Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)
L’auteur :
a. Les débuts
b. Premiers succès
c. Le triomphe
d. Dix ans de Gundam
e. L’après Gundam (le présent billet)
e. L’après Gundam
À l’exception d’une production, les divers travaux post Gundam de Tomino évoquent encore à ce jour des réactions assez contrastées.
Ainsi Garzey’s Wing, une OVA de trois épisodes dont le récit se situe dans l’univers d’Aura Battler Dunbine et qui sort en 1996, deux ans à peine après la conclusion de Victory Gundam, ne parvient pas à convaincre et reste encore auréolée d’une assez mauvaise réputation dans les cercles spécialisés où beaucoup voient le début d’un net déclin dans la production du réalisateur. À la décharge des fanboys meurtris, on peut admettre sans peine que cette très courte série présente en effet assez peu d’intérêt : en plaçant cette intrigue trois siècles après celle de Dunbine, Tomino semble vouloir couper les ponts avec cette production précédente, et notamment en revenant à ce qui semble bien être les racines primordiales de cet univers de médiéval-fantastique tel qu’il l’avait imaginé au départ dans ses romans – soit avant que les sponsors fabricants de jouets l’incitent à en faire une production présentant des mechas pourtant absents de l’œuvre littéraire de départ. Garzey’s Wing s’affirme donc comme la toute première réalisation de Tomino dépourvue de ce à quoi il doit sa réputation, du moins depuis qu’il s’est consacré à cette branche pour le moins particulière de la culture populaire japonaise. Ainsi, ce récit présente-t-il un jeune motard, Chris, qui se trouve amené sur le monde fantastique de Byston Well pour prendre part plus ou moins malgré lui à l’insurrection d’une tribu contre un seigneur tyran qui n’entend pas laisser ses serfs prendre ainsi leur liberté ; la magie des ferrarios, les fées de cet univers, ont doté Chris d’une arme redoutable, les Ailes de Garzey, qui fait de lui un guerrier sacré sans pareil dans tout l’univers de Byston Well.Hélas pour le spectateur, l’intrigue ne parvient jamais à décoller vraiment de ce synopsis pour le moins simpliste et les trois épisodes d’une demi-heure chacun s’articulent tous autour d’une série de batailles dont le fil conducteur sur le plan scénaristique s’avère assez ténu. L’aspect technique, par contre, se montre de bonne facture et présente une animation assez réussie, ce qui reste malgré tout bien peu pour satisfaire une audience habituée à des choses plus stimulantes pour l’esprit de la part d’un tel auteur. Enfin, on peut aussi préciser que Garzey’s Wing est à l’époque de sa sortie la première réalisation de Tomino qu’il ne développe pas avec Sunrise depuis plus de 20 ans, ce qui renforce d’autant plus l’hypothèse comme quoi il a ici cherché à s’éloigner de Dunbine, et peut-être même du studio : je rappelle que, de l’aveu du réalisateur, il considérait son travail sur les dernières productions Gundam, qu’il s’agisse de Gundam F91 ou de Victory Gundam, comme un échec au moins sur le plan personnel – il aurait même affirmé qu’il déteste Victory Gundam – de sorte qu’on comprendrait somme toute assez bien une éventuelle volonté de sa part de prendre ses distances vis-à-vis de Sunrise et d’autant plus que le studio de production compte à présent parmi les nombreuses propriétés de Bandai. L’échec tant publique que critique de Garzey’s Wing explique peut-être sa volte-face, à moins qu’il ait fini par trouver de bonnes raisons de retourner dans le giron du studio grâce auquel il a pu développer ses productions les plus marquantes…
Quant au déclin du réalisateur évoqué plus haut, il semble confirmé par Brain Powered, une production de 1998 qui laisse les fans de la première heure assez dubitatifs. Dans ce futur immédiat, une entité colossale appelée Orphan remonte des abysses de l’océan en provoquant de tels mouvements des eaux que les villes côtières – où vit plus de la moitié de l’humanité – se voient dévastées en contraignant ainsi les habitants à l’exode ; mais Orphan sécrète aussi des objets appelés Plates qui donnent naissance à des mechas biomécaniques appelés Anticorps et capables de se lier de manière symbiotique à leur pilote : une faction qui se nomme les Récupérateurs veut obtenir le plus possible de ces Plates afin d’asseoir sa domination sur le reste du monde et avoir ainsi les mains libres