Ca fait quelques jours que je cherche une introduction correcte à ce live report de la 33ème édition des Rencontres TransMusicales, qui ont eu lieu à Rennes en ce début décembre. J’ai pensé à débiter des banalités qui souligneraient la présence du mot « rencontres » dans le nom du festival, ou alors expliciter la particule « trans », qui sert souvent de diminutif à ce festival, j’ai pensé tresser des lauriers à un festival ambitieux, j’ai pensé à exprimer ce qui m’a étonné dans ce festival, en gros j’ai pensé à dire ce que tout le monde a déjà écrit. Mais il y a un truc qu’on vous a caché :
Dans Transmusicales, il y a peut-être « trans », mais il y a surtout « trash ». Les Trans, c’est trash.
C’est pas compliqué : entre les mecs qui sniffent de la coke à n’importe quelle heure de la soirée en plein milieu du public, ou au contraire les mecs qui s’endorment (allongés, assis, debout, oui j’ai dit debout) les déjections variées qui ornent généralement les contours des salles (mais parfois aussi à des endroits plus aléatoires), les bières (avalées par tonneaux) renversées par hectolitres, et l’espace pro qui paraît-il, sert autant de baisodrome que de toilettes, les Trans, c’est pas super classe. Et pourtant, jamais Rennes n’est autant remplie de gens chics (mais si, tous les parisiens avec les badges autour du cou), qu’ils soient employés dans les plus grosses maisons de disques ou fondateurs du plus petit label, qu’ils soient programmateurs d’un festival, photographes, journalistes, blogueurs ou vidéastes, bref, on a l’impression que tout Paris s’est déplacé à Rennes le temps d’un week-end.
Donc les Trans, c’est trash. Ce qui a été trash, aussi, c’est la queue hallucinante devant la salle de l’Ubu pour espérer voir cartonner des petits groupes de jeunes français plus ou moins confidentiels. J’ai donc raté les réussites des gentils Nantais de Rhum For Pauline, des jolis Rennais Juveniles, et des sympathiques Caennais Jesus Christ Fashion Barbe (au milieu de tant d’autres), à mon regret. J’ai aussi raté les adorables membres de Kütu Folk Records, en représentation tous les soirs du mercredi au dimanche à l’Aire Libre, mais apparemment c’était bien. J’ai aussi raté la soirée d’ouverture dans le monumental Liberté, mais j’ai cru comprendre que la soirée était dispensable. Et puisqu’on y est, j’avoue aussi avoir raté le passage de Ghostpoet, génie hip-hop à la sauce post-dubstep le tout mâtiné de spoken word, à La Cité, pour avoir préféré voir Jupiter qui sont venus jouer un set médiocre avec une heure et demi de retard à deux pas de là.
Jour 1 : Vendredi
Mes Transmusicales commencent donc vendredi au Parc Expo, avec des Anglais dont j’attends beaucoup. Ils s’appellent Breton, non pas en référence à la formidable région qui les accueille ce soir-là, mais à André, ils ont sorti un des morceaux les plus marquants de l’année (un Edward The Confessor habité), ils mélangent les genres à la perfection, ils prévoient leur album pour 2012 et ils arrivent sur scène encapuchés. L’intro est parfaite, l’écran derrière eux accueille des images de produits chimiques en tous genres, on se croit quelques secondes dans Breaking Bad, leur electro-rock se drape d’échos mystérieux, c’est un régal. Je crois être le seul à voir dans leurs capuches une référence évidente aux récentes émeutes qui ont ébranlé le Royaume-Uni, peut-être est-ce simplement un signe des temps (ou une habitude anglaise courante après tout), et après m’avoir évoqué Breaking Bad, je vois un peu de Skins dans ces capuches qui leur donnent des airs de bad boy. En tout cas, le gigantesque frigo qu’est le Hall 9 se réchauffe déjà. Dommage que le set soit trop court (une demi-heure seulement), mais ils ont déjà marqué un grand coup, et enfoncent la porte du succès avec une envie débordante. J’attends de voir la suite avec impatience, en espérant qu’ils ne se laissent pas dévorer par une envie d’efficacité trop prenante.
On traverse le Parc Expo jusqu’au Hall 3 voir les clownesques Kakkmaddafakka (plutôt que de l’écrire, il vaut mieux le prononcer pour rendre compte de sa proximité avec l’expression fleurie « cock motherfucker ») venus tout droit des froides contrées Norvégiennes. Froides, ai-je dit ? Ils ont trouvé le meilleur moyen de se réchauffer : il faut sauter partout, faire le pitre, agiter les bras, crier un peu, haranguer la foule, le tout en balançant des morceaux disco-pop qui détonnent. La recette fonctionne, mais c’est un peu surjoué, et au final, même si la reprise martyrisée de Halo (oui oui, ils reprennent Beyoncé) en rappel fait sourire, l’ensemble manque d’honnêteté. A voir cependant pour la prestation bordélique sans être brouillonne.
Pour m’enfoncer dans la nuit, je choisis un peu par hasard d’aller voir Robin Foster, qui livre un set de post-rock très sombre : gros choc sonore et visuel pour moi, ces guitares me fascinent et je reste scotché. Très jolie découverte que cet anglais qui s’est exilé à Brest depuis quelques années. L’apparition de Dave Pen (Archive) à ses côtés ne fait que me réjouir encore plus. Pour retrouver le sourire auprès de mélodies plus ensoleillées, je décide d’aller voir Hollie Cook, en espérant que la fille du batteur des Sex Pistols ait hérité du goût de son père pour la bonne musique. Dommage, son reggae est plat, le concert est mou, seul l’imposant MC qui l’accompagne avec ses longues dreads semble relever le niveau. Elle n’est pas dedans, zéro idée, zéro créativité, zéro intérêt.
Je fuis au bar, bien plus intéressant, avant de revenir Hall 9 voir Todd Terje. Beaucoup louent son electro innovante, je n’entends qu’une nu-disco déjà vue et pas franchement améliorée. La musique est efficace, c’est indéniable, mais c’est peut-être ça que je lui reproche : elle ne semble pas intéressée d’aller au delà de ça. Tant pis, ça me donne l’occasion d’aller observer Colin Stetson au Hall 4, un saxophoniste expérimental canadien qui a développé une technique de respiration en continu dont beaucoup attendent quelque chose d’extraordinaire. Je passe la première demi-heure avec une seule question en tête « Est-ce absolument génial ou juste complètement bizarre ? » Depuis j’ai eu ma réponse : en fait c’est complètement génial et absolument bizarre. C’est assez fascinant mais mes oreilles implosent.
Je retourne faire un tour chez Todd Terje (qui joue longtemps) mais ça ne m’intéresse toujours pas beaucoup plus, alors retour au Hall 3, où arrivent les espagnols de Fuel Fandango. J’avais lu que Jean-Louis Brossard, programmateur des Trans, les appréciait énormément, j’y ai été par curiosité, en me disant, l’esprit plein de préjugés, « Oh, ça va être rigolo, du tango revisité moderne, olala », un peu taquin. Première énorme découverte de la soirée, live festif, des centaines d’idées à la seconde, un jeu de scène exceptionnel. Grosse claque que ce groupe funky sans être too much, c’est le duo d’electro-rock le plus sexy au monde.
Direction SBTRKT, dont l’album rythme un peu ma vie ces derniers temps. Du dubstep, en version subtile, creusée, intelligente ; de la musique qui pose des questions, qui y répond un peu mais pas trop, qui laisse planer le mystère. J’attends beaucoup d’eux, et le couperet tombe : les basses sont étouffées, les mélodies torturées, le chant plat. Je m’accroche, le live met un peu de temps à décoller mais rien d’extraordinaire, et le mal est fait. Enorme déception, à la hauteur de mon attente. Je retournerai voir ça à Stereolux en février, pour être sûr de n’enterrer personne trop vite. Ailleurs, Silverio envoie une electro bourrine, tapageuse, vulgaire, et ce en slip. Horreur.
Je vais voir la fin du DJ set de Luz (oui oui, le dessinateur de Charlie Hebdo, qui doit désormais être accompagné de gentils bodyguards quand il fait des sorties publiques), qui fait le job comme il faut, avant de laisser la place aux parisiens de Stuck In The Sound. Pour se débarrasser de leur hype parisienne qui leur colle à la peau, ils n’y vont pas par quatre chemins : des guitares, des guitares, avec quelques guitares, encore des guitares, et on rajoute de la guitare par dessus. Résultat : c’est fort en guitares (sans déconner), c’est on ne peut plus efficace, ça envoie, ça pulse, ce que vous voulez. Les garçons déchirent tout, se donnent à fond, tout en essayant de garder la capuche sur la tête, ça a l’air d’être le thème de la soirée. Ca envoie du très gros son, et j’applaudis les efforts.
Mais un couple de « connards de concert » (la version alcoolisée violente) me pousse vers la sortie avant la fin : très bien, je vais donc pouvoir aller observer Factory Floor. Entre post-punk et accents funky, leur prestation rigoureuse, mathématique, carrée et droite pousse le son très fort. Un peu statiques, ils rendent le show presque trop scolaire, à mon grand étonnement. Direction Totally Enormous Extinct Dinosaurs, qui arrive évidemment dans une tenue de dinosaure (j’en appelle aux plus mélomanes des paléontologues pour m’éclairer sur l’espèce en question). Un futur grand joue ce soir, avec une envie folle de conquérir le monde. Pour cela, il frappe un très grand coup dans l’électro d’aujourd’hui, arrive à mettre la juste dose de pop dans ses morceaux et sait s’entourer comme il faut (mention spéciale aux deux danseuses en tenue moulante léopard). Les arrangements sont réfléchis et les basses profondes, alors aussi tard puisse-t-il être, on se laisse captiver. Avant de rentrer, et de se coucher en même temps que le soleil se lève.
Jour 2 : Samedi
Le samedi, il faut courir. Mais pas simplement courir entre les halls, comme on l’a déjà fait la veille, non : il faut courir, pour arriver au Parc Expo à l’heure et voir les jeunes Carbon Airways. Ils sont frères et sœurs, ils ont 14 et 15 ans, ils ont failli être interdits de jouer à cause de leur âge, mais ils sont là. Et puisqu’ils sont là, ils en profitent autant que possible. Leur électro bruitiste riche en tubes, évoquant tour à tour Crystal Castles et Kap Bambino, crache dans les amplis, ils martyrisent les sons, se donnent à fond. Au début, on ne peut s’empêcher de rigoler en les regardant, souriant devant leur âge, les considérant presque comme des « bêtes de foire », présents pour amuser le public. Ne me jetez pas la pierre, tout le monde y a pensé. Mais non, parce qu’ils sont bien plus mûrs que certains groupes programmés, qu’ils font ça très sérieusement, appliqués, et que la recette fonctionne. Étonnants de maturité, leur présence sur scène est impressionnante, on finit par oublier leur âge. Le show est au final un peu brouillon, mais les morceaux sont aussi hallucinants que la prestation.
C’est alors au tour de Shabazz Palaces de m’impressionner. Moins violents, leur hip-hop se nimbe de mystère, les nuages de fumée s’entrecroisent, c’est nonchalant sans être lent, tantôt vivifiant, sans être trop vif. Si le live n’est pas impressionnant au premier abord, il séduit dans la durée, l’air de rien. Les morceaux sont délivrés avec une très grande classe et beaucoup de prestance. Après avoir enregistré un des albums les plus intéressants de l’année, leur live est on ne peut plus convaincant.
Impossible de rentrer dans le Hall 3 voir Hanni El Khatib, complet et devant lequel s’étire une longue file d’attente de mélomanes alcoolisés, mais les échos ne sont pas tous très positifs. Là encore, je jugerai ça en février à Stereolux. Pour remplacer, on se délecte du break dance de Pockemon Crew qui font une courte apparition, avant de filer voir Agoria. C’est efficace, la température monte, voilà de quoi transformer les Trans en dancefloor, les morceaux s’enchaînent avec une dynamique incroyable. C’est l’heure de voir Spoek Mathambo, rappeur sud-africain qui ne manque pas de verve et de talent. Les morceaux défilent, plaisants, jusqu’à cette reprise osée de Control de Joy Division, qui remporte une adhésion unanime.
Direction Janice Graham Band, que beaucoup comparent aux (vieux) Specials. Parce que oui, ils font du ska, si on tire des gros traits. Mais c’est incroyablement vif sur scène, et même la trompette, dont je suis pas très fan d’habitude, renforce le tout. Avec un sens du show incroyable, le chanteur qui doit même pas avoir vingt ans remotive les foules avec une énergie hallucinante. Ils quittent la scène, Jean-Louis Brossard fait une apparition au micro le temps de dire « Janice Graham Band », puis les gars reviennent, acclamés par le public qui redemande la même tuerie qu’on lui a servie pendant une heure.
Petite pause avant de rejoindre le rap protéi-forme de Spank Rock. « De la bombe », pensé-je au premier abord (oui, passé 4 heures du matin, je parle comme dans les années 90, donc c’était de la bombe cette teuf). Au final, le show apparaît forcé, usé, surjoué, alors s’il est vrai que c’est efficace, je ne comprends pas pourquoi il faut absolument en rajouter une couche. L’ensemble finit brouillon, bordélique, creux, désagréable. Comme après l’explosion d’une bombe, en somme. Je rejoins alors le Hall 9 pour le live dantesque de Don Rimini, qui a sorti les très grands moyens pour son premier live à proprement parler. Perché en haut d’une installation aussi incroyable que difficilement descriptible (j’évoquerais un écran de quinze mètres de haut, sur lequel serait placé un trône, que vous n’auriez qu’une vague idée de la chose), il est bien décidé à marcher sur les plate-bandes d’Etienne de Crécy, et balance des morceaux à l’efficacité incontestable pendant que défilent des visuels hypnotiques.
Show surréaliste s’il en est, il ne convaincra pourtant pas entièrement, pour avoir voulu impressionner trop vite. Il laissera sa place à l’allemand Fukkk Offf, qui, comme son nom le laisse supposer, ne fait pas dans la dentelle. Le tout est à des années-lumière à de ce qui m’intéresse dans l’électro d’aujourd’hui, c’est grossier, vulgaire, on tire des gros traits et du gros son mais l’intérêt est nul. Tant pis, je rentre dans une navette de congénères bourrés, dont la moitié s’endort (certains ne se réveilleront toujours pas une fois au terminus ; claques, et cris n’y feront rien) pendant que l’autre hurle à la mort tout ce qui est possible de se rappeler comme chansons paillardes à 6 heures du matin quand on a deux grammes dans le sang. Ouais, je vous l’avais dit, les Trans c’est trash.