Quand les sept pèlerins se posent à Hypérion, le port spatial offre un spectacle de fin du monde. Des millions de personnes s’entassent derrière les grilles : les habitants de la planète sont sûrs que le gritche va venir les prendre et ils veulent fuir. Mais l’Hégémonie ne veut rien savoir. Une guerre s’annonce et les routes du ciel doivent être dégagées. Et tout ce que le gouvernement a trouvé, c’est d’envoyer les sept pèlerins. La présidente le leur a dit d’emblée : « Il est essentiel que les secrets des Tombeaux du Temps soient percés. C’est notre dernière chance. » Mais les pèlerins n’y comprennent rien, et ne se connaissent même pas !
Heureusement, le voyage leur permettra de se rapprocher. Chacun raconte son histoire, et l’on s’aperçoit vite que nul n’a été pris au hasard. Celui qui a fait la sélection, au fil des confidences, parait avoir fait preuve d’une lucidité… diabolique. Et d’une cruauté… raffinée !
Rédiger la chronique d’un ouvrage de la trempe de Hypérion présente comme première difficulté de trouver par quoi commencer : les œuvres de ce calibre, en effet, se caractérisent entre autres par une densité tant narrative que thématique pour le moins hors norme. Sous bien des aspects, d’ailleurs, cette densité constitue souvent leur point fort, celui qui en fait des productions à part des autres, qui les fait compter parmi les plus brillantes et les plus époustouflantes – en un mot : les plus marquantes. Pour ce faire, elles prennent souvent un aspect d’anthologie, faute d’un meilleur terme, dans le sens où elles mêlent les genres et les thèmes les plus éculés non seulement sous un seul et même titre mais aussi d’une manière tout à fait novatrice ou bien, à défaut, personnelle – ce qui revient un peu au même.
Pour cette raison, on les qualifie souvent de chef-d’œuvre. Non au sens du terme désignant une production dont les qualités la rendent indescriptible, elle-même ou bien l’effet qu’elle produit sur son lecteur, puisque un tel jugement reste malgré tout très empirique, mais plutôt dans le sens donné à une œuvre qui représente un pinacle dans un secteur particulier. Ici, la science-fiction. Toute la question consiste donc à savoir de quelle science-fiction il s’agit, car ses sous-genres ne se comptent plus. Pêle-mêle, on pourra citer ici le space opera, le cyberpunk, le transhumanisme, l’intelligence artificielle, l’empire galactique, ou en tous cas la civilisation à l’échelle galactique, le cyberespace, la nanotechnologie, la dévastation de la Terre, le voyage dans le temps, au moins implicitement,… et la liste ne se veut en aucun cas exhaustive.
À vrai dire, Hypérion exploite à lui seul toutes les principales branches de la science-fiction, c’est-à-dire ses principaux classiques. Ainsi, le connaisseur y distinguera les influences de Fondation (Isaac Asimov ; 1951) comme de Dune (Frank Herbert ; 1965) ou de Neuromancien (William Gibson ; 1984), soient les indispensables de chacune des périodes clés du genre ; mais on y retrouve aussi, au moins de manière sous-jacente, la plupart des autres œuvres majeures qui tournent autour des trois citées ici, celles qui ont fait de la science-fiction ce qu’elle est à présent. Ou plutôt ce qu’elle était à la toute fin des années 80, époque où fut écrit Hypérion : la différence est de taille, car la science-fiction a poursuivi son évolution depuis comme le savent tous les spécialistes – c’est le propre de ce genre de changer d’aspect…
Mais c’est aussi une histoire profondément humaine, encore que je devrais plutôt dire six histoires et non une seule. Hypérion, en effet, s’articule également autour du thème des narrateurs multiples dont le récit de chacun constitue une pierre supplémentaire à un édifice dont le lecteur ne parviendra jamais à distinguer le sommet. Pas tout à fait, du moins : cette œuvre trouve d’ailleurs là une partie de sa force – celle bâtie sur l’imagination de son audience… À sa manière tout à fait unique, chacun de ces narrateurs saura se montrer singulièrement humain, c’est-à-dire aussi attachant que peut le devenir un personnage fictif. Car aucun de ces six pèlerins envoyés sur Hypérion n’y était déjà venu auparavant, et les traces qu’ils y avaient laissées réclament à présent leur tribut…
Un tribut dont le prix pour le moins élevé fait osciller chacun d’eux du statut de bourreau à celui de victime, mais aussi de héros à mécréant. En bref, le genre de récit où les guerriers se confondent aux poètes et les érudits aux rustauds, ou quelque chose comme ça. Dan Simmons, ici, se régale à brouiller les pistes pour nous servir au final ce qui reste encore à ce jour une des plus grandes œuvres de la science-fiction et même de la littérature tout court : en fait, le genre d’ouvrage à ne manquer sous aucun prétexte.Séquelles :
Hypérion commence le cycle appelé Les Cantos d’Hypérion qui compte un total de quatre volumes dont chacun est divisé en deux pour son édition de poche. Après Hypérion on trouve La Chute d’Hypérion (1990), que suivent Endymion (1995) et enfin L’Éveil d’Endymion (1997). Comme souvent, hélas, la qualité de chacun de ces tomes supplémentaires va en baissant, jusqu’à atteindre des profondeurs que le lecteur se trouvera bien inspiré d’éviter…
Récompenses :
- Hugo, catégorie roman, 1990
- Locus, catégorie roman de Science-Fiction, 1990
- Cosmos 2000, [sans catégorie], 1992
- Seiun, catégorie Meilleur roman en langue étrangère, 1995
- Tähtivaeltaja, catégorie Meilleure traduction finnoise d’un roman, 1998
Hypérion, Dan Simmons, 1989
Pocket, collection Science-Fiction n° 5578, février 2007
288 pages, env. 6 €, ISBN : 978-2-266-17327-8
&
Pocket, collection Science-Fiction n° 5579, août 2007
295 pages, env. 6 €, ISBN : 978-2-266-17747-4
- la préface de Gérard Klein
- le site officiel de Dan Simmons (en)
- L’Infosphère : tout sur l’univers d’Hypérion
- d’autres avis : nooSFère, Scifi-Universe, Bibliotheca
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