Le pouvoir charnel de l’intéressée est tel qu’un journaliste perspicace l’appelle « la Mouche d’or » : cette image est cocasse et plaît particulièrement à l’auteur de « l’Organisme » ! D’autant qu’elle fonctionne à la fois comme « bon mot » de journaliste (attribué à un certain Fauchery) et comme mythe littéraire à l’œuvre dans l’ensemble du roman : Nana parvient en effet à s’immiscer jusque dans les tissus des hommes les plus dignes, les plus en vue, dont le comte Muffat dont elle fait craquer la carapace et les principes et dont elle perce tous les secrets. Zola la décrit animale, organique. Bestiole avide et perverse au charme épidermique, elle se glisse dans les fibres de ses amants pour les manipuler. « Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit... Une mouche couleur de soleil envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins et qui, bourdonnante et dansant jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres. »
De fait, elle les tient jusqu’à les humilier, expliquant par exemple au comte que sa femme (qu’il trouve froide et guindée) a des amants qui la dévergondent hors de chez elle, s’amusant de lui, le ruinant à belles dents comme elle en ruine d’autres. Le lit de Nana devient un brasier dans lequel se fond l’or des amants qu’elle conquiert. C’est un peu la Pandora courtisane. Toutes les énergies de ces aristocrates, de ces banquiers bien en vue, leurs terres, leurs demeures, leur argent, s’évanouit entre ses bras. Voilà le mythe de la mouche d’or qui s’achève en une horrible vision de la Vénus devenue « charogne » pour parler le langage de Baudelaire.