Lors du combat qui s’engage, le SDF-1 se trouve projeté dans l’orbite de Pluton à cause d’une défaillance de ses systèmes de navigation hyperspatiale. Pour l’équipage de cette forteresse spatiale comme pour les milliers de civils réfugiés à son bord, c’est une longue odyssée qui commence alors dans le but de revenir sur Terre, et pour le jeune orphelin Hikaru Ichijyo c’est le début d’un long apprentissage de la vie à travers l’école de la guerre, mais aussi celle de… l’amour.
Un aspect de Macross se voit bien peu souvent mentionné par les nombreux commentateurs et chroniqueurs qui évoquent cette production pour le moins atypique : il devait s’agir au départ d’une parodie du genre mecha. Ou du moins d’une œuvre qui ne se prend pas au sérieux, ce qui n’est pas tout à fait la même chose : en fait le genre de projet auquel ses créateurs se consacraient quand ils ressentaient le besoin de se détendre entre deux séances de travail sur un projet plus ambitieux. Pourtant, des diverses ébauches d’animes que tentèrent de développer ses créateurs, c’est Macross qui atteignit le stade final de la réalisation ; sous bien des aspects à vrai dire, et d’après ce qu’en disent ses concepteurs, il alla même jusqu’à phagocyter ces autres projets en en reprenant certaines de leurs idées, et pas les plus mineures.
Voilà comment Macross émergea d’un torrent de formes primitives et brutes échafaudées par la créativité de diverses figures de l’animation japonaise à partir du mois d’août 1980. Si certaines d’entre elles comptaient parmi les vétérans de l’industrie, d’autres y figuraient depuis quelques années à peine ; d’une manière pas si surprenante que ça, ce qui fit de Macross une œuvre unique en son genre venait pour la plus grande partie de ces jeunes gens dont la pensée ne souffraient pas encore de la sclérose de l’expérience et des échecs. Nés pour la plupart au tout début des années 60, ils avaient découvert le genre mecha et les premières productions de science-fiction de renom alors qu’ils quittaient l’enfance et ce foisonnement d’idées nouvelles les avait bien sûr beaucoup marqués. Voilà pourquoi les connaisseurs trouveront dans Macross des hommages, des clins d’œil et des références aux plus grands classiques de l’animation japonaise de science-fiction : de ce point de vue, d’ailleurs, Macross représente presque une anthologie du genre en plus d’un manifeste de ce que ces jeunes artistes souhaitaient faire de leur vie à venir de professionnels de cette industrie.
Le premier de ces deux thèmes principaux se place bien sûr dans la droite lignée de Mobile Suit Gundam (Yoshiyuki Tomino ; 1979) qui tenta de proposer des real mechas – c’est-à-dire des récits de mechas reposant sur un réalisme tant de forme que de fond – et fonda ainsi une branche entièrement nouvelle du genre. Si cette ramification connut des débuts assez difficiles, en raison de nombre de ses aspects aux accents assez nettement révolutionnaires, du moins dans le contexte précis de l’animation japonaise, elle finit néanmoins par s’imposer et Macross joua un rôle considérable dans ce sens : certains, d’ailleurs, n’hésitent pas à affirmer que Macross exerça sur ce point une influence au moins égale à Gundam, et ils ont peut-être raison. Le réalisme d’un récit, en effet, demeure la principale condition pour capter l’attention d’une audience puisque c’est bien ce qui permet la suspension consentie de l’incrédulité : dès lors que la narration prend quelques libertés avec le réalisme, l’auteur risque de perdre l’intérêt du spectateur puisque celui-ci va se mettre à douter de la vraisemblance du récit ; dans le genre real mecha, le réalisme des mecha designs transpose dans l’univers de l’histoire cet élément-clé de la littérature : l’univers pourtant fictif devient soudain crédible parce que les éléments qui le définissent sur le plan visuel ont l’air réels. Et de telle sorte que le spectateur se voit ainsi prêt à accepter des idées et des situations qu’ils n’auraient peut-être pas pu tolérer autrement… Dans Macross, cet aspect se montre particulièrement important en raison de la dimension parodique du projet original dont divers éléments subsistèrent dans la version définitive en dépit du ton plus sérieux de celle-ci et qui se virent malgré tout pleinement acceptés par l’audience – nous en évoquerons certains plus loin.
Quant aux prédispositions des membres de l’équipe dans le développement de ce réalisme, il s’explique d’au moins deux manières. D’abord, le mecha designer principal du projet, Shoji Kawamori, qui se trouve d’ailleurs être aussi un des premiers initiateurs de Macross, étudiait l’ingénierie aéronautique à l’époque où il commença à travailler dans l’animation, en abandonnant peu à peu ses études pour faire de ce nouveau hobby sa profession véritable : on comprend bien sûr que des études dans un domaine aussi concret que celui-là l’aient amené à développer des designs très réalistes ; sur ce point, son travail sur le VF-1 Valkyrie reste encore aujourd’hui une référence du mecha design : adulé par des milliers de fans à travers le monde, pris comme exemple par de très nombreux autres artistes pendant plusieurs années après sa première apparition, il représente une étape fondamentale du genre real mecha pour avoir montré pour la première fois un mecha passer d’une forme à une autre complétement différente en suivant une décombinaison puis une recombinaison tout à fait réaliste de ses divers composants, sans aucune forme de morphose comme c’était le cas en général jusque-là – mais il faut aussi évoquer le splendide travail de Kazutaka Miyatake, un vétéran de l’industrie, lui, au contraire de Kawamori, dont le sens du détail technique conféra à l’ensemble des machines du camp des terriens un réalisme extrême pour l’époque. Enfin, Macross reste pour sa plus grande part l’œuvre d’une nouvelle génération de créateurs qui se posaient en héritiers de leurs prédécesseurs, ceux d’après-guerre : à l’inverse de leurs aînés, ils avaient très bien assimilé la culture technicienne du vainqueur américain qu’ils embrassèrent toute entière au lieu de la rejeter en bloc ou du moins de la critiquer comme l’avaient fait certains avant eux, et souvent avec férocité.
C’est aussi dans cet aspect aux accents tout à fait iconoclastes, en tous cas compte tenu de la prédisposition du genre mecha de l’époque à focaliser sur l’action en évitant de développer des relations psychologiques et encore moins romantiques, que Macross trouve une partie de sa force, qu’il honore la volonté de départ de ses créateurs de faire une parodie du genre. Mais c’est aussi ce qui lui valut son immense succès en dehors du cercle des spectateurs habituels de cette branche particulière de l’anime : Macross, en effet, plaisait aux filles. Car au contraire de la majorité des productions orientées grand spectacle, le personnage principal, ici, ne devient pas un adulte en suivant la voie de la guerre mais bel et bien celle de l’amour, c’est-à-dire de la paix – ce qui étonne somme toute assez peu de la part de créateurs dont la majorité sont issus de la génération Flower Power…
Quand on a que l’amour
Pour parler aux canons
Et rien qu’une chanson
Pour convaincre un tambourAlors sans avoir rien
Que la force d’aimer
Nous aurons dans nos mains
Amis le monde entier. (2)
Le public, d’ailleurs, ne s’y trompa pas cette fois, ce qui restait aussi rare à l’époque que de nos jours. De sorte qu’en dépit de toute l’innovation et les divers aspects expérimentaux de cette œuvre, tant sur les plans narratifs qu’artistiques, soient des éléments qui le plus souvent rebutent l’audience, le succès se trouva malgré tout au rendez-vous. Et il se montra bien assez fulgurant pour convaincre les sponsors et les chaînes de télévision de financer un prolongement de la diffusion à travers neuf épisodes supplémentaires – soit tout de même un tiers du compte de départ, ce qui n’est pas banal. Hélas, c’est dans cette rallonge que Macross tend à se diluer, à perdre de sa force initiale en s’enfonçant en quelque sorte dans une espèce de redite d’autant plus malvenue que la conclusion de l’arc narratif original se montrait bien assez explicite et complet sans qu’il s’avère nécessaire d’en rajouter. Pour cette raison, le lecteur ne se montrera pas mal inspiré de s’arrêter à l’épisode 27, pour autant qu’il parvienne à ne pas céder aux sirènes de Macross dont le chant, c’est bien connu, sait se montrer particulièrement convaincant : demandez donc aux zentrans si vous ne me croyez pas…
Pour autant, ceux-là gagneront à passer outre cet aspect somme toute assez mineur : les classiques, en effet, ont leur prix, mais ils savent récompenser les efforts de ceux qui le payent sans sourciller.
Après tout, c’est une simple question de culture.
(1) Jean-Marie Bouissou, « Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service » (La Critique Internationale n°7, avril 2000). ↩
(2) paroles de Jaques Brel (1929-1978) tirées de sa célèbre chanson Quand on n’a que l’amour (1956) écrite pour protester contre la guerre d’Algérie ; écouter ce morceau en ligne. ↩
(3) relire au besoin son œuvre maîtresse 1984 (Gallimard, collection Folio n° 822, mars 2007, ISBN : 978-2-07-036822-8), et en particulier les divers passages et chapitres consacrés à la notion de novlangue et donc à l’importance de disposer d’un langage élaboré – c’est-à-dire une culture – pour échafauder des idées complexes. ↩
Séquelles et préquelles :
Bien qu’un gros succès du l’audimat japonais, Macross engendra un nombre plus que raisonnable de productions dérivées. Parmi celles-ci, le film Macross: Do You Remember Love? (Noboru Ishiguro & Shoji Kawamori ; 1984) tient lieu de narration alternative à Super Dimension Fortress Macross en en présentant le propos sous un angle bien assez différent pour en faire un complément qui mérite vraiment d’être vu. Celui-ci connut une suite sous la forme d’une OVA intitulée Macross: Flash Back 2012 (S. Kawamori ; 1987) qui s’adresse aux fans les plus hardcore de la franchise dans le sens où ce court-métrage clôt un arc narratif sans proposer de réel récit : c’est en fait le concert d’adieu de Lynn Minmay lors du départ du vaisseau de colonisation Megaroad-01.
Une seconde OVA, Macross II: Lovers Again (Kenichi Yatagai ; 1992), fut réalisée sans aucun membre de l’équipe de la série TV originale, à l’exception notable de Mikimoto, et reste à ce jour considérée comme l’enfant bâtard de la licence ; d’ailleurs, cette œuvre se situe officiellement dans un futur alternatif de Macross. Dans les grandes lignes, ce récit-là se distingue très peu de Do You Remember Love? sans pour autant lui tenir vraiment lieu de palliatif…
Une troisième OVA, Macross Plus (S. Kawamori ; 1994), marque le début d’un réel développement de la franchise en présentant certaines conséquences de la Guerre Stellaire entre les humains et les zentrans : en 2040, sur la planète colonisée Éden, ont lieu les tests de deux nouveaux types de chasseurs transformables alors que parviennent à leur conclusion des recherches en vue du développement d’une véritable intelligence artificielle.
À la même époque est diffusée Macross 7 (Tetsuro Amino ; 1994), seule véritable séquelle à ce jour de la série TV originale, qui narre les tribulations de la septième flotte de colonisation Macross alors qu’elle approche du système Varauta. Ce récit contemporain de Macross Plus nous présente un autre aspect de l’avenir esquissé dans l’univers Macross tout en développant le discours initial de la franchise ; celui-ci, hélas, ne plût pas à tout le monde et Macross 7 reste encore une production controversée parmi les fans de la licence.
Une autre OVA, techniquement la cinquième donc, marque un retour aux origines, sous la forme d’une préquelle intitulée Macross Zero (S. Kawamori ; 2002), en revenant sur la Guerre d’Unification qui précède les événements de Macross. Cette production laissa de nombreux fans dubitatifs en raison des éléments mystiques, ou assimilés, de son récit qui pour beaucoup semblèrent mal cadrer avec le techno-scientisme typique de la franchise.
La dernière production en date, la série TV Macross Frontier (S. Kawamori ; 2007), se situe plusieurs décennies après Macross 7 et revient aux racines originales de la licence dans ses thèmes comme dans sa facture narrative. Un net succès, Frontier obtint lui aussi sa narration alternative sous la forme d’une paire de films pour le grand écran.
Notes :
Pour sa diffusion aux États-Unis, cette série fut “combinée” avec deux autres, The Super Dimension Cavalry Southern Cross (Yasuo Hasegawa ; 1984) et Genesis Climber Mospeada (Katsuhisa Yamada ; 1983) et vit ses dialogues modifiés pour créer Robotech (Robert Barron ; 1985), produit par Harmony Gold. De sorte que Macross compte parmi les animes les plus importants jamais créés compte tenu de son influence sur le marché nord-américain, et donc sur le reste du monde : elle fut en grande partie responsable, avec Voltron (1981), de l’ouverture de l’occident aux productions japonaises dans les années 80.
De nombreux mecha designs de Macross furent utilisés dans le jeu de plateau Battletech (FASA Corporation ; 1984) mais d’obscures raisons juridiques, impliquant le fabricant de jouets Playmates Toys et la société Harmony Gold déjà mentionnée, amenèrent ensuite les créateurs de ce titre à renoncer à ces mecha designs : ceux-ci disparurent donc de l’univers Battletech à partir de 1996 et héritèrent du surnom de « Unseen » ; au contraire des autres mecha designs tirés d’autres animes, ceux de Macross ne réapparurent jamais dans Battletech en raison d’une interdiction formulée par Harmony Gold en 2009.
Le mot GERWALK – le mode hybride des chasseurs Valkyries – signifie Ground Effective Reinforcement of Winged Armament with Locomotive Knee-joint. L’idée de ce mode hybride est venue à Kawamori alors qu’il examinait un pré-modèle de jouet dérivé du projet : les parties correspondantes aux “jambes” du mecha se sont détachées et sont restées pendues à la verticale sous le fuselage horizontal, donnant ainsi l’impression que l’avion se tenait “debout”…
Le mecha VF-1 Valkyrie tient son nom du bombardier américain XB-70 Valkyrie et son design général est inspiré du chasseur Grumman F-14 Tomcat. Les designers choisirent de calquer le mecha vedette de Macross sur un modèle de chasseur aérien existant afin d’accentuer le réalisme de la série.
Erreur d’animation : dans un épisode, un VF-1A Valkyrie est dessiné avec deux lasers additionnels sur les cotés de la tête alors qu’il est supposé n’en posséder qu’un sur le “front”. Harmony Gold a adapté cette erreur sous la forme d’un nouveau type de chasseur veritech pour l’univers Robotech, le YF-1R.
Lupin III, Daisuke Jigen et leur célèbre Fiat 500 font une apparition dans un jeu d’arcade durant un épisode de la série.
Le nom imprimé sur le Valkyrie chair à canon VF-1A est “K. Warmaker” qui est dérivé de Kawamori, co-créateur de la série.
Le biplan jaune de Roy Focker dans le rêve de Hikaru a le nom de Kawamori inscrit sur le siège.
Shoh Blackstone, à qui le réalisateur Noboru Ishiguro prête sa voix, est un jeu de mot sur le nom de ce dernier. Ishi signifie pierre (stone), guro (kuro) signifie noir (black), d’où Stoneblack ou plutôt Blackstone. Pour Shoh, il s’agit d’une autre lecture du kanji Noboru.
Bien que cette série ait propulsée Mari Iijima au rang de superstar des idol singers des années 80, elle regrette souvent d’avoir été connue comme la voix de Lynn Minmay. Jusqu’à présent, presque tout le monde associe son nom à ce personnage et non à la chanteuse/compositrice.
De l’aveu même du réalisateur Rob Cohen, le film Furtif (2005) est largement inspiré de Macross. Cependant, de quelle incarnation de la série, Macross ou Robotech, il s’agit ne reste pas clair…
Dans l’épisode 36, un mecha hybride entre un Valkyrie et un Orguss fait son apparition dans le fond pendant la scène où le SDF-1 se défend contre le vaisseau de Kamjin qui le charge à pleine vitesse : il s’agit d’un clin d’œil d’un animateur qui travaillait à la même époque sur Super Dimension Century Orguss (N. Ishiguro ; 1983), une autre production de Big West et Studio Nue.
Dans l’épisode 27, avant l’attaque sur le vaisseau de Bodolza, le vaisseau Arcadia d’Albator apparaît aux cotés des navires de Britaï et de Laplamiz.
Dans le même épisode (27), on aperçoit encore le mecha Orguss défendant le SDF-1 à coté de la passerelle.
Cette série est la première à proposer des mecha designs d’appareils transformables qui se veulent “réalistes” quant à leur séquence de transformation : la décombinaison et la recombinaison des divers éléments de l’engin lors de son passage d’un module à l’autre sont techniquement “plausibles” et ne présentent aucunes modifications improbables de leur taille ou de leur forme comme c’était souvent le cas dans les séries du genre super robots.
La version française collector éditée par Déclic Images présente une erreur de traduction assez grossière concernant le terme « arme(s) instinctive(s) » : de toute évidence tiré de la version américaine d’AnimEigo, qui remasterisa la totalité de la série pour le compte d’Harmony Gold, celui-ci provient certainement d’une traduction littérale de l’anglais “reaction weapon” qui est en fait, dans l’univers de Macross, une abréviation de “thermonuclear reaction weapons” (ayant perdu certaines technologies au cours de la Guerre de Division qui anéantit jadis la République Stellaire, les zentrans sont très étonnés de voir les humains utiliser de telles armes devenues pour eux légendaires) ; voir l’entrée reaction weapon (en) sur l’ancienne version du Macross Compendium pour plus d’informations.
The Super Dimension Fortress Macross, Noboru Ishiguro, 1982
Déclic Images, 2004
36 épisodes, env. 30 € (occasions seulement)
- Macross Compendium (en), le wiki officiel
- MacrossWorld (en), premier site de fans international
- Macross Mecha Manual (en), site sur les divers mechas de Macross
- d’autres avis : Jevanni’s Blog, Chaotix Zone, Suby’s World, Atout-Geek