Il était parmi les opposants les plus farouches à Ben Ali. Parmi les
premiers à s’élever contre lui. De ceux qui ont vite vu que le régime
dictatorial ne pourrait jamais se réformer. Qu’il fallait juste
l’abattre. A 66 ans, Moncef Marzouki, élu par 153 des 217 députés de
l’assemblée constituante, a pris ce lundi soir la place de son ancienne
bête noire.
«Vous m’avez fait confiance pour représenter un peuple, un Etat
et une révolution. A tous ceux qui m’ont fait confiance, je dis que je
vais tout faire pour être à la hauteur de cette confiance», a déclaré le nouveau dirigeant.
Un président atypique pour la nouvelle Tunisie. « Un vieux renard »,
sourit un habitant du bassin minier de Gafsa. Un neurologue pour
soigner une Tunisie traumatisée par cinquante ans de despotisme,
soulignent certains. Un intellectuel trilingue, brillant orateur et
auteur de plusieurs ouvrages, pour succéder au «président bac moins trois»,
ainsi que les Tunisiens surnommaient Ben Ali. Un président sans
cravate, qui n’a toujours pas adopté le costume de rigueur dans le
milieu. Ces derniers temps, il préfère arborer au revers de sa veste un
pin’s de Mohamed Bouazizi, le jeune vendeur de légumes qui s’immola à
Sidi Bouzid.
Il a aussi troqué, dès avril, les grosses lunettes marrons qui lui
mangeaient le visage contre une élégante et fine monture grise. La
première paire, objet de railleries sur les réseaux sociaux, avait
servi, en clin d’oeil, de logo à son parti sur les bulletins de vote,
lors des élections du 23 octobre.
Auprès des Tunisiens, Marzouk prête parfois à sourire. Certains le considèrent « un peu fou ».
Mais son intransigeance face au régime lui a attiré le respect de
nombre d’entre eux. On dit aussi le nouveau président têtu. « Impulsif, tranchant et assez solitaire », décrit Sihem Bensédrine, l’amie journaliste, qui lutta à ses côtés.
« Il est un peu nerveux, reconnaît Raouf Ayadi, cofondateur du Congrès pour la République (CPR) et ami de longue date. Mais
il est très intelligent, assez pour se maîtriser. La responsabilité
gouvernementale est nouvelle pour tous les militants des droits de
l’homme, tout le monde en est conscient. C’est un type du Sud, il
rattrapera facilement ses lacunes ».
Originaire de Douz, ville de bédouins, Marzouki a grandi dans un
milieu modeste et militant. Son père, opposant à Bourguiba, a dû
s’exiler au Maroc, où il est mort. Brillant élève, le jeune Marzouki
décroche une bourse pour étudier en France. A Strasbourg, où il suit ses
études de médecine, il conduit une thèse sur la torture, sous la
direction d’un ancien déporté. L’Arrache-corps, ainsi qu’il a poétiquement nommé ses travaux, le marquera durablement.
De retour en Tunisie, il choisit la médecine publique et milite pour
les droits des enfants et des handicapés. Entre à la Ligue des droits de
l’homme en 1980, il en devient président en 1989. L’association est
alors divisée en deux camps : ceux qui veulent coopérer avec le régime,
ceux qui refusent toute collaboration.
Lui est sur la ligne radicale. Il mène le bras de fer avec le
pouvoir, quand celui-ci embastille et torture les islamistes, à partir
de 1991. En 1994, les « réformateurs » reprennent la main ; Marzouki quitte la Ligue spectaculairement. Avec les « radicaux »,
il fonde une autre organisation, le Conseil national pour les libertés
en Tunisie, en 1998. Vire en politique trois ans plus tard, en créant le
Congrès pour la République (CPR). Un parti sans grande base militante,
une alliance hétéroclite d’anciens islamistes, de nationalistes et de
militants de gauche.
Le pouvoir lui mène la vie dure, s’en prend à sa famille. Le fait
suivre dans relâche, le prive de passeport, le fait licencier. Il est
condamné à un an de prison en 2001, transformés en sursis.
Marzouki finit par s’exiler en France, la même année. Il continue sa
lutte à distance, notamment à travers de nombreuses apparitions sur
al-Jezira. Par trois fois, il tente un retour en Tunisie, mais renonce
face au harcèlement dont il est l’objet.