« Il est ancré dans le folklore canadien et américain ».
Qui ? BIG FOOT, alias le SASQUASH.
On peut bien sûr – et l’on ne se prive pas de le faire – ne voir en lui qu’un de ces mythes tenaces dont l’humanité (y compris moderne, contemporaine) se montre friande.
Reste que, d’après nombre de gens, « quelque chose laisse des empreintes, des poils et des excréments ; on l’a vu », même si, pourtant, « on n’a jamais trouvé d’os ». Est-ce une raison suffisante pour que de respectables experts s’emparent de la chose ?
Eh bien, oui, si l’on en croit le propos de ce documentaire.
L’affirmation – issue de la bouche même d’un expert – a de quoi nous surprendre ; mais elle tombe, nette : « les éléments dont on dispose justifient une analyse scientifique », qui plus est au moyen des « nouvelles technologies d’animation par ordinateur ».
Car les témoignages oculaires de personnes qui semblent dignes de foi abondent et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont troublants. Tous, ils s’entendent pour décrire « une créature couverte de poils qui avait la démarche d’un homme », qui mesurait « trois mètres de haut » et dégageait « une odeur très forte qui vous prenait à la gorge ». En somme, un être « mi-homme, mi-bête ».
Et la totale absence à ce jour de « cadavre » ou de « squelette » à même d’étayer de telles déclarations n’empêche en rien que pas moins de « 37 000 personnes » rapportent avoir aperçu une telle créature, tant aux ETATS-UNIS (REGION FRONTALIERE DU PACIFIQUE NORD-OUEST, mais également états du WYOMING, du COLORADO, du TEXAS, de la LOUISIANE et de la GEORGIE) qu’au CANADA (en bordure du Pacifique nord-ouest là aussi).
Et, pour couronner le tout, le mystérieux être fut FILME LE 20 OCTOBRE 1967, par deux américains du nom de Roger PATTERSON et Robert GIMLIN à la FRONTIERE ENTRE LA CALIFORNIE ET L’OREGON.
Ce témoignage – sans doute le plus troublant de tous – a pris la forme d’un film d’amateur qui « dure à peine une heure », mais à propos duquel, « cinquante ans plus tard, la polémique reste vive ».
Deux ingénieurs américains partent en enquête à BLUFF CREEK (Californie du nord). Bluff Creek, c’est l’endroit –sauvage et très isolé – où a été surprise et filmée la « bête ». Le lieu est un « banc de sable » au milieu d’une « forêt de SEQUOIAS » impressionnants. L’expédition, qui « n’est pas sans danger », s’y rend en hélicoptère. Elle se propose d’effectuer « un relevé laser panoramique du site ».
La chance lui sourit puisqu’elle parvient à atteindre « l’endroit exact du film » dont, assez rapidement, l’aspect inchangé depuis l’époque permet aux hommes de repérer le trajet qui a été celui du Big Foot.
Ainsi que nous pouvons nous-mêmes le voir de façon nette sur la bande, la créature a traversé le banc de sable pour s’enfoncer ensuite, après s’être brièvement retournée, dans la forêt.
Dans un premier temps, un « relevé par laser-scanner » va restituer « les moindres détails du site », de façon à permettre la création d’un « paysage numérique » où sera, par la suite, intégrée la créature. Il faut bien avoir à l’esprit que jusqu’à la moindre « feuille » ou « brindille » figurant sur le site de Bluff Creek va y apparaître « en relief ».
Mais, parallèlement, un « minutieux travail » mené par William MUNS visera l’étude même du film de Patterson-Gimlin, à partir d’une « copie de l’original ».
Il faut savoir que « le film de Patterson est extrêmement rare » et que s’en procurer ne serait-ce qu’une copie relève de l’exploit. Au demeurant, les copies, quoique nombreuses, sont « parasitées », de sorte que « l’élimination des éléments parasites » s’avèrera « indispensable ». N’oublions pas non plus que le film lui-même « est très vieux et très fragile ».
Grâce à « un procédé ingénieux », Muns « scanne le document ».
De la bande dont il dispose, il tire « des photos image par image » et il les numérise soigneusement par ordinateur.
