La « démocratie dirigée », généralement associée au régime russe, n’est-elle pas en train de s’étendre à l’ensemble de l’UE?
Par Sophie Quintin-Adali
Il y a de la panique dans l’air, que ce soit au Kremlin ou dans la sphère nébuleuse de la gouvernance européenne. À Moscou, Mikhaïl Gorbatchev a ajouté sa voix au mécontentement grandissant en appelant à l’annulation « d’élections frauduleuses » [1]. À la périphérie sud de l’Union, les électorats sont rétifs, en colère contre les mesures d’austérité imposées par Bruxelles, dictées par le directoire franco-allemand. Le glas sonnerait-il pour la « démocratie dirigée » sous toutes ses formes européennes ?Force est de constater qu’il y a eu une convergence inquiétante entre la Russie et les pratiques démocratiques européennes depuis la crise financière de 2008 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En dépit de toutes les différences essentielles entre les deux systèmes politiques, le terme « démocratie dirigée », généralement associé au régime russe a été de plus en plus utilisé en référence à l’UE.
Un élément essentiel de la démocratie dirigée est le contrôle des élections. Le politologue Sheldon Wolin postule que de tels régimes, même s’ils suivent les principes démocratiques fondamentaux, ont tendance à dévier vers l’autoritarisme. Il en résulte des électorats qui sont empêchés d’avoir une influence significative sur les politiques adoptées par la structure du pouvoir. [2]
En d’autres termes, les élections sont simplement utilisées par les élites pour légitimer leurs décisions, comme l’analyste Nikolaï Petrov l’affirme en référence à la démocratie russe. [3]
Dans l’UE, l’intégration politique, sociale et économique pousse le politique vers son propre style de démocratie dirigée. Comme le commentateur politique Fraser Nelson l’a indiqué, sur le ton de l’ironie : pour qui pensait que le déficit démocratique ne pouvait pas s’agrandir, il faut voir le groupe de Francfort en action pour le croire (Spectator, 12 novembre 2011). [4] Opérant en dehors du cadre du Traité, le groupe de dirigeants et bureaucrates a orchestré le renversement des politiciens élus, en Grèce et en Italie. Les deux pays sont désormais gouvernés par des technocrates approuvés par Bruxelles.
La question qui devrait être au centre du débat est celle de savoir où les plans de sauvetage sont en train de mener le régime politique européen en termes de démocratie. Malheureusement, la question se perd dans la cacophonie des désaccords entre les puissants États membres et l’appel toujours plus fort pour une plus grande intégration de la part d’une élite allergique aux principes démocratiques comme Nigel Farage, le leader du groupe « Liberté et Démocratie » au Parlement européen, l’a justement, et sans relâche, répété [5].
L’envoyé turc à l’UE a récemment mis l’accent sur cette question cruciale. Selim Kuneralp soutient que la centralisation des contrôles budgétaires avec la proposition d’union budgétaire impliquerait « une telle perte de souveraineté qu’elle ferait perdre leur sens aux campagnes électorales ». [6] Un commentaire on ne peut plus pertinent !
En vérité les élections au niveau supranational du système de gouvernance multi-niveaux ont depuis longtemps perdu toute signification. Les citoyens comprennent que leurs votes ne comptent pas parce que le système produit toujours le même résultat en termes de politique publique : plus d’intégration. La participation aux élections européennes ne cesse de décliner. En outre, comme l’a révélé la crise de la dette, les politiques « communes » intégrationnistes ont affaibli la démocratie au niveau national en dé-responsabilisant graduellement les parlements nationaux et les politiciens.
Pourtant, il est devenu douloureusement évident pour ceux qui veulent bien le voir que davantage de « pouvoir vertical », qu’il soit appliqué par les expertocrates de l’Union ou les sécurocrates russes, a sans doute fait son temps.
Avec le coût de la dette française battant tout les records à la hausse, les sonnettes d’alarme retentissent dans le palais de l’Élysée. [7] Paris sera-t-il le théâtre du prochain putsch pour « protéger » l’Evropskii Soyouz en perdition ? Au Kremlin aussi la panique gagne. Les autorités vont-elles à utiliser la main (lourde) des services de police pour réprimer les protestations en prétextant « protéger le public »?
Dans cette confusion croissante, une chose est certaine. Il y a du changement dans l’air.
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Sur le web
Notes:
[2] Wolin, S. (2008). Democracy Incorporated: Managed Democracy and the Specter of Inverted democracy. p60.
[3] https://www.carnegieendowment.org/2005/10/18/essence-of-putin-s-managed-…
[4] http://www.spectator.co.uk/essays/all/7378428/europes-hit-squad.thtml
[5] http://www.ukip.org/content/video-zone/2513-eurocrats-in-contest-of-stup…
[6] http://euobserver.com/19/114546
[7] http://www.telegraph.co.uk/finance/financialcrisis/8939146/Bank-of-Franc…