pour percer les mystères d’Orphan, mais les Nations-Unies mettent sur pied un groupe appelé Nivis Noah qu’elles chargent de stopper Orphan à n’importe quel prix – quitte à entrer en guerre ouverte avec les Récupérateurs… Si le but avoué de Tomino était de battre Neon Genesis Evangelion (Hideaki Anno ; 1995) sur son propre terrain – de la même manière que les créateurs d’Evangelion avaient voulu battre l’Ideon de Tomino à son propre jeu –, le public ne le suit pas dans sa tentative ; les attaques incisives de Tomino contre la célèbre production du Studio Gainax, qu’il aurait qualifié entre autres d’« obscène », ont peut-être joué un rôle dans cet échec : on n’attaque pas impunément un objet de culte après tout, même quand on en est un soi-même…Pourtant, Brain Powered reste à ce jour une des réalisations les plus abouties de Tomino, tant sur les plans artistiques que narratifs : échafaudé avec le concours de ténors de l’industrie de l’animation tels que Mamoru Nagano, Yoko Kanno ou Mutsumi Inomata, à travers un récit aux accents nettement épiques et qui condamne le rôle des parents dans ces blessures de l’enfance capables de conditionner toute une vie en altérant de manière souvent définitive les rapports de l’individu au reste du monde, Brain Powered s’affirme surtout comme une œuvre au discours bien plus subtil que ce que son apparence peut le laisser penser mais aussi assez choquant dans cette civilisation japonaise où les mères décident encore de tout ce qui concerne leurs enfants ; sur ce point, d’ailleurs, Brain Powered se situe tout à fait dans la continuité logique de Victory Gundam et confirme que le réalisateur tient toujours bon le fil de ses idées bien qu’il ait ici substitué à la violence de la guerre celle de rapports psychologiques phagocytaires. Pour cette raison, et en dépit d’une qualité d’animation souvent lacunaire, cette production demeure une des plus intéressantes dans l’ensemble de l’œuvre de Tomino et vaut largement le coup d’œil, au moins pour s’en faire soi-même sa propre idée.
Mais ce n’est pas avant l’année suivante que Tomino s’attaque à Turn A Gundam qui constitue à ce jour encore son seul véritable chef-d’œuvre. Échafaudé pour fêter le 20e anniversaire de la franchise Gundam, ce projet se base sur l’idée de Tomino de créer un récit dans lequel tous les univers Gundam alternatifs créés depuis le rachat de Sunrise par Bandai, à travers les productions Mobile Fighter G Gundam (Yasuhiro Imagawa ; 1994-1995), New Mobile Report Gundam Wing (Masashi Ikeda ; 1995-1996) et After War Gundam X, (Shinji Takamatsu ; 1996) trouvent tous une base commune ; en d’autre termes, il s’agit d’écrire la conclusion définitive de toutes les sagas Gundam, y compris celles encore à venir. Si un tel choix ne va pas sans évoquer un certain mercantilisme en liant entre elles des productions au départ conçues sans aucun rapport les unes avec les autres, en dehors de leur titre, et si cette idée reflète de manière assez nette une certaine volonté de Tomino de se réapproprier en quelque sorte le travail de ses confrères qui ont créé ces univers alternatifs, il n’en reste pas moins que Turn A Gundam reste encore à ce jour la production de la franchise la plus aboutie, la plus surprenante, la plus originale et la plus inventive : le passé et le futur s’y mêlent en un tout d’une cohérence ahurissante à travers l’utilisation des truismes les plus éculés de cette science-fiction classique dans laquelle la franchise Gundam plonge ses racines profondes, mais en se trouvant ici actualisés par une fraîcheur dans la narration qui réinvente littéralement tout Gundam ; épaulée par des artistes tels que le designer de stature internationale Syd Mead au mecha designs, Yoko Kanno à la musique et Akira Yasuda aux character designs, sous la direction de Shigemi Ikeda, narrée par une ribambelle de scénaristes tels qu’Hiroyuki Hoshiyama, Minoru Onoya ou Jiro Takayama, cette production hors norme veut marquer son époque et laisse au final une trace indélébile en s’affirmant comme un récit qui transcende le temps, en particulier à travers une charge émotive très rarement égalée…À vrai dire, Turn A Gundam mériterait un dossier entier à elle seule, pour la manière dont cette œuvre joue avec les genres et les codes, s’amuse à rendre les frontières imprécises, mais en restant profondément cohérente