Décrit pas tous ceux qui prétendent l’avoir vu comme « un être de très grande taille, mi homme, mi-singe », le Big Foot ne pouvait pas ne pas intriguer certains savants. Parmi ceux-ci, Jeffrey MELDRUM, anthropologue, s’y intéresse de très près et se pose énormément de questions :
« est-ce un cinquième grand singe ou est-ce plutôt un hominidé ? » ;
pourquoi ne pouvons-nous pas disposer de « preuves indiscutables de son existence » ?;
dans l’hypothèse où cette dernière serait autre chose qu’un mythe, « que devient son cadavre quand il meurt ? ».
A cette dernière interrogation, Meldrum a vite fait de trouver une réponse : il suffit de « faire la comparaison avec les ossements de chimpanzés » qui eux aussi demeurent introuvables dans la jungle africaine ; « les os se désagrègent très rapidement en milieu naturel », précise le spécialiste.
En possession de « 200 MOULAGES D’EMPREINTES DE BIG FOOT », Meldrum nous exhibe « un beau spécimen d’empreinte typique ». Avec lui, nous constatons qu’il figure « un pied plat de primate non humain » », au « talon allongé », à la « flexion médio-tarsienne » caractéristique et à l’absence de voûte plantaire patente. Tout ceci, conclut-il, signale « une adaptation parfaite à un type de terrain pentu et cahoteux ».
Mais, ne se fait-on pas faute de lui opposer, de pareilles empreintes ne peuvent-elles pas être, tout bonnement, « l’œuvre de petits plaisantins » ? Non, objecte-t-il avec une indéniable assurance, pour la bonne raison que « créer une empreinte de pied convaincante n’est pas si simple »…
On reste un peu sur notre faim.
Qu’à cela ne tienne, vient à la rescousse un homme convaincu de détenir « une preuve formelle ».
Spécialiste des empreintes, tant « digitales » que « de primates », Jimmy CHILLCUT a pour lui d’avoir travaillé avec le FBI. Lui aussi intrigué, il se lance dans un examen des CRÊTES DENTAIRES des fameuses traces de pied attribuées au sasquash. Pour ce faire – gage de sérieux – il n’hésite pas à faire appel à des méthodes de laboratoire médico-légal.
Sa conclusion : « les crêtes sont parallèles au côté du pied », ce qui tendrait à fortifier la thèse du « primate non humain ». Jimmy Chillcut n’a plus de doutes.
Pour autant, sa démonstration reste de l’ordre de la « preuve indirecte » et, par conséquent, insuffisante.
Nous voici du coup ramenés vers la seule preuve directe qui soit au monde de l’existence de l’étrange créature : les images de Patterson-Gimlin.
Celles-ci, nous l’avons déjà vu, présentent un grand nombre de défauts, auxquels il faut ajouter le fait non négligeable que « Patterson courait » et que « sa caméra a été secouée ». De plus, le « grain très fort » de l’image obtenue est loin d’arranger les choses. Néanmoins, « un mois de travail fastidieux » de « stabilisation du film image par image » va avoir pour résultat l’obtention, par William Muns, d’une « nouvelle version stabilisée en HD » beaucoup plus distincte.
Meldrum, quant à lui, « se rend dans les montagnes du Wyoming, où le Big Foot a été vu récemment ». Là, il se joint à un biologiste, John MAYONZINSKY. Le sujet qui, présentement, préoccupe les deux chercheurs est celui de l’éventuelle alimentation de notre homme-singe.
Des témoins oculaires attestent avoir surpris le Big Foot en train de MANGER DES SAUMONS, DES BAIES SAUVAGES ainsi que « DES LICHENS POUSSANT SUR LES ARBRES ». Après étude approfondie des « ressources en nourriture de la région », les savants en viennent au constat que « Big Foot n’aurait aucun problème à se nourrir » dans l’environnement des FORETS NORD-AMERICAINES. Encore ne s’agit-il que de Big Foot pris individuellement ou sous la forme restreinte d’une centaine d’individus. Pour le reste, la présence d’une véritable « population », impliquant « plusieurs milliers » de sasquash est « peu probable ». Une telle population devrait en effet « entrer en compétition avec les OURS NOIRS ». Pour nombre de gens qui doutent de l’existence du Big Foot, d’ailleurs, ce que les témoins signalent avec tant d’insistance avoir vu ne serait en fait, dans chacun des cas, qu’un ours noir ; la taille de ce dernier animal et sa fourrure extrêmement fournie concordent. Au surplus, « les territoires où l’on a signalé le Big Foot sont les mêmes que ceux des ours noirs ».
