Un nouvel acteur a émergé dans l’univers de la consommation : le conso’battant. Pratiquant une consommation active, il recherche les informations qui lui permettront de prendre des décisions d’achat éclairées. Par son comportement, il est à l’origine de bien des changements récents dans le secteur de la distribution. Cette évolution place les équipes marketing face à de nouvelles équations. Elles doivent revoir leurs modèles autour de l’acte d’achat, des socio-styles, de la relation client, etc. Philippe Jourdan, l’un des auteurs du livre À nouveaux consommateurs, nouveau marketing (Dunod, 2011), nous livre son analyse sur le sujet.
Marketing Community : Comment est-on passé du consommateur au conso’battant ?
Philippe Jourdan : Cette transformation n’a pas été subite, elle découle de la conjonction de plusieurs phénomènes. D’une part le sentiment d’une baisse continue du pouvoir d’achat et d’autre part la volonté de consommer mieux liée à un souci de préserver sa santé et l’environnement. Le nouveau consommateur veut arrêter de subir sa consommation pour en devenir acteur. Il ne veut plus qu’on l’influence de quelque manière que ce soit, il veut façonner, selon ses critères, son propre univers de consommation et retrouver sa liberté de choisir. La crise a joué le rôle d’un accélérateur.
Concrètement, qu’est-ce qui change dans l’acte d’achat ?
Aujourd’hui le consommateur veut le prix ET la qualité et non plus l’un ou l’autre. Ce qui oblige à revoir nombre de segmentations opérées sur l’une ou l’autre de ces variables.
Le conso’battant veut aller au-delà du discours des marques et des produits pour questionner les fabricants, retrouver sa liberté de choisir, mettre en concurrence les réseaux de vente, privilégier l’essentiel et le revendiquer fortement. La renonciation au « superflu » est parfois vécue comme une nécessité par certains. Pour d’autres, aux revenus plus confortables, elle est un choix revendiqué, une sorte de posture idéologique et sociétale. Elle ne signifie pas nécessairement de renoncer à l’achat, mais de reprendre « la main » sur les marques, la distribution, la publicité pour assumer le choix des marques discount, des circuits courts, des marques « malines », des « bonnes affaires » échangées sur le Net.
Cela a-t-il un impact direct sur le produit ?
Irrémédiablement. Ce qui complexifie l’acte d’achat, c’est surtout que le produit acheté doit contribuer à l’environnement. L’achat n’est plus vu comme un acte égoïste qui n’engage que le consommateur mais un acte qui engage la société dans son ensemble. D’un certain point de vue, l’achat devient un acte civique qui doit contribuer au bien-être général de la société. Ce phénomène est toutefois plutôt réservé à ceux qui ont certains moyens.
Que doivent faire les marques pour répondre à ce nouveau phénomène ?
La 1ere chose à faire pour elles, est d’admettre que ces tendances sont des tendances de fond. Cela suppose de renoncer aux politiques opportunistes et notamment à la multiplication des promotions et des baisses de prix opérées massivement par certaines enseignes de grande distribution.
La démagogie n’est pas non plus de mise : la défense du pouvoir d’achat est un discours auquel les consommateurs ne croient plus, témoins quotidiens d’une hausse des prix.
Il ne s’agit pas non plus d’être pessimiste. Le conso’battant est porteur de nouvelles opportunités : la consommation citoyenne, l’achat de proximité, la consommation sur le Web, la fiabilité, etc.
Au final, les producteurs et les distributeurs doivent jouer à fond la carte de la transparence et suivre l’idée que les conso’battants souhaitent une consommation plus responsable et plus respectueuse.
Qu’en est-il de la distribution et des points de vente ?
Du côté de la distribution, il est clair qu’il va falloir mettre en place des stratégies visant à faire vivre aux consommateurs des expériences nouvelles. Le modèle classique de la grande distribution des « trente glorieuses » doit opérer sa mutation, ce que certaines enseignes ont commencé à faire. Fini l’hyperchoix et l’hypersegmentation dans un lieu unique jugé trop froid et impersonnel ! Pour aider à lutter contre la morosité ambiante, la grande surface doit proposer un environnement expérientiel (et plus ludique) dans lequel le consommateur pourra satisfaire des besoins de découverte, d’apprentissage, de plaisir et d’échange.
Enfin, les enseignes doivent répondre aux besoins des consommateurs d’être écoutés, entendus, compris et non plus seulement considérés comme des cibles marketing ! Il reste un long chemin à parcourir.
Conclusion : faut-il repenser la segmentation des consommateurs ?
Les techniques de segmentation marketing se sont sophistiquées années après années. Il s’agissait d’appréhender de manière de plus en plus fine des attentes, des besoins, des motivations d’achat spécifiques avec des outils qualitatifs et quantitatifs toujours plus pointus. Ces techniques ont-elles atteint leurs limites ? Oui si l’on considère l’hypersegmentation qui en résulte et ce dans un contexte où le consommateur brouille les cartes, jouant tous les rôles à la fois selon son humeur ou envie du moment. Il me semble qu’ il va falloir de plus en plus apprendre à appréhender le consommateur comme un individu changeant, versatile, aux contradictions assumées et aux motivations multiples.
En savoir (+)
Procurez-vous À nouveaux consommateurs, nouveau marketing. Zoom sur le conso’battant (Dunod, 2011), ouvrage collaborative coordonnée par Philippe Jourdan, François Laurent et Jean-Claude Pacitto.
Lire aussi :