malgré tout. Car dans ce futur lointain, les civilisations de la Terre sont revenues à un niveau technologique et industriel équivalent à celui du début du XXe siècle : sur le vaste continent d’Ameria règne une sorte de nouvelle féodalité où chaque comté prospère en paix avec ses voisins malgré quelques rumeurs de guerre prochaine… Nul ne se souvient que jadis des humains vivaient dans l’espace, pourtant les descendants de ces derniers sont toujours là : acculés par le manque de ressources et la surpopulation, les habitants de la Lune veulent revenir habiter sur Terre. Parmi les éclaireurs envoyés par les sélénites, Loran Cehack, Keith Laijie et Fran Doll, tout juste adolescents, se voient chargés d’infiltrer les terres du comté d’Inglessa. Ils se séparent pour mener leur mission à bien et l’un d’eux, Loran, trouve un emploi dans les mines de la famille Heim dont la fille aînée est le parfait sosie de la reine sélénite Dianna Soriel. Deux ans plus tard, celle-ci en personne arrive sur Terre à son tour, escortée par sa garde personnelle et quelques troupes de l’armée lunaire, afin de négocier l’acquisition de territoires pour son peuple affamé. Mais très vite, les choses tournent mal : une nouvelle guerre commence entre les terriens effrayés et les sélénites désespérés, en particulier ceux d’entre eux qui croient que le retour à la planète-mère ne fera que réveiller un horrible cauchemar enfoui au plus profond du passé oublié de l’humanité, une période de l’Histoire qu’on ne se rappelle plus que sous le nom de Dark History et qui aurait mis fin jadis à la civilisation de l’espace…
Au contraire de ce qu’on pu l’affirmer certains, de toute évidence mal informés, Turn A Gundam n’entretient aucun rapport avec le cyberpunk, encore que les personnes évoquées ont certainement confondu les termes et voulaient plutôt dire steampunk à la place ; pourtant, cette série TV ne présente aucun lien avec cet autre genre non plus, sauf peut-être dans l’aspect : je rappelle à toute fin utile que le steampunk est une branche de la science-fiction échafaudée en réaction au succès des cyberpunks au début des années 80 et qui se qualifie par des récits ancrés dans un univers d’ordre uchronique, c’est-à-dire présentant des événements historiques qui ne se sont pas déroulés tels qu’on les connaît, où la maîtrise de la vapeur a permis de développer des technologies très sophistiquées – bien plus, en tous cas, que celles que nous connaissons. Mais Turn A Gundam ne laisse voir aucun élément technique de ce genre, si ce n’est des choses somme toute assez banales dans le sens où elles montrent bien peu de différences avec celles apparues pendant la période de transition entre le XIXe et le XXe siècle tels que nous les connaissons ; sans non plus perdre de vue que cette époque où elle situe son récit ne fait que ressembler à l’époque victorienne des steampunks alors qu’elle s’en différencie, et dans des proportions considérables, en plaçant son propre récit dans un futur prodigieusement lointain. En fait, force est de constater que Turn A Gundam reste une œuvre tout à fait unique en son genre et à la personnalité sans pareille – en un mot : incomparable.Pourtant l’œil averti y trouvera divers éléments déjà aperçus dans nombre des productions précédentes du réalisateur. En particulier, on peut citer parmi celles-ci le mecha vedette de cette série, le ∀ Gundam, ici présenté comme un danger pour toute la civilisation à l’instar de ce que Tomino avait déjà développé comme concept dans Zambot 3 plus de 20 ans auparavant, en 1977, et qui est par la suite resté comme un des concepts de départ de chacune de ses réalisations Gundam – d’ailleurs, le récit n’hésitera pas à préciser que le ∀ Gundam, ici, est bien le responsable de la chute de la civilisation de l’espace… Mais on peut aussi distinguer une composante qui rappelle foncièrement Ideon, l’autre projet maudit de Tomino qui reste pourtant une de ses plus grandes réussites : les terriens, en effet, se livrent ici à une guerre contre les sélénites à l’aide de mechas retrouvés enfouis dans le sol depuis des temps immémoriaux, ce qui rappelle bien sûr de quelle manière les colons terriens retrouvent les restes de l’Ideon dans la série TV éponyme ; sur ce point, d’ailleurs, il vaut d’évoquer ces rumeurs tenaces affirmant que l’intention première de