Une fois de plus, nous nous heurtons à une incertitude totale. « Le seul élément vraiment tangible reste le film » de Patterson-Gimlin.
D’où le recours à une « analyse biomécanique du déplacement de la créature filmée ».
Cette dernière s’avèrera, somme toute, très instructive, puisqu’elle débouchera sur le constat, lui aussi passablement troublant, que la démarche de l’être diffère notablement de celle de l’Homme : « plus chaloupée », donnant à voir un « corps incliné vers l’avant », des « pieds posés à plat » ainsi que des genoux qui « restent pliés », elle offre « une parfaite correspondance avec l’anatomie des pieds reconstitués à partir des empreintes » qu’on a attribuées au sasquash.
Une question se pose alors : un homme peut-il imiter la démarche de la créature ?
Pour le savoir, on fait appel à « UN STUDIO DE LOS ANGELES ». Un comédien qui est aussi un véritable géant de 2,13 m apprend à copier la façon de marcher caractéristique, laquelle consiste à « rester baissé, le dos voûté, les bras tombants ». Et il s’avère vite qu’avec un peu d’entraînement, il est tout à fait en mesure d’y parvenir.
Par ailleurs, on se tourne vers Peter BROOK, costumier à HOLLYWOOD, afin d’essayer de vérifier la véracité d’une rumeur affirmant que le film de Patterson-Gimlin ne serait, dans les faits, rien de plus qu’un « canular » d’autant mieux monté qu’il l’a été avec la complicité active de la mecque du cinéma américain.
Brook commence par nous expliquer qu’ « un costume de singe » hollywoodien est constitué de « deux parties », l’une chargée de rendre « la musculature », l’autre de rendre « la fourrure ».
Puis il se penche avec attention sur le film de 1967, où il note que la créature qui y évolue affiche – faits remarquables – « de très longs bras », une « musculature très ferme qu’on devine sous la peau » et une fourrure très « moulante » qui colle au corps d’extrêmement près.
Or, à l’époque où le film fut tourné, c'est-à-dire à la fin des années 1960, il n’était encore absolument pas possible, même à Hollywood, d’obtenir l’effet de musculature qu’il nous donne à voir.
De même, le type de fourrure moulante qu’arbore le grand singe bipède figurant sur la bande de Patterson n’a-t-il fait son apparition dans le monde du costume hollywoodien que dans le courant des années 1980. Perturbant, n’est-ce pas ?
Outre la présence, sur le corps de la créature, de « nombreux muscles » apparents et le fait qu’on réussit à y distinguer même « les omoplates », la « crête sagittale et les mâchoires typiques des gorilles », « l’animal a des seins ».
De tous ces faits, le costumier Peter Brook déduit que l’hypothèse du canular concocté à l’aide d’accessoires made in Hollywood semble « infondée ».
Alors ? « Se pourrait-il que l’animal soit un grand singe ? ».
La créature désignée sous l’appellation de Big Foot a, on le sait, également laissé des touffes de poils dans la nature. On n’a pas manqué d’essayer de soumettre celles-ci à l’analyse des GENETICIENS. Sans résultats probants, hélas : « les poils sont en trop mauvais état ».
Meldrum, qui, au passage, disons-le, possède aussi « plus de quinze échantillons » de cette fourrure bigfootienne, entreprend, sous nos yeux, en compagnie de son complice Mayonzinsky, une recherche de poils, dans la nature presque vierge et enneigée où ils se sont lancés. Nous les voyons, le plus sérieusement du monde, placer une sorte d’ « appât » imbibé de phéromones de gorille entre deux branches nues d’arbres. Que donnera une pareille expérience ? On ne le sait. Cependant, Meldrum nous confie que nombre de poils attribués à l’insaisissable être et passés jusqu’ici, par lui, au crible de l’analyse scientifique, se sont révélés être des « poils de primate », quoique ne correspondant à « aucun singe connu ».
