas Bourcier
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