Tomino consistait à inclure l’Ideon dans Turn A Gundam, ou plutôt, pour me montrer plus précis, de faire de cette série TV une sorte d’anthologie de toute son œuvre, ce qui permet au passage de mesurer avec une certain précision sa modestie légendaire – à moins qu’il vaille mieux y voir une expression du chagrin que lui causèrent jadis les échecs de certaines de ses productions et que sa nature dépressive déjà évoquée dans la partie précédente de ce dossier ne contribua bien sûr pas à atténuer : chacun se fera son idée entre l’une ou l’autre de ces possibilités… Enfin, il faut aussi souligner que Turn A Gundam s’inscrit tout à fait dans la lignée de la chronologie Universal Century de la franchise Gundam en montrant un avenir où les colonies de l’espace ont choisi de s’affranchir définitivement de la planète-mère Terre au point de quitter pour toujours le système solaire afin d’accomplir leur destin dans les étoiles, cette fois au sens strict du terme – remarque qui contredit moins ce que je disais plus haut à propos de la chute de la civilisation spatiale que ce qu’elle précise mes dires…
Mentionnons pour finir que le succès tant public que critique se trouve au rendez-vous, et de telle sorte qu’un film de compilation voit le jour deux ans après la conclusion de la série, en 2002, à travers deux long-métrages, Earth Light et Moonlight Butterfly, qui comme la plupart des réalisations de cet ordre ne méritent pas vraiment qu’on s’y attarde…
Un peu plus tard la même année sort sur les petits écrans Overman King Gainer qui rappelle assez Xabungle avec son futur lointain où la plus grande partie de l’humanité se trouve tributaire de la technologie d’une faction en particulier et où des artefacts du passé à la sophistication inouïe servent à mener une résistance contre cette tyrannie. Car dans cet avenir, les altérations du climat dues aux activités humaines ont contraint les hommes à reconnaître leurs erreurs et à s’exiler dans les régions les plus froides du globe pour laisser à la Terre le temps de se régénérer : vivant au sein de vastes cités fermées appelées domepolis, les habitants ne peuvent plus compter que sur les approvisionnements de la compagnie des Chemins de Fer Sibériens qui profite de sa position dominante pour dicter leur politique à ces enclaves de civilisation ; mais beaucoup qui ne l’entendent pas de cette oreille préfèrent l’Exode, c’est-à-dire quitter les domepolis pour tenter leur chance ailleurs, ce que les Chemins de Fer punissent avec la plus grande sévérité ; pourtant, c’est bien malgré lui que Gainer Sanga se trouve mêlé à un Exode, lui qui ne s’intéresse qu’aux jeux vidéo…Là encore comme dans Xabungle, le ton se veut pour le moins léger, voire franchement parodique : les principaux truismes du genre mecha pris dans son ensemble – “Super Robots” et “Real Mechas” – se trouvent détournés avec une maestria peu commune dans cet espèce de road movie sibérien ; le tout sur fond d’une critique au moins implicite de l’exploitation à outrance des ressources naturelles et du repli sur soi des civilisations à travers les technologies du virtuel en général et celles des jeux vidéo en particulier – un type de média pour lequel Tomino n’a pas caché sa désapprobation d’ailleurs (1). Cette production tout à fait inattendue en surprit bien sûr beaucoup qui y virent la confirmation du “gâtisme” de Tomino alors qu’il semble plus judicieux d’y distinguer une maturation du réalisateur dans sa perception du genre qu’il a littéralement inventé par rapport à celui qui le précédait : il propose en effet ici une hybridation des deux sous-branches du genre mecha très difficilement comparable avec toutes celles qui avaient précédées depuis une dizaine d’années dans l’industrie japonaise de l’animation, et il sait d’autant mieux de quoi il parle qu’il est aussi l’inventeur de cette hybridation à travers son propre Heavy Metal L-Gaim (1984) ; de plus, il va de soi que Tomino a eu le temps de réfléchir à son œuvre prise dans son ensemble et on ne peut exclure qu’Overman King Gainer constitue le résultat d’une partie au moins de cette prise de recul – toute empreinte de ce sens de l’humour propre au réalisateur et qui caractérise une portion plus que conséquente de sa production, quoi qu’en dise l’audience occidentale qui persiste à voir une exception dans Mobile Suit Gundam ZZ.
Gundam qui, justement, revient dans la filmographie de Tomino, ce qui surprend là encore compte tenu des multiples déclarations publiques du réalisateur quant à cette franchise qu’il a créée de toutes pièces mais qu’il a vu s’abâtardir un peu plus chaque année à travers une profusion de productions sans queue ni tête suite aux exigences de Bandai dans une stratégie marketing aux effets d’assommoir ; Tomino aurait ainsi déclaré qu’il déteste à présent Gundam… Pourtant, c’est bien sur une seconde trilogie Gundam pour le cinéma qu’il s’attelle en 2004, et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de reformater son chouchou Zeta Gundam pour le grand écran à l’occasion du 20e anniversaire du titre…
Si l’annonce a de quoi surprendre, elle se montre en fin de compte assez logique : dans sa stratégie de diffusion de la franchise Gundam en occident, Bandai a jusque là “oublié” Zeta au profit des réalisations plus récentes, ce qui ne va pas sans causer certaines incompréhensions auprès des spectateurs peu avertis ; car Zeta représente un maillon indispensable entre Mobile Suit Gundam et Char’s Counter-Attack sans lequel ce dernier ne peut espérer se voir pleinement saisi. Le problème étant que cette série est trop ancienne, d’où l’idée de lui donner un coup de neuf à travers cette “conversion” pour le grand écran. Notons malgré tout que cette décision n’empêche pas Bandai USA d’importer la série TV aux États-Unis, à travers une édition pour le moins bâclée qui fera d’ailleurs couler pas mal d’encre, en attendant que cette trilogie pour le cinéma sorte du Japon en grande pompe.
Le résultat, Mobile Suit Zeta Gundam: A New Translation (2004-2006) s’avère catastrophique pour les fans de la première heure mais reste assez bien accueilli par les nouveaux-venus à la franchise. Si l’aspect purement technique de cette production présente des disparités évidentes – Tomino a déclaré lors d’une séance de questions et réponses avec le public juste après la projection de la première de A New Translation pendant le Festival international du film de Chicago le 7 octobre 2006 que le budget du projet ne permettait pas de produire de nouvelles séquences pour l’intégralité du film, de sorte que certains passages sont en fait tirés de la série TV originale de 1985, ce qui occasionne des différences de rendu assez palpables –, le reformatage lui-même se voit profondément critiqué : condenser ainsi 52 fois 26 minutes de la série TV originale en trois fois deux heures implique forcément des coupes drastiques dans la narration, et donc dans les idées qu’elle dégage ; de plus, la production avait annoncé d’entrée de jeu sa volonté de réaliser un “happy end” – ce qui déclenche bien sûr des tollés : Zeta ne peut pas bien finir… ou bien ce n’est plus Zeta.Ainsi, cette trilogie est conspuée, son réalisateur renié et la fin du monde arrivée. Pourtant, c’est oublier un peu vite que Tomino a évolué depuis 20 ans : sa perception des choses a changé, le regard qu’il jette sur son œuvre maîtresse est nécessairement différent – après tout, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis… C’est en tous cas ce droit à la l’évolution personnelle qu’il a avancé comme raison derrière ces changements, au moins indirectement, lors de la séance de questions et réponses avec le public évoquée ci-dessus : « Il y a 20 ans, il y avait beaucoup [d'animes de robots] et j’ai pensé que c’était le bon moment pour faire [Zeta] extrêmement sombre… Mais 20 ans après, il est temps pour moi de le rendre plus gai. » Il s’explique plus en détails dans une interview accordé à ANN au mois de juin 2009 : « Jusqu’à un certain âge, j’aimais introduire mes frustrations dans mon travail. Cependant, j’ai changé de mentalité en réalisant que l’animation est un médium de divertissement, qu’il doit être quelque chose qui réjouit les gens. Cette manière de penser est évidente dans les films de Zeta Gundam. En d’autres termes, les films sont une expression du fait que, par nature, tout le monde arbore à la fois une face positive et une face négative. » Enfin, il y a aussi des murmures de fond qui affirment avec une certaine obstination que la femme de Tomino a toujours détesté Zeta, en particulier pour sa conclusion de fureur et de sang, et que le réalisateur aurait décidé d’abonder dans son sens. On ne saura probablement jamais ce qui s’est vraiment passé dans la tête de Tomino, mais quelles que soient les raisons derrière cette modification le fait est que Zeta a désormais changé de visage, et peut-être pour toujours – ce qui n’empêche pas l’original de continuer à exister tel quel et surtout de demeurer le récit canon qui ouvre la chronologie Universal Century de Gundam vers Char’s Counter-Attack…
Tomino s’octroie néanmoins une pause pendant la réalisation de A New Translation avec The Wings of Rean, une autre série dérivée de Dunbine sous la forme de ce qu’on appelle une ONA – soit un type de production destiné à l’exploitation en ligne. Situant son récit dans le présent, cette courte série d’une demi-douzaine d’épisodes à peine présente Lyx, une princesse venue dans notre monde depuis Byston Well aux commandes d’un navire fabuleux : son père Shinjiro Sakomizu lui aussi japonais, elle vient demander de l’aide au jeune Suzuki – mais celui-ci est recherché par la police comme par l’armée pour avoir participé à une attaque au lance-roquette contre une base militaire américaine… En dépit de ses immenses qualités de réalisation – tout comme A New Translation en 2005, cette courte série obtient une distinction au festival Animation Kobe en 2006 – mais aussi du retour à l’écran des mechas biomécaniques typiques de l’univers de Dunbine, ici servis à merveille par une animation en 3D de très bonne facture, The Wings of Rean se voit malgré tout assez mal accueillie par le public, peut-être en raison de sa narration mi-figue mi-raisin dont l’absence de légèreté mais aussi de noirceur ne permet pas à l’audience de se laisser charmer par la seule fantasy de cette aventure… On y distingue néanmoins un sentiment anti-américain qui, bien que présenté de façon assez fugace, correspond assez bien à l’œuvre de Tomino prise dans son ensemble – à la différence près qu’ici ce sentiment ne se cache plus derrière la métaphore, ou assimilé, qui jusqu’à Brain Powered tendait à voiler les opinions politiques du réalisateur.
La même année, il change brièvement de registre en faisant une apparition remarquée dans Nihon Chinbotsu de Shinji Higuchi, une adaptation du roman La Submersion du Japon (1973) de Sakyo Komatsu (1931-2011) en un film live action dans le style tokusatsu où le Japon se voit menacé de disparaître dans l’océan suite à un tremblement de terre particulièrement dévastateur. Son confrère réalisateur Hideaki Anno y a lui aussi un rôle, de même que la femme de celui-ci, la mangaka Moyoko Anno, ainsi que le scénariste et écrivain Harutoshi Fukui et l’animateur Tatsuo Yamada.
La dernière réalisation de Tomino à ce jour est Ring of Gundam, un court-métrage de cinq minutes sorti le 21 août 2009 lors de la Gundam Premiere Expo pour commémorer le 30e anniversaire de la franchise. Le réalisateur a récemment affirmé que ce film est un essai en vue d’une éventuelle nouvelle création Gundam de l’envergure potentielle d’un long-métrage mais pour laquelle il n’a pas encore trouvé d’investisseurs, en soulignant au passage qu’il croit les sponsors effrayés à l’idée qu’il fasse des demandes impossibles à satisfaire (2) ; si aucune date de sortie n’a été annoncée à ce jour pour cette production, il a néanmoins indiqué qu’il souhaiterait faire d’une prochaine création Gundam une réflexion sur le totalitarisme basée sur les écrits de la philosophe allemande d’après-guerre Hannah Arendt (1906-1975) (3), mais sans préciser s’il s’agissait du projet Ring of Gundam. On peut aussi mentionner au passage qu’il a déclaré il y a quelques mois à peine dans le magazine Otona Fami envisager de faire un remake d’Ideon (4), sans toutefois en dire plus.
Quelques jours avant la projection de Ring of Gundam, il reçut un Léopard d’Honneur lors de l’édition 2009 du Festival international du film de Locarno : cette distinction, instaurée en 1989, récompense l’aboutissement de l’œuvre d’une vie mais souligne aussi la reconnaissance pour un auteur du cinéma ainsi qu’un sens de la réalisation audacieux et créatif.
Aujourd’hui, Tomino conjugue ses activités de romancier et de réalisateur avec celui de membre d’un jury de films d’animation destiné à découvrir de jeunes et nouveaux talents.
Suite du dossier (L’innovation : a. Les aspects techniques)
(1) voir ses déclarations (en) lors d’une conférence de développeurs de la CESA en 2009. ↩
(2) propos tenus dans cette interview (en) accordée à Anime News Network. ↩
(3) possibilité évoquée dans une conférence de presse du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon – la retranscription (en) du 14 septembre 2009 chez Anime News Network. ↩
(4) information retranscrite dans cet article (en) du 18 mars 2011 chez Anime News Network. ↩
L’auteur :
a. Les débuts
b. Premiers succès
c. Le triomphe
d. Dix ans de Gundam
e. L’après Gundam (le présent billet)
Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)