William Muns, lui, croit aux vertus de « l’analyse anatomique comparative ». Ainsi qu’il nous l’explique, « il y a certaines postures qu’aucun Homme ne peut reproduire ». Le point de flexion du genou d’un représentant du genre humain, par exemple, n’est absolument pas modifiable. En conséquence, s’il voulait calquer la démarche de la créature que montre le film de Patterson-Gimlin, un acteur, qu’il soit hollywoodien ou pas, aurait du mal.
Le torse de la créature étant « plus long » et ses hanches « plus basses » que ceux de l’être humain de façon patente, cela ne fait pas un pli : « les hanches de l’acteur seront trop hautes en cas d’alignement des deux silhouettes ». De même « les cuisses très longues et les tibias très courts » qui sont l’apanage de la créature apparaissent-ils « très inhabituels chez un Homme », en sorte que « les articulations sont impossibles à aligner » dès lors qu’on tente de le faire sur la modélisation par ordinateur. A n’en pas douter, pour Muns, « la créature est plus proche d’un grand singe que d’un Homme ».
Un INFOGRAPHISTE s’attelle à la reconstitution de l’animal. D’abord, « quelle taille a le Big Foot ? ». Il va falloir ici se livrer à « un calcul complexe de mesure »…
D’après l’un des deux cinéastes débusqueurs de sasquash , Gimlin, son compère Patterson, qui tenait la caméra, « s’était arrêté à trois mètres de la créature ». Sachant cela, Meldrum fait faire « un scanner-laser en 3D » de l’empreinte relevée à Bluff Creek. Pour le reste, il faut prendre en compte que la dimension du pied d’un Homme représente 15,5% de la taille d’un pied humain ou d’un pied de primate.
Pourtant, une désagréable surprise attend nos enquêteurs : le calcul auquel ils se sont livrés indique une taille ridiculement petite et inadéquate en regard des dimensions de la créature que suggère le film. Les limiers se demandent alors si le problème ne serait pas lié à l’objectif qui était celui de la caméra utilisée : 15 millimètres, ou bien 25 ?
Le calcul, à la lumière de ces nouveaux paramètres, est refait et, à son issue, l’évaluation de la taille de l’animal est parfaitement compatible avec le moulage de l’empreinte : 2 mètres 30. Ce n’est certes pas là une taille qui, chez les humains, court les rues, puisque, nous dit-on, seulement 1 sur cent millions de nos congénères peuvent se vanter de l’atteindre.
Reste à présent à « ramener le Big Foot de Patterson à la vie », plus de quarante ans après. Grâce à l’animation de la silhouette de la créature par la « capture de mouvement », c’est bientôt chose faite.
« Extrêmement convaincante », la modélisation a de quoi nous frapper. Elle nous laisse, en particulier, « clairement » distinguer les muscles qui roulent sous la peau de l’étrange bête.
Et après ?
« Voilà tout ce que la science peut dire aujourd’hui de Big Foot ».
C’est certes assez maigre, même si, d’autre part, cela tend à fortifier certaines présomptions.
Les témoignages oculaires peuvent-ils être considérés comme vraiment fiables ?
Le caractère authentique des empreintes ne pose-t-il pas problème ?
Et que penser, en définitive, du film, de ce qu’il nous révèle ?
« En l’état actuel, il est difficile de donner une réponse définitive », répliquent en fin de compte les scientifiques, avec une prudence qui les honore.
En attendant que (peut-être, un jour) d’autres « indices » plus tangibles et plus décisivement convaincants viennent apporter un peu plus d’eau au moulin d’une hypothèse qui, depuis longtemps, aiguillonne leur curiosité, il faut bien s’attendre à ce que cet animal mythique – appelé, sous d’autres cieux, le YETI – continue encore allègrement de hanter les primatologues avides de découvertes et, bien entendu, les espaces forestiers d’Amérique du nord…
